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Top 14 - Exclusif. Ronan O'Gara se livre : « La motivation, la soif, la faim… Je n’ai jamais ressenti une telle envie en moi ! »

Par Romain Asselin
  • Ronan O’Gara - Manager de La Rochelle
    Ronan O’Gara - Manager de La Rochelle PA Images / Icon Sport - PA Images / Icon Sport
Publié le Mis à jour
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Plus que jamais focalisé sur le doublé Europe-Top 14, l’emblématique technicien irlandais estime son groupe encore loin de son plein potentiel. Tombé sous le charme du bouclier de Brennus, soulevé avec le Racing en 2016 et qu’il rêve de ramener sur le Vieux-Port, « ROG » se montre particulièrement touchant quand il évoque - les larmes aux yeux - la puissance de la deuxième étoile décrochée à Dublin.

Cette seconde semaine de préparation au dernier carré du Top 14 est-elle une semaine typique, comme vous en traversez tout au long de la saison ?

Surtout pas maintenant. On a juste besoin de peaufiner le rythme. Il est bien là, en tout cas, après la finale de Champions Cup. Comme après la demie. On aura le plan de jeu mardi.

L’un de vos adjoints, Sébastien Boboul, racontait que la semaine suivant le titre européen, vous aviez rangé les deux coupes dès la première réunion…

Pour dire « ça suffit ». Je ne peux pas sous-estimer ce que les joueurs ont fait. C’est gravé dans l’histoire, c’est hyperimportant. Je suis très, très fier. Mais désormais, place au prochain boulot. Avec quelque chose d’énorme devant nous. Énorme ! Le Bouclier, en France, c’est devant la Champions Cup. Pas besoin de mots pour basculer. Nous avons été très moyens en finale de Champions Cup, ne l’oubliez pas.

« Très moyens », vraiment ?

Oui, très moyens [il insiste] ! J’ai revu le match trois fois… C’est un état d’esprit, une envie, du caractère, de la volonté, avec beaucoup de moments de classe qui nous ont fait gagner. J’ai des joueurs pour faire ça à toutes les équipes. Le Leinster n’a été capable de faire que onze passes par les trois-quarts dans tout le match (aucune du 11 au 15, N.D.L.R.). C’est une statistique hallucinante, folle. Cela donne à réfléchir encore et encore. Ils n’étaient pas capables de sortir de leur camp parce que je pense que leurs cerveaux étaient gelés par la pression mise par notre équipe. Après, ce qui m’a déçu - ce n’est peut-être pas le bon mot - c’est que nous n’avons pas été capables de marquer davantage. Au Matmut Atlantique (en demi-finale face à Exeter, 47-28), on aurait dû marquer soixante-dix points. À l’Aviva, combien d’occasions a-t-on laissées ? C’est mon boulot d’entraîneur de montrer ça.

Aviez-vous déjà ces sentiments-là à chaud ?

La vidéo a confirmé mes instincts. Quand tu regardes les trois essais du Leinster, c’est certes bien joué mais aussi très mal défendu. Ce n’est pas nous. Déjà, on commence à -17. Stop ! Après, tu dois être très vigilant quant à la manière dont tu envoies ce message. Ça peut être pris comme un énorme manque de respect si tu ne me connais pas. Ce n’est pas le but. Mes joueurs sont champions d’Europe ! J’aimerais simplement leur montrer qu’il leur reste une énorme marge de progression. Je n’ai pas besoin de parler. Le staff a montré les images, les joueurs ont vu par eux-mêmes. Je pense qu’ils sont un peu « choqués » (sourire) mais ils sont prêts pour attaquer notre première finale samedi.

Peu après la remise du trophée, vous avez dit : « La Rochelle entre dans la catégorie des équipes spéciales, mais ce n’est que le début. » Qu’entendez-vous par là ?

Les relations avec mes joueurs sont de plus en plus profondes. C’est important, maintenant, que je prenne et que je donne comme eux. À Dublin, c’était une énorme victoire pour le caractère, pour la volonté, pour la force mentale. Désormais, le rugby va arriver.

« Le Brennus, c’est le rugby français [...] Le palmarès pour chaque club, l’importance pour chaque ville, ça m’inspire. Et j’aimerais le gagner avec ce groupe. »

Contrairement à la saison passée, vous avez évité, comme espéré, la case barrage de Top 14 dans la course au doublé…

On est là où nous voulions être mais ça ne compte plus. La saison commence samedi. On s’est bien reposé, nous avons bien fêté cette seconde étoile : tout est planifié pour être performant. Je suis fan du « growth mindset » (cultiver l’état d’esprit). On est toujours en apprentissage de certaines choses. Pour moi, c’était obligatoire quand tu es champion d’Europe d’éviter un barrage, par exemple, à Toulouse l’an dernier. Ça, ce n’est pas un bon plan. Désormais, tout est possible. Ou pas, peut-être. Le plan pour le groupe est de chercher une performance.

Mine de rien, après des bas dans la saison, le Stade rochelais a trouvé son rythme de croisière depuis la mi-février. Douze succès sur les treize dernières sorties, toutes compétitions confondues…

Ce n’est pas possible d’être à neuf sur dix toute l’année et certains, à l’extérieur du club, ne le comprennent pas. Mais ce qui est bien avec ce groupe, c’est que, quand il tombe, il réagit. Il apprend bien. C’est la base dans le sport et ça ne changera jamais. Et ce qui me donne énormément de satisfactions, aussi, c’est la réaction des Français après notre victoire en Champions Cup. J’ai reçu beaucoup de messages de mecs du Racing, par exemple. Mais aussi d’autres entraîneurs. Depuis, j’ai vraiment pu apprécier ce que mes joueurs ont fait à l’Aviva. C’était un match à la maison pour le Leinster, tu leur donnes dix-sept points et ça aurait été facile de se dire : « Allez, on va chercher une défaite encourageante, pour perdre d’une manière victorieuse. » Beaucoup de mecs faibles peuvent penser ça. Heureusement, ça n’existe pas ici. Mentalement, rien ne s’est cassé. On ne s’est pas dit qu’on allait se faire manger. Les joueurs ont trouvé des solutions, même sous pression.

Vous êtes réputé pour programmer mentalement vos troupes à « marquer l’histoire »…

C’est normal pour moi. Je pense que certains observateurs sont un peu « choqués ». Je n’avais… (il réfléchit) Tu ne peux pas avoir zéro doute mais quand j’analyse mon équipe, je regarde tout. J’ai répété à mes joueurs, avant la finale face au Leinster : « Je n’attends pas un match serré. » Ça peut paraître bizarre que je dise aux gars, après le visionnage du résumé, que je suis un peu déçu. Je ne peux pas l’être parce qu’ils ont tout donné. Ça me marque, je suis tellement fier d’eux, comme vous ne pouvez pas imaginer. Parce que c’était à Dublin. Mais notre club n’a jamais gagné le championnat de France. C’est donc le moment de régler ça.

Que représente le Brennus à vos yeux ?

Quelque chose que j’adore. Le Brennus, c’est le rugby français. Je suis au courant des plus de cent ans d’histoire du Bouclier. Le palmarès pour chaque club, l’importance pour chaque ville, ça m’inspire. Et j’aimerais le gagner avec ce groupe. J’étais au Camp Nou (finale 2016 remportée par le Racing 92), c’est un très bon souvenir dans un stade mythique. Le Stade de France est un peu similaire mais on serait tellement bêtes d’y penser déjà. Huitième, quart, demi-finale n’existent pas dans mon vocabulaire. Il y a une finale samedi. Soit tu progresses, soit ce seront les vacances. Et « vacances » signifie mauvaise performance, donc mauvaise préparation.

Cette finale 2021 perdue par La Rochelle face à Toulouse (18-8), l’avez-vous effacée de votre esprit ?

Je la garderai toujours dans ma tête. J’ai appris beaucoup de choses pour mon avenir ce soir-là : comment tu gagnes, le comportement des champions, le comportement des perdants… Je ne veux pas trop m’exprimer là-dessus mais c’est très intéressant pour moi.

Quelques semaines plus tard, à votre promotion comme patron du staff rochelais, vous nous aviez glissé : « Je dois féliciter Toulouse. Ils sont champions d’Europe et champions de France, c’est énorme ! Sur le moment, je n’en ai pas pris la mesure. J’aimerais faire ça un jour. Bravo Ugo Mola. Je dis ça avec beaucoup de sincérité. » Comme si votre obsession de doublé venait de prendre corps…

Je suis un compétiteur. Mais parler ne sert à rien. Ce sont les actes qui comptent. Ce qui n’a pas changé dans ce groupe - et qui ne va pas changer - c’est notre préparation. Nous allons la faire avec beaucoup de professionnalisme et d’enthousiasme, avec la banane. J’ai un groupe qui me touche beaucoup, avec différentes personnalités. Quand tu fais le « back-to-back »*, l’amour entre nous devient très profond. Je ne suis pas émotif mais la finale était à Dublin. Vous savez, pour moi… wow, c’est… (Il marque une pause, ses yeux rougissent soudainement, sa voix tremble) C’est quelque chose que je ne vais jamais oublier.

Ce n’est pas commun de vous voir fendre l’armure, ému à ce point…

Avant le match, j’ai dit : « Pas d’émotion ! » Un ou deux joueurs étaient pris par l’émotion, ils n’ont pas très bien joué. Je ne vais pas les citer, par respect pour eux. Mais je pense que c’est une très bonne leçon. C’est fait, maintenant. C’est un grand privilège d’être là. Les supporters m’ont vraiment pris comme un Rochelais et ça… (un sanglot éclate, son émotion est très vive)

Beaucoup ont en effet scandé votre nom, en chœur, pendant la parade sur le Vieux-Port…

Je ne réalisais pas encore. (il marque un long silence) C’est la première fois, je pense, là, en vous parlant, que je réalise… Mais je vais revenir dans le vrai monde.

Votre self-control force le respect. Comme si une petite voix disait : « Ronan, tu n’as pas le droit de craquer, la saison n’est pas finie »…

Oui, oui… (il reprend ses esprits) Vous savez, je ne suis jamais comme ça dans ma vie. Jamais… Gagner à Dublin, c’était très dur à faire. On l’a fait. Maintenant, « let’s go ! » (« Allez ! ») La motivation, la soif, la faim… Je n’ai jamais ressenti une telle envie en moi ! J’ai hâte d’être au match à Saint-Sébastien.

* deux sacres consécutifs

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Les commentaires (3)
Djive-ST Il y a 10 mois Le 13/06/2023 à 01:04

Dommage que ne soit pas évoqué la demie contre l'UBB car le SR a marqué le pas en deuxième période et le plan de jeu bien différent... il y a eu flottement... et Bordeaux n'a pas su en profiter car sidéré mais contre les gros de Toulouse ce sera une autre paire de manche ... l'analyse d'O Gara sur cette demie serait opportune

Espytrac Il y a 10 mois Le 05/06/2023 à 11:13

Ronan mais OUI l'objectif 2023 est réaliste même si en face c'est aussi très bien avec Hugo !Dublin c'est une très grande victoire qui marque à jamais le rugby mondial !

Tichaut78 Il y a 10 mois Le 05/06/2023 à 10:39

Formidable !