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200 ans de légendes (22/52) : le match le plus ennuyeux de l’Histoire !

Par Jérôme Prévôt
  • Les coups de pied en touche furent légion et l’état d’urgence fut déclaré.
    Les coups de pied en touche furent légion et l’état d’urgence fut déclaré. Icon Sport - Icon Sport
Publié le Mis à jour
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Le 2 février 1963, le rugby a touché le fond avec un Écosse-Galles de légende, sommet de… non-jeu dans la brume et la pluie glacée. Les coups de pied en touche furent légion et l’état d’urgence fut déclaré.

Amis du beau jeu, passez votre chemin. Le 2 février 1963 se joua à Murrayfield ce qui est considéré comme match le plus triste de l’Histoire du Tournoi. L’un des plus froids aussi. Il opposait l’Écosse au pays de Galles et 60 000 personnes ont assisté à ce qu’aujourd’hui, on prendrait pour une vaste plaisanterie. Sous une pluie particulièrement glacée, la foule ingurgita cent onze touches en quatre-vingts minutes. Aujourd’hui, un match du Tournoi en compte vingt-quatre en moyenne. Si l’on met de côté les joueurs plaqués ou poussés hors des limites du terrain, on peut estimer que plus de cent fois, les deux charnières jugèrent plus avantageux de balancer le ballon dans les tribunes que de s’embarquer dans une action construite au long cours. Pour essayer de visualiser ce brouillon de rugby, il faut se souvenir qu’on pouvait alors taper directement en touche de n’importe quel endroit du terrain. Il faut aussi savoir qu’il avait neigé sur Édimbourg les jours précédents, mais que la Fédération écossaise (Scottish Rugby Union) avait fait tout balayer et la pelouse était cernée par des congères.

Clive Rowlands, demi de mêlée de fermeture

Toutes les conditions étaient réunies pour un match extrêmement conceptuel. Pour les Gallois, il fut synonyme d’exploit puisqu’ils s’imposèrent 6 à 0 avec une pénalité et un drop. Ils n’avaient pas gagné à Murrayfield depuis dix ans. Le grand animateur (si l’on ose dire) de l’après-midi fut le demi de mêlée de Pontypool, Clive Rowlands, surnommé « Topcat ». Un gars assez charismatique pour avoir été quatorze fois capitaine en quatorze sélections puis entraîneur, manager des Lions et même président de la Fédération. Avant d’enfiler le blazer, il sut donc mouiller le maillot à bon escient. Il avait noté que son pack pesait plus lourd que celui de l’Écosse et décida de garder la balle au niveau de ses avants. C’est lui qui se chargea de la grande majorité des coups de pied en touche, ravitaillé en ballons par la moisson de ses sauteurs, Brian Price de Newport (futur Lion) et Brian Thomas de Neath. Sur les mêlées, la première ligne liée autour du talonneur Norman Gale fit également le boulot. "Ce n’était pas un match très attractif, je suis désolé pour les trois-quarts, mais on voulait gagner et le pack a fait du bon boulot", expliqua Clive Rowlands, qui eut l’honneur de marquer le drop final servi par Brian Price et son mètre quatre-vingt-treize, insatiable dans l’alignement. Le jeune trois-quarts centre Brian Davies, 21 ans, déclara lui : "J’ai touché deux fois le ballon et je ne sentais plus mes doigts." Dans la foulée, il perdit sa place et ne revint plus jamais en sélection.

On a souvent dit que ce jour-là Clive Rowlands avait inventé le « rugby à neuf ». Il avait pourtant un ouvreur à ses côtés, David Watkins qui aurait pu lui aussi se servir de ses pieds. Les témoins ont décrit un jeu cantonné en grande partie entre les deux lignes des vingt-deux. Le Docteur Lowie officiait comme juge de touche : "C’était un hiver très dur, les matchs de clubs ne se jouaient plus depuis Noël. Mais à Murrayfield, la bâche électrique avait permis à la rencontre de se jouer. Je me souviens d’un match froid, brumeux et sombre, le pire match jamais joué." Pourtant, l’Écosse avait gagné à Paris en ouverture du Tournoi, il y avait un engouement et des espoirs. "C’est notre année, disait-on. Un classique, non ? En deuxième mi-temps, le jeu s’est déroulé du côté opposé au mien. Pendant quatre-vingts minutes, je n’ai pas eu grand-chose à faire, sinon me protéger des boules de neige lancées par des écoliers qui s’ennuyaient."

Après un tel pensum, la presse trempa sa plume dans le vitriol. Le Daily Herald écrivit : "Le rugby international est en danger de mort… Les Gallois ont poussé le rugby moderne à sa conclusion logique." Partout on réclama une refonte urgente des règles, mais il fallut cinq ans à l’International Board pour interdire le coup de pied direct en touche en dehors de ses vingt-deux mètres.

Ce fut la première étape d’un nouveau rugby, destiné à s’éloigner de la bataille de tranchées. Mais le miracle, c’est que le résumé en noir et blanc filmé de British Pathé ne rend pas justice à la réalité. On ne sent pas le froid, on ne voit pas la pluie, la caméra manque le drop de Rowlands, mais saisit les très rares attaques, l’espace de quelques secondes. Et l’effet montage fit le reste. On croirait voir un match primesautier…

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