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Champions Cup - Reportage : amour, gloire et doublé sur le Port de La Rochelle

Par Paul Arnould
  • Le bus des Rochelais entre sur le Port.
    Le bus des Rochelais entre sur le Port. Paul Arnould
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Dès les premières heures d’une journée historique samedi matin, jusqu’à dimanche en fin d’après-midi, la cité de La Rochelle a vibré, transpiré, espéré, pour enfin célébrer le doublé en Champions Cup. Un week-end qui fera date. Récit.

Samedi soir, 19 h 30 : Antoine Hastoy propulse le ballon hors des limites du terrain et la ville de La Rochelle bascule dans la folie. Ils sont plus de 40 000 partout sur le Vieux-Port à attendre ce moment, à en avoir rêvé des nuits entières. Comme un signe du destin, une pluie fine se mêle aux larmes de joie des supporters. Petits et grands se prennent dans les bras, les mots ne sortent pas toujours, mais les yeux en disent davantage : «Ce qu’il s’est passé aujourd’hui c’est plus grand que le rugby», confiait Ronan O’Gara après la demi-finale à Bordeaux. Et ce week-end alors ? Indescriptible. Légendaire. Hors du temps. Le Stade rochelais ne vient pas seulement de remporter sa deuxième Champions Cup consécutive. Il a offert à sa ville - supporters les plus fidèles, comme novices pris par l’engouement – un moment de vie unique. En échangeant après l’exploit avec une mère accompagnée de ses deux enfants, on lui demande d’expliquer son émotion. «Vous savez, confie-t-elle, ces instants de partage sont particuliers. La vie n’est pas toujours facile mais qu’on aime ou pas le rugby, qu’on connaisse les règles ou comme moi pas vraiment, ce soir je vais me coucher heureuse. Et je sais que mes enfants aussi.» Comment être indifférent à cette liesse collective ? Qui peut lever la main et dire : "Ce n’était qu’un simple match de rugby" ?

Peur sur le port

Après le premier titre européen du Stade rochelais l’année dernière, déjà face au Leinster, le président historique Vincent Merling confiait que cette première étoile était "une victoire de la grande famille rochelaise". Difficile d’aller à l’encontre des mots du bâtisseur rochelais après un week-end passé dans la cité portuaire. Samedi matin, 10 heures : le marché au cœur du centre-ville regorge d’excitations. Bouchers, poissonniers, il est impossible d’assister à une vente sans une discussion autour du match de l’après-midi. «Vous allez sur le port ?», demande un commerçant. «J’ai confiance», lui répond un habitué, maillot sur le dos et déjà prêt à vibrer. «Je suis allé vers le marché et j’ai été surpris de l’atmosphère déjà qui y régnait, narre Gérald Merceron, 32 sélections avec le XV de France et ancien joueur de La Rochelle. Ensuite, je suis allé sur le port, et j’ai pris une claque devant cette ferveur. Je ne suis pas à l’aise avec la foule d’habitude, mais là c’était vraiment particulier.»

Pendant qu’à Dublin les Rochelais se préparent à en découdre, l’atmosphère monte sur le Vieux-Port. Certains sont déjà installés depuis de longues minutes sur les terrasses des bars ou au plus près des quais. Un film sur le parcours européen de l’année dernière est diffusé sur les deux écrans géants. Philippe, lui, a décidé de prendre le vélo pour se rendre sur place. «C’est difficile pour moi de rester en place, je préfère pédaler et me balader, explique-t-il pour justifier son immense appréhension. Je ne vais pas rester sur le port, j’ai besoin de voir le match chez moi, concentré.» Difficile de mieux décrire cette si redoutée boule au ventre, vous savez, celle qui prend quelques minutes avant le début du match et qui ne vous lâche pas jusqu’au coup d’envoi.

Les supporters rochelais après la victoire face au Leinster.
Les supporters rochelais après la victoire face au Leinster. Paul Arnould

«Nous étions tous en souffrance»

Après douze minutes d’enfer à l’Aviva Stadium, les Jaune et Noir sont menés 17-0 et depuis le début de la journée, il n’a jamais fait aussi froid dans la cité. «Ce match ? Il est exceptionnel surtout au vu de l’entame catastrophique où nous avons été pris dans tous les compartiments du jeu», explique Sébastien Boboul, l’entraîneur des avants du Stade rochelais à l’aéroport au beau milieu de la nuit. Gérald Merceron, qui fut jaune et noir entre 2005 et 2008, se souvient de son état d’esprit du moment. «Je me suis dit : "Comment vont-ils faire ?" J’avais mal pour eux, nous étions tous en souffrance. Et en même temps, en regardant le visage des joueurs à ce moment-là, on ne les sentait pas perturbés. C’est la force des grandes équipes. Ils me font penser au Toulouse des années 2000, qui ne craignait rien, qui gagnait des titres, et même arrivait à renverser des situations même dans la souffrance. Aujourd’hui c’est La Rochelle.»

Et puis la machine jaune et noire s’est progressivement activée. Les golgoths maritimes ont pris peu à peu le dessus, et les Irlandais ont commencé à douter. Avant la pause, l’essai de Ulupano Seuteni réveille définitivement les plus de 40 000 suiveurs. L’espoir est revenu. «Nous sommes de Toulouse, mais aujourd’hui c’est : "Allez La Rochelle", encourage un couple de sexagénaires. Je pense vraiment qu’ils vont le faire, cette équipe a montré qu’elle avait de la ressource.»

«Il y a énormément de valeurs dans notre club, confiait le capitaine courage Grégory Alldritt après la finale. En passant à 17-7, ça a été un tout autre match. À 23-14, la dynamique était pour nous.» Sur le terrain, la deuxième période rochelaise fait grimper la température à l’épicentre de La Rochelle. La solidarité, les sacrifices des Botia et autres Skelton font basculer la rencontre. Jusqu’à l’essai de George-Henri Colombe à huit minutes du terme. Un bruit indescriptible descend du Vieux-Port. Il y a l’odeur des fumigènes, la fumée qui démange les yeux déjà bien sollicités par les émotions. Les dernières minutes sont longues. Interminables. Plusieurs dizaines de supporters s’enlacent, comme pour ne pas vivre seuls ce suspens irrespirable. Des "Poussez, poussez" émanent de la foule dans l’espoir qu’ils parviennent jusqu’à l’Aviva. Et puis la libération. La fureur s’empare du Vieux-Port, des dizaines de courageux se jettent dans le port à 14 degrés. Les pétards claquent, les chants reprennent, les gens pleurent. À minuit, alors que le départ des joueurs à Dublin se fait attendre, les noctambules noient leur bonheur cours du Temple. À l’heure où le soleil est plus proche de se lever, le Vieux-Port garde les stigmates d’une journée de folie mais pense déjà à se refaire une beauté pour le rendez-vous du dimanche.

Le retour des champions

Comme pour prolonger une nuit sans fin, les joueurs se retrouvent tôt dimanche au marché au cœur du centre-ville. Comme si de rien n’était, les mines fatiguées tout de même, avant de se préparer à parader devant plusieurs dizaines de milliers de personnes. «On est tellement contents et on a hâte d’être à demain 16 heures sur le port», se projette Paul Boudehent au milieu de la nuit à l’aéroport. Depuis plusieurs heures déjà, 2 000 personnes attendent le retour des champions. Grégory Alldritt, Romain Sazy et Pierre Bourgarit ouvrent la marche à 3 h 45 du matin. La coupe est levée. Les visages sont fatigués et meurtris par l’intensité délirante de Dublin, mais tous sont là, même un Kevin Gourdon qui a pris sa retraite la saison dernière. «On a l’impression d’être dans un rêve, confie le pilier international Reda Wardi. Il faut se rendre compte que c’est bien réel, et il faut en profiter. Quel bonheur.» «C’est fou, complètement fou», lâche Brice Dulin, sans même y croire devant une marée jaune et noir hurlant sa joie, touchant la coupe et serrant les mains de ses héros.

Dimanche, 14 heures : les drapeaux commencent à affluer de partout, la parade des champions est annoncée à 16 heures mais beaucoup sont déjà là pour refaire le match. Une énième fois. «J’ai envie d’être avec eux, de les voir. C’est l’euphorie totale, confie Delphine, venue avec son mari Olivier, qui a déjà revu la finale le matin même. Cette équipe transcende tout un territoire. Ça dépasse vraiment le cadre du sport.»

Grégory Alldritt, Romain Sazy, Brice Dulin et Ronan O'Gara célèbrent le titre.
Grégory Alldritt, Romain Sazy, Brice Dulin et Ronan O'Gara célèbrent le titre.

Les joueurs partent de la gare de La Rochelle. Un an est passé depuis Marseille 2022 mais le bus des champions semble identique. Ronan O’Gara agite la coupe à l’avant du bus, Reda Wardi se permet un chambrage contre le Leinster, Uini Atonio descend au milieu de la foule, Brice Dulin termine une bouteille de champagne. Les minutes sont suspendues et la communion totale. Il y a comme un air de déjà-vu, preuve que le Stade rochelais a changé de dimension. «Nous savions que nous pouvions avoir une belle place dans le rugby français, mais à ce niveau, c’était difficilement prévisible», assure Nicolas Djebaïli, ancienne icône du Stade rochelais (307 matchs). Après avoir (re) vécu ça, La Rochelle peut vivre tranquille. En attendant le Bouclier ? «On a encore faim, tranche Reda Wardi. C’est que l’appétit vient en mangeant !

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