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Top 14 - D'entraîneur à président du Racing 92, retour sur le parcours de Laurent Travers

Par Marc Duzan
  • Laurent Travers, futur président du Racing 92.
    Laurent Travers, futur président du Racing 92. Icon Sport - Icon Sport
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Laurent Travers, ce sont vingt années passées sur les bancs de touche du Top 14 suivies, cet été 2023, d’une peu commune reconversion. Pour nous aider à lui faire tomber le masque, on a interrogé quelques-uns de ceux le connaissant le mieux…

Laurent Travers, c’est une bouille, ronde comme le monde. Un palmarès bâti sur deux Brennus, un titre de Pro D2 et trois finales de Champions Cup. Une longévité rare, aussi, en cet écosystème capricieux. Une façon toute à lui, enfin, d’éluder les questions qui l’emmerdent. Sur les blessés du jour, par exemple : "Ne vous inquiétez pas : on aura samedi vingt-trois joueurs sur la feuille !" Les bilans à mi-saison : "Si c’est pour faire un départ de cheval et une arrivée d’âne…" Les soucis rencontrés par la mêlée francilienne : "La mêlée, c’est l’école de la vie : un coup tu gagnes, l’autre non." Les rumeurs du prochain mercato : "Je ne parle jamais des recrues en cours de saison." Il est comme ça, "Toto". Il a gardé de sa carrière de banquier un culte du secret dont il dévie rarement et, d’une enfance passée dans le Périgord noir, une pudeur toute rurale, la sainte frousse de passer pour un fanfaron, un "yo soy", un poseur…

Ses premiers pas, un carnet à spirales entre les pognes et un sifflet autour du cou, se perdent quant à eux dans la nuit des temps. "J’ai commencé avec les juniors Reichel de Brive, il y a vingt-trois ans, aux côtés de Didier Faugeron. […] À l’époque, j’étais encore joueur et un jour, Clermont a voulu me recruter. Au dernier moment, une pubalgie m’a hélas contraint de décliner. Je leur ai tout dit et finalement, je crois que les dirigeants auvergnats ont apprécié ma franchise, quand d’autres auraient probablement caché la vérité sur leur état de santé… Alors quand, quelques mois plus tard, Christophe Mombet (manager de l’ASM et aujourd’hui responsable de la formation du Racing 92, N.D.L.R) m’a demandé de devenir l’assistant de Tim Lane, j’ai aussitôt dit oui : on a fini la saison vice-champion de France."

La suite ? C’est celle d’une rencontre. De celles qui bousculent les habitudes, renversent les tables et changent des vies. Avec Laurent Labit, aujourd’hui en charge des trois-quarts du XV de France, "Toto" a partagé quinze années de sa vie d’entraîneur, formant avec "Lolo" un duo qui n’avait jamais existé avant eux et n’existera probablement jamais après. La romance, on le sait, s’est terminée sur un quiproquo : ce que l’un considérait comme une trahison, l’autre le voyait comme une opportunité qui ne se présenterait probablement plus et depuis, "Toto" et "Lolo" ne se parlent quasiment plus, ignorant d’un haussement d’épaules les mises en garde de ceux les ayant toujours connus ensemble : "Passez l’éponge, les gars. Vous le regretterez, sur votre lit de mort…"

Patrick Bardot, ancien président de Montauban, fait incontestablement partie de ceux-là : "Récemment, je les ai vus discuter très calmement d’un appel en sélection qui gênait un peu Laurent Travers dans sa préparation de match. Cela m’a fait plaisir car l’échange était serein. Malgré leur séparation, le respect n’a jamais disparu entre eux et ce n’est guère étonnant : humainement, j’ai rarement rencontré quelqu’un de la qualité de Laurent Travers." Depuis quatre ans, "Toto" existe donc sans "Lolo". Dans les Hauts-de-Seine, lui qui a propulsé le Racing 92 vers seize quarts de finale, dix demi-finales et quatre finales a même, pour la dernière fois, réussi à sauver du désastre une saison bancale, erratique à bien des égards. "Elle n’a pas été évidente, poursuit-il maintenant. J’étais dans le présent tout en préparant l’avenir et l’arrivée de Stuart (Lancaster). Nous n’avons pas eu de titres, certes. Mais c’est aussi le cas de treize autres équipes du championnat…"

Le Racing actuel lui ressemblait-il suffisamment ?

À propos du technicien Travers, on souligne généralement la farouche addiction au combat aérien. L’actuel directeur du CO, Matthias Rolland, qui a passé neuf années de sa vie aux côtés de Travers à Castres et Montauban, explique : "Laurent bossait tellement sur tous les alignements du Top 14 que le jour des matchs, on connaissait les annonces des adversaires mieux qu’ils ne les connaissaient eux-mêmes… Il a toujours été super pointu, là-dessus…"

Son management, alors ? Paternaliste sans être envahissant, empathique sans être familier, il lui aura permis de conserver jusqu’au bout l’ascendant qu’il avait sur ses hommes. Mathieu Bonello, ancien talonneur du CO et actuel manager d’Albi (Nationale), analyse : "à Castres, "Toto" avait un management qui me correspondait. Il savait être dur et "dans l’esprit", comme on dit. Quand on rentrait d’un déplacement victorieux, c’est toujours lui qui lançait les hostilités : on s’arrêtait dans un bar, il posait quelques bouteilles sur le comptoir et disait : "Régalez-vous, les gars !" Puis il s’éclipsait…" Marc Andreu, ancien ailier du Racing, va plus loin : "Il a très longtemps choisi des joueurs à son image. Car il a besoin d’une proximité avec eux pour les faire avancer : à Castres, en 2013, notre titre fut le résultat de cette fusion entre un groupe et deux coachs (Labit et Travers). Moi, j’ai toujours adhéré à sa façon de travailler et pour lui, j’aurais pu aller au bout du monde. Lors de certains briefings, s’il disait blanc alors que ce ne l’était pas tout à fait, j’allais quand même dans son sens : "C’est blanc, les gars ! Toto a raison ! Arrêtez de nous casser les couilles !" Je partais du principe que s’il avait choisi cette option, c’est parce qu’elle était la meilleure."

Dès lors, une question se pose : si l’autorité de Travers n’a jamais été contestée au Racing, l’équipe de stars du 92, à des années-lumière des crève-la-faim qu’il avait relancés à Montauban ou Castres, lui ressemblait-elle néanmoins suffisamment ? On n’en est pas certain. Lui ? Il assume : " Le choix des hommes, c’est moi qui l’ai fait. Et ce n’est pas parce que tu es international que tu ne te bats pas pour ton club." Jacky Lorenzetti, sur cette même thématique : "On a peut-être fait des erreurs : Toto regrette de s’être séparé de Brice Dulin et moi aussi. Et la même chose pour Ben Tameifuna. Mais on ne peut pas gagner à tous les coups et l’équipe qu’il nous concocte pour la saison prochaine ne sera pas loin d’être la meilleure que le Racing ait jamais eue."

Travers : "Oui, la fédération italienne m’a approché"

Après dix saisons passées en tant que patron sportif du club des Hauts-de-Seine, Laurent Travers (54 ans) abandonne donc aujourd’hui le costume à l’Anglais Stuart Lancaster et deviendra, sous peu, président du directoire. Mais le veut-il vraiment ? Et l’adrénaline propre au terrain ne risque-t-elle pas d’avoir, pour lui, un arrière-goût d’irremplaçable ? On n’en sait rien et lui non plus, à vrai dire. Il poursuit : "Le défi que m’a proposé Jacky Lorenzetti est excitant. Je n’irai pas sur le terrain mais j’aurai un œil sur l’organisation de l’équipe, la vie du groupe… Je serai loin sans l’être, en somme." Et sûrement pas pour un siècle, non plus. "Je verrai si ça me plaît, si je suis à la hauteur… Mais je ne sais pas de quoi demain sera fait. Je sais juste qu’après vingt ans d’entraînement, j’avais besoin de me régénérer, de voir une autre facette du métier." On saura donc, bientôt, si Laurent Travers est un président "à la Serge Blanco", s’occupant de tout et surtout de la compo, ou s’il saura réfréner ses ardeurs et laisser ledit "Burt" gérer le sportif dans son entièreté. À ses mots, Patrick Bardot éclate de rire : "Quand j’ai vu ça dans vos colonnes, je me suis posé des questions… Moi, quand j’étais son président, je ne me mêlais pas du sportif parce que je n’y connaissais rien. J’espère que Toto en fera autant… Mais je n’en suis pas certain, hein…" Andreu clôt le sujet : "Pour moi, il va délibérément se créer un manque et reviendra un jour dans la danse."

Une danse avec laquelle il n’a d’ailleurs jamais failli rompre puisqu’avant d’activer l’option Quesada, l’Italie avait fait de Travers son favori pour le poste de sélectionneur : "Oui, la Fédération italienne m’a approché. Cela n’avait pas fuité parce que je n’ai pas d’agent et que j’en avais seulement parlé à ma famille et au président (Jacky Lorenzetti). […] Je ne serais pas parti pour un autre club, c’était inconcevable. Mais coacher une sélection, c’était différent. Je me disais que l’opportunité ne se représenterait peut-être plus. J’ai donc étudié tout ça très sérieusement mais j’ai préféré décliner : je voulais rester fidèle à la parole donnée." C’est qu’il y a davantage qu’une relation employeur - employé entre Travers et Lorenzetti : les deux hommes s’appellent vingt fois par jour, font de longues balades à vélo le dimanche matin, partent en vacances ensemble et cultivent in fine ce qui semble être une profonde amitié. "Toto, il a du cœur, du sentiment et de la force, développe "JLO". Entre nous, ça dépasse le simple cadre du boulot. Lorsqu’il m’a, pour la première fois, parlé l’an passé d’une fin de cycle, j’ai aussitôt réfléchi à une solution pour l’intégrer à l’organigramme." Et poursuivre une aventure débutée une décennie plus tôt, à la table d’un restaurant parisien. "Pierre (Berbizier) avait alors quelques problèmes avec l’effectif, sourit le créateur de Foncia. On a sauvé la saison mais il fallait partir sur autre chose. Je pensais au départ que les deux Lolo seconderaient Pierre. Mais le jour où j’ai déjeuné avec Berbize et Toto, cela ne s’est pas bien passé : l’un et l’autre voulaient être patrons. Or, on ne pouvait pas mettre deux tigres dans la même cage." Sans blague…

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