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Série - Histoires de la Coupe du monde de rugby : 1987, les pionniers français à la bonne franquette

Par Jérôme PRÉVÔT
  • Daniel Dubroca était le capitaine du XV de France qui disputa la première Coupe du monde. C’était un autre temps, le XV de France n’avait pas de préparateur physique attitré. Beaucoup de choses étaient improvisées. Daniel Dubroca était le capitaine du XV de France qui disputa la première Coupe du monde. C’était un autre temps, le XV de France n’avait pas de préparateur physique attitré. Beaucoup de choses étaient improvisées.
    Daniel Dubroca était le capitaine du XV de France qui disputa la première Coupe du monde. C’était un autre temps, le XV de France n’avait pas de préparateur physique attitré. Beaucoup de choses étaient improvisées.
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En 1987, les Bleus de Daniel Dubroca s’envolent pour les antipodes sans vraie préparation sous les ordres d’un sélectionneur hors du commun, Jacques Fouroux. Il savait tirer la substantifique moelle d’un rugby encore amateur.

Tout a démarré par un stage à Saint-Lary avec seulement vingt-six joueurs, sans présélection, sans groupe élargi. En plus huit mois avant, après le célèbre succès de Nantes face aux All Blacks (lire notre série de l’été 2022), Albert Ferrasse, euphorique et impérial avait dit en entrant dans le vestiaire : "Messieurs, tous à la Coupe du monde !" Jean-Pierre Garuet : "Ce Mondial avait été organisé à la va-vite, on ne savait pas trop où on allait. Tout était nouveau. Après Nantes, on avait fait le grand chelem, et cette première Coupe du monde se déroulait en mai juin, juste à la fin de la saison. On était tous très fatigués, presque en fin de course. Alors ce stage, c’était un peu folklorique, c’est sûr. La finale du championnat venait à peine de se jouer, Eric Champ n’avait pas pu fêter le titre avec Toulon pour nous rejoindre." La finale avait eu lieu le 2 mai, le premier match du mondial était prévu à Wellington, le 23 contre l’Écosse, c’est dire si la préparation ne fut pas une épreuve exigeante et scientifique, on la sentit plus proche de la colonie de vacances que du stage commando. Et puis, la pression de l’événement restait modeste aux yeux de l’opinion publique.

Cette Coupe du monde était plus un objet de curiosité qu’un rendez-vous crucial. Des années plus tard Philippe Sella résuma ainsi les choses : "Notre préparation s’était effectuée dans la discrétion et dans une atmosphère très bon enfant. Elle ne s’était pas étalée sur deux mois, comme c’est le cas aujourd’hui… Sur la route des Pyrénées, on s’est arrêté à Auch. On a dégusté quelques produits locaux. Une fois arrivés, on a appris à se connaître. On allait à la pêche à la truite, on apprenait à savourer le regard des autres, à créer un esprit de club. La préparation physique était légère : un peu de rugby, des courses en montagne. Rien de révolutionnaire."

Des similis tests sans préparateur physique

Il y eut bien des similis tests physiques que les joueurs ne prenaient pas très au sérieux. De toute façon, les Bleus n’avaient pas de préparateur physique attitré. Seul Jean Pène, médecin légendaire, était attaché à leurs basques. Quelques CTR ou CTD avaient été conviés pour rationaliser un minimum cette préparation. Serge Blanco ne montrait pas une énorme assiduité dans ces exercices arides. Écoutons ce qu’il confia bien plus tard : "Moi, je détestais la préparation physique. Alors, quand Pascal Ondarts et Jean-Pierre Garuet s’arrêtaient, je m’arrêtais aussi. Ils étaient mes repères." Sauf qu’un matin, un préparateur se précipite pour mesurer l’effort produit Et lorsque le préposé fit remarquer à Blanco qu’il aurait "peut-être pu pousser davantage", l’arrière du Biarritz olympique lui répondit : "Tu veux dire que Pascal (Ondarts, N.D.L.R.) et Garuche (Garuet) ne vont pas assez vite, doc ?" Puis le préposé (en avance sur son temps) tenta de faire des séances de tractions, il constata que Blanco, Joinel et Garuet ne pouvaient pas en réussir une seule correctement.

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Il se précipita inquiet et furieux dans la chambre de Fouroux qui assis sur son lit l’écouta patiemment et lui répondit : "Tu vas pousser plus fort que Garuche en mêlée, toi ? Tu vas courir plus vite que Serge ? Non ? Alors, ne m’emmerde plus avec tes tests physiques." Les logiciels et les capteurs d’efforts n’étaient au programme que des films de science-fiction de Stanley Kubrick. Le 4 mai, le groupe avait dû faire face au forfait volontaire de Jérôme Gallion, brillant demi de mêlée aux jambes de feu (25 sélections). Il annonça qu’il préférait fêter le titre de Toulon avec ses coéquipiers et qu’il ne pouvait abandonner son cabinet de chirurgien-dentiste à son frère, pendant une aussi longue période. Évidemment, l’info fit du bruit, Gallion était une vedette, mais Jacques Fouroux préférait la science de Berbizier à sa fougue. On n’imagine pas aujourd’hui un joueur renoncer ainsi à l’exposition d’un Mondial, mais le rugby amateur fonctionnait ainsi. Les joueurs se donnaient le droit aux foucades, vu l’absence d’enjeux financiers.

Daniel Dubroca expliqua un jour : "À l’époque, nous sommes vingt-six amateurs, cela va de soi. Pour jouer cette Coupe du monde, chacun a dû mettre entre parenthèses sa vie professionnelle. Le troisième ligne Dominique Erbani était commercial et pendant ces longues semaines de compétition, il ne gagnait pas sa vie. Le pilier Pascal Ondarts était quant à lui à la Lyonnaise des Eaux et a dû prendre un congé sans solde pour disputer la Coupe du monde. De mon côté, j’ai engagé du personnel pour faire tourner mon exploitation agricole. En Nouvelle-Zélande, on touchait chacun une indemnité forfaitaire de 150 francs (20 euros) par jour. Mais pour vivre de tels moments, on aurait été prêt à payer nos dirigeants."

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La première Coupe du monde ne fut pas un énorme succès populaire, seuls les matchs des All Blacks et des Wallabies sur leur sol firent le plein. La vie quotidienne des Bleus prit le tour de ces tournées à l’ancienne où l’on se marrait la moitié du temps. Denis Charvet, pris d’une frénésie créatrice, sortit sa caméra Sony et avec dix ans d’avance, inventa "Les yeux dans les Bleus". "J’avais accès à tout, je pouvais tout filmer : les entraînements, les matchs, les banquets… Je faisais même des interviews de joueurs, à côté des vrais journalistes", avait-il confié en 2019. Le centre alors toulousain avait capté cette scène où Yves Noè, le manager tendait vingt dollars à chacun des Tricolores avant de les mettre en garde sur les dangers de l’argent facile. "Quand on sait ce qu’est devenu le rugby aujourd’hui, cette séquence m’arrache toujours un sourire. C’était ainsi, à l’époque. Les dirigeants étaient très paternalistes. Ils s’inquiétaient même de la façon dont on pourrait dépenser ce maigre argent de poche…"

Yves Noé, truculent personnage, avait 66 ans, il avait joué dans les années 40-50 et son accent rocailleux du terroir dilatait la distance culturelle qui le séparait des joueurs, tandis que les journalistes se délectaient de ses barbarismes et de ses solécismes. Mus par une tendre complicité, les joueurs avaient été jusqu’à éplucher les petites annonces d’un journal local pour lui faire un cadeau : une masseuse en chair et en os mandatée pour venir taper à sa porte. Tapis dans un recoin, les joyeux lurons s’étaient délecté de la scène, le manager de la délégation ouvrant la porte, ahuri, mais sensible aux règles de l’hospitalité. Il expliqua ensuite qu’il avait vite renvoyé la dame dans ses foyers. Les joueurs avaient bien voulu le croire. Qui oserait faire ça de nos jours ? Le scandale serait immense sur fond de néopuritanisme.

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Fouroux, roi de l’empirisme

Se replonger dans l’univers de ce Mondial 1987, c’est prendre conscience de ce mélange de désinvolture et d’exigence extrême et soudaine. Jacques Fouroux adorait mettre subitement son groupe sous tension morale et physique, à la limite de la brutalité. Daniel Dubroca l’an passé, nous avait synthétisé : "On ne connaissait pas la récupération. On multipliait les entraînements très durs pour se préparer." Patrice Lagisquet nous rappela un joueur qu’à l’époque : "Les entraînements étaient plus éprouvants que les matchs." Les séances du Petit Caporal parlaient au côté hormonal de ceux qui les vivaient, de ceux qui les observaient, mais au final, étaient souvent dénuées de rationalité. Il avait tout de suite demandé des oppositions d’équipes locales et Eric Bonneval en avait fait les frais. Genou en vrac et fin de l’aventure pour l’ailier toulousain.

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Dans les coulisses de ce Mondial, tous les journalistes avaient observé, sidérés la séance qui avait précédé la fameuse demi-arrachée face à l’Australie (30-24) . Ça se passait sur la colline de Rushcutters, dans la banlieue de Sydney dans une atmosphère électrique sur fond de tensions entre Fouroux et les trois quarts des journalistes, il adorait ça. Il avait même demandé à son éternel opposant Pierre Villepreux, envoyé spécial de Libération, de quitter une séance. Cette séance crépusculaire de Rushcutters confinée dans l’espace réduit d’un en-but, eut sur les témoins le même impact qu’un match. La tension monta, monta : on vit Patrick Estève et Patrice Lagisquet concurrents directs s’accrocher sérieusement jusqu’à se colleter. Comme possédé, Fouroux de sa voix tranchante comme la rapière de d’Artagnan, avait commandé une montée en intensité : "Oui, vas-y ! C’est ça ! Fais l’effort !" Au regard perplexe de Laurent Rodriguez, il avait répondu : "Oui, comme en match !". . Francis Haget y avait laissé un genou, il ne sera remplaçant ni pour la demie, ni pour la finale.

Le patron des Bleus fonctionnait ainsi, selon son humeur, ses contrariétés, ses frustrations, ses bouffées d’adrénaline mais aussi ses moments de félicité céleste. Avant la finale, alors qu’on attendait un discours de feu de sa part, comparable à celui de Nantes 86, il avait soudain viré sa cuti. Au lieu de reprendre le laïus tout en brutalité de Nantes, il opta pour une préparation "sentimentale", à base d’évocation de la famille restée au pays. Elle n’était pas de nature à redonner du tonus à ses guerriers. Alain Lorieux et Pascal Ondarts la regrettent encore, ils nous l’ont confié. Le contexte est difficile à comprendre pour les plus jeunes : le mal du pays et de la famille prenait vraiment tout son sens. Pas de portables, pas d’internet. Même avec l’excitation de l’événement, les joueurs avaient envie de retrouver leur foyer, Laurent Rodriguez nous l’a assuré. Au lieu d’exciter la colère de ses hommes, Fouroux leur tira les larmes.

On connaît le résultat, victoire 29-9 des All Blacks et des Français dominés mais pas ridicules, juste un peu frustrés par un arbitre australien qui n'osa pas siffler un essai de pénalité sur des mêlées écroulées par les Néo-Zélandais devant leur ligne. David Kirk qui brandit le trophée remis par Albert Ferrasse et le lendemain, à la surprise générale, des All Blacks qui déboulent à l'hôtel des Français pour partager un barbecue. Serge Blanco l'a confié le 28 juin, lors des rencontres en Séronais à Labastide de Sérou (Ariège). "Ca n'avait jamais été dit". C'était l'un des moments forts d'un après-midi de nostalgie. Un épisode qui ne se reproduira probablement plus. À la vraie bonne franquette. 

Au fil des prochaines semaines, nous vous proposons de revivre les Coupes du monde du passé, mais côté coulisses. Au delà des exploits sportifs maintes fois narrés, nous allons parler des anecdotes, des tensions, des fous rires, des athmosphères qui ont accompagné les Bleus dans ces équipes ou le stress et l’euphorie s’entrecroisent savamment.

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