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Reportage - "Quand on arrive en vignes" : reportage dans la nouvelle vie de Rémi Lamerat (UBB)

  • C’est à Yvrac (Gironde) que se situe le Domaine Grand Jour, racheté par Rémi Lamerat.
    C’est à Yvrac (Gironde) que se situe le Domaine Grand Jour, racheté par Rémi Lamerat. Midi Olympique - Yanis Guillou
Publié le Mis à jour
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À 33 ans, Rémi Lamerat raccrochera les crampons à la fin de la saison. Un choix guidé notamment par son envie de se lancer à corps perdu dans sa passion : la viticulture. Propriétaire d’un domaine dans le bordelais, il nous fait découvrir les lieux et explique les motivations de cette nouvelle vie.

Beaucoup de mots peuvent définir la nouvelle aventure dans laquelle Rémi Lamerat s’est lancé. Entre passion, reconversion, ambition, travail ou encore projet familial, nous préférerons retenir le terme défi. Parce qu’il ne faut pas se leurrer. Ce n’est pas parce que l’actuel centre de l’Union Bordeaux-Bègles est un joueur reconnu dans le milieu du rugby et qu’il a tutoyé les sommets en portant dix-neuf fois le maillot du XV de France ou en remportant deux fois le Bouclier de Brennus, que les prochaines années seront simples pour lui. Amoureux de viticulture, Lamerat a décidé de devenir vigneron à plein temps, dès la fin de cette saison, laissant de côté sa riche carrière de rugbyman. « Quand j’ai signé de nouveau quatre ans à Bordeaux, je savais que ça coïncidait avec une probable fin de carrière, admettait l’originaire de Sainte-Foy-la-Grande. Je savais aussi que je voulais rester sur Bordeaux car c’était un projet familial de rentrer dans ma région d’origine. Je pense que j’aurais pu avoir d’autres projets excitants en Pro D2 mais je n’avais absolument pas envie de bouger. Et j’avais envie de vite m’imprégner de cette nouvelle activité car le vin est une vraie passion pour moi. » C’est donc en Gironde, à Yvrac plus précisément, que Rémi Lamerat construit sa deuxième vie. Un endroit parfait pour lui, qui préfère davantage la rive droite à la rive gauche, et qui habite désormais sur la route entre Saint-Émilion et Bordeaux.

Un projet novateur

C’est à la famille Guillot, implantée dans le coin depuis plus de 400 ans, que l’ancien Clermontois a racheté le domaine Grand Jour. Une propriété qui comprend 10,8 hectares de vignes, ainsi qu’une bâtisse vieillissante que Lamerat s’évertue à rénover. Son nouveau chez lui, d’ailleurs, est en lui-même un projet d’envergure. Dans la pierre, ce sont des centaines de mètres carrés aménageables dont jouit le nouveau propriétaire. Après avoir réhabilité le lieu de vie, voilà désormais que celui qui a racheté en janvier 2022 s’est attaqué à la construction du domaine viticole. C’est d’ailleurs sur les graviers de chantier et dans le boucan des perceuses maniées par les ouvriers que le grand gaillard nous guidait pour une visite. Entourée de vignes, il convient de dire que la nouvelle demeure du futur ex-centre a ce charme que l’on ne peut retrouver que dans le bordelais. Aux derrières de la partie habitable, le barbu, très accueillant, s’appliquait à renseigner autant les détails du projet que les raisons de ce choix de reconversion. « Pour l’instant il n’y a rien, mais il faut s’imaginer qu’ici, il y aura une salle de réception et de dégustation. J’ai pour projet de créer une chambre d’hôte », indiquait Lamerat. Et de poursuivre en tournant la tête : « Par ici, on sera davantage dans la création du vin, avec le chai, que je pourrai faire visiter. C’est là qu’il y aura les cuves. Un peu plus loin seront stockées les bouteilles ». Exalté lors de ses explications, Lamerat nous faisait presque oublier la complexité de son projet très ambitieux. Car dans le vin, il est aujourd’hui rare qu’un vigneron parte de zéro (ou presque), au point de construire toutes les infrastructures et de décider d’un entier nouveau projet dans ses vignes.

En pleine période de rénovation de son nouveau chez-lui, celui qui a grandi près des vignes à Sainte-Foy-la-Grande réalise son rêve, entouré de ses proches. Son projet n’est pour le moment qu’en construction, mais les premières bouteilles de vin commencent à être goûtées. Une réelle fierté au vu de l’envergure du défi.
En pleine période de rénovation de son nouveau chez-lui, celui qui a grandi près des vignes à Sainte-Foy-la-Grande réalise son rêve, entouré de ses proches. Son projet n’est pour le moment qu’en construction, mais les premières bouteilles de vin commencent à être goûtées. Une réelle fierté au vu de l’envergure du défi. Midi Olympique - Yanis Guillou

Car en plus de l’investissement que tout cela coûte, tant au niveau humain que financier, Lamerat veut mettre la barre haut en termes de qualité et d’originalité. « Faire du vin est une fierté, démarrer à zéro est davantage un challenge pour gagner ma légitimité. Investir dans une propriété et regarder les comptes, c’est possible, mais ce ne sera pas notre cas. Notre but est de faire du vin ensemble, d’avoir une démarche différente et d’avoir Rémi Lamerat le rugbyman vite effacé par Rémi Lamerat le vigneron. » Sans pour autant avoir grandi dans les vignes, le Foyen a toujours eu cet ADN de vigneron en lui. Fils d’imprimeur d’étiquettes de bouteilles, petit-fils de maître de chai, il semble logique qu’ilse retourne désormais vers la vigne. Mais pour lui, pas question de faire du vin pour simplement faire du vin : « Je voulais m’éclater et me challenger ». Alors que l’appellation Bordeaux est quelque peu en souffrance ces derniers temps, Lamerat a décidé de se différencier de beaucoup de domaines en allant chercher à réimplanter certains cépages oubliés, différents de ceux déjà présents sur ses terres. Bien qu’il ait décidé de garder des cépages de cabernet franc, de sauvignon et de merlot (très présents sur la rive-droite en Gironde), il possède aussi désormais des hectares de vieux cépages comme du bouchalès ou castets. Histoire de faire redécouvrir ce que sont les racines du vin de Bordeaux. Pour obtenir ces cépages d’antan, Lamerat a tout simplement procédé à une greffe de vignes. Un processus délicat et méticuleux, qui demande que chaque pousse soit choyée individuellement. On vous laisse deviner la quantité de travail en sachant que cela a dû être fait sur presque deux hectares de vignes… Toujours dans l’originalité, des projets de vin orange et de vin blanc fait avec du raisin rouge sont aussi en cours de réflexion. « On appelle cela un blanc de noir », tenait à préciser l’actuel joueur de l’UBB.

« Rémi est le même à la vigne que sur le terrain »

Dans sa démarche, l’ancien castrais est accompagné de toutes parts. Déjà, il a pu compter sur l’investissement de 180 « associés », qui ont chacun participé à acheter des parts de vignes. En échange, toutes ces personnes recevront régulièrement des bouteilles du domaine, ainsi que plusieurs cadeaux. Ensuite, une entreprise de prestation viticole nommée Banton Lauret lui a mis à disposition une main-d’œuvre, ainsi qu’un conseiller œnologue. C’est d’ailleurs avec Romain Khalfi et David Harté que nous poursuivons la visite du domaine. Le premier est un ami d’enfance de Lamerat, qui travaillait chez Banton Lauret jusqu’à… Leurs retrouvailles l’an passé. « Nous étions à l’école de rugby de Sainte-Foy-la-Grande ensemble », témoignait le sympathique gonze, qui possède au niveau des yeux une légère balafre. Courageux, Romain Khalfi a fait un choix fort pour son pote d’enfance : il a quitté son entreprise pour devenir le premier salarié de Lamerat. « J’avais besoin de plus de responsabilités et l’avantage, c’est que mon chef à Banton Lauret nous a donné un an pour nous redécouvrir avant d’accepter mon choix. On dit qu’on est pacsé maintenant (rires). ». Reconnaissant, Lamerat insistait : « Il faut saluer la prise de risque de Romain. Partir avec moi sur un projet où il n’y a pas de certitude, c’est couillu. Ça donne une motivation supplémentaire. » Et cela donne par ailleurs une histoire supplémentaire à ce domaine, et donc au vin.

​​​​​​​Tout juste sorti de la cuve, le vin est goûté. S’il compte encore des imperfections, son arôme est relativement intéressant pour une cuvée inédite. Aidé par ses associés David Harté et Romain Khalfi, Lamerat a rempli sa première bouteille de Salmanazar (neuf litres). C’est chez son voisin, Christophe Guillot qu’il bouchonne cette énorme bouteille. Très appliqué et désireux d’apprendre, le centre bordelais reste à l’écoute de celui qu’il considère un peu comme son mentor.
​​​​​​​Tout juste sorti de la cuve, le vin est goûté. S’il compte encore des imperfections, son arôme est relativement intéressant pour une cuvée inédite. Aidé par ses associés David Harté et Romain Khalfi, Lamerat a rempli sa première bouteille de Salmanazar (neuf litres). C’est chez son voisin, Christophe Guillot qu’il bouchonne cette énorme bouteille. Très appliqué et désireux d’apprendre, le centre bordelais reste à l’écoute de celui qu’il considère un peu comme son mentor. Midi Olympique - Yanis Guillou

Le troisième larron de ce trio est donc l’œnologue et conseiller, David Harté. Un grand bonhomme à lunettes rectangulaires et à l’accent du Sud-Ouest. Lui n’a pas quitté Banton Lauret, mais vient tout de même très souvent « par passion » donner un coup de main à Lamerat. « Il coûte trop cher de toute façon », plaisante le joueur. David Harté enchaînait : « Rémi est quelqu’un d’entier, il a ses convictions. Ce qu’il est en train de vouloir faire, ça me rebooste pour mes dernières années d’œnologue. » Romain Khalfi complétait : « C’est vrai que Rémi est le même à la vigne que sur le terrain. » C’est chez Christophe Guillot que la visite se poursuivait. Comme un père, ce dernier aide et conseille son nouveau voisin dans la construction de son projet. Pour la première cuvée et étant donné que Lamerat ne possède pas encore les infrastructures pour produire son vin, Christophe Guillot lui a mis à disposition une partie de son chai et de ses cuves. Ici, les trois complices goûtent les premiers litres de vin produits ensemble. Attentif aux conseils, notamment de David Harté, Lamerat s’empressait tout de même d’aller chercher une bouteille de Salmanazar (neuf litres), pour y stocker un peu de son premier vin. « C’est un vin dingue pour une première année », reconnaissait l’œnologue.

La convivialité avant tout

Après avoir allégrement rempli l’énorme bouteille, Lamerat expliquait : « C’est un travail d’équipe en fait, tu n’es jamais seul. L’année dernière, j’ai été vachement pris par le lancement et j’avais davantage la tête ici qu’au rugby. Sauf que maintenant, je n’ai pas envie de galvauder ma fin de carrière. Donc cette année, j’ai dit que je prenais plus de recul par rapport à la propriété, pour pouvoir profiter pleinement de ma carrière de rugbyman. Gérer les deux de front était trop compliqué physiquement et mentalement. Je me revois passer des vacances dans les vignes, ou passer juste quelques heures par-ci et par-là… Chose que je ne fais plus cette année pour me permettre de vivre à fond ma dernière saison et ne pas avoir de regret. J’aurais tout le temps de le faire prochainement ! » À 33 ans, le Bordelo-Bèglais est en quête d’un troisième titre de champion de France, après avoir été sacré à Castres et Clermont. Ensuite, il sait que sa vie prendra un tournant radical : « Faire du vin est quand même une activité qui est belle quand tu dégustes, mais qui est compliquée toute l’année. Quand il fait beau, ça va, mais quand tu mets le k-way pour aller tailler les vignes, c’est quand même un peu moins marrant. »

Rémi Lamerat (au centre), analyse ici le goût de son vin, en compagnie de David Harté (à gauche) et Romain Khalfi (à droite). Ce moment est aussi l’occasion pour la bande de s’imaginer le futur du domaine et de se raconter quelques blagues. L’ambiance est toujours plutôt relâchée, mais le travail reste sérieux.
Rémi Lamerat (au centre), analyse ici le goût de son vin, en compagnie de David Harté (à gauche) et Romain Khalfi (à droite). Ce moment est aussi l’occasion pour la bande de s’imaginer le futur du domaine et de se raconter quelques blagues. L’ambiance est toujours plutôt relâchée, mais le travail reste sérieux. Midi Olympique - Yanis Guillou

Pour motivation, Lamerat garde alors un mot en tête : la convivialité. Un terme qui lui est accroché à la peau, et sans lequel il n’aurait sûrement jamais fait de rugby d’ailleurs. Passionné de foot et supporter des Girondins de Bordeaux, il ne s’est mis au ballon ovale que pour avoir des choses à raconter avec ses copains. « Dans le vin aussi, c’est plus sympa de retrouver ce côté esprit d’équipe et convivialité qui est la base de mon sport actuel. J’aime le vin et je suis passionné de la façon dont on le fait, mais s’il n’y avait pas la convivialité au bout, je n’aurais sûrement pas choisi ce métier-là en reconversion. » C’est aussi par ce biais que l’idée de la chambre d’hôte est née, ainsi que ses envies de partager des moments, notamment avec des barbecues au domaine. D’ailleurs, celui qui a vu son vin être présenté lors du dernier « UBB Grands Crus » a convenu d’un accord avec deux de ses actuels coéquipiers… « Avec Nans Ducuing et Jean-Baptiste Dubié, nous allons essayer de faire un rosé sympa tous les ans. » Une aventure qui aura pour nom « l’arthrosé des vieux copains » et qui représente parfaitement l’état d’esprit de Rémi Lamerat. Une façon d’être guidée par le partage. « D’ailleurs, nous n’avons aucune porte fermée sur tout ce qui est projet. Il y a la Coupe du monde de rugby qui arrive et nous sommes sollicités pour recevoir des Anglo-Saxons et des Français. »

Aussi, le champion de France 2017 avec Clermont avait fait une promesse à ses anciens coéquipiers à l’époque, en annonçant que la célébration des dix ans du titre aurait lieu dans son domaine. « J’en ai parlé avec Franck Azéma, qui est un amateur de vin », rigolait-il. Rémi Lamerat changera bientôt de métier mais certainement pas de personnalité. En plus, il l’assure : « Le rugby ne sera jamais très loin. »

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