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La crise de l'après-carrière : Drew Mitchell et les démons de la petite mort

Par Mathias MerlO
  • Drew Mitchell sous les couleurs toulonnaises avec lesquelles il remporta deux Coupes d’Europe et un titre de champion de France. Drew Mitchell sous les couleurs toulonnaises avec lesquelles il remporta deux Coupes d’Europe et un titre de champion de France.
    Drew Mitchell sous les couleurs toulonnaises avec lesquelles il remporta deux Coupes d’Europe et un titre de champion de France. Icon Sport
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Retraité depuis presque six ans, l’ex-Wallaby, devenu un des chouchous des supporters au muguet durant son passage à Toulon (2013-2017), lève le voile sur une après-carrière emplie de doutes et de tourments. L’ailier demeure en recherche d’une paix intérieure.

Un beau jour, les projecteurs s’éteignent, le brouhaha du stade se tait, le nirvana d’émotions s’arrête. Face à sa glace, comme tant d’autres athlètes avant et après lui, Drew Mitchell se pose une question simple et si complexe à la fois : "Et maintenant, que faire ?" Le moment d’arrêter ce premier chapitre d’une vie n’a pas été un crève-cœur, tant cela lui a sauté aux yeux. "En mars 2017, j’ai eu un déclic ici même (il montre l’ancienne tribune de Berg). J’étais fatigué à la suite d’une réunion d’équipe. J’ai dit à Matt (Giteau) : "Mon pote, c’est fini." Il m’a motivé pour aller à la musculation. Je lui ai répété : "Non, ce n’est pas ça, ce n’est pas fini pour aujourd’hui. Cela en est fini du rugby." J’ai toujours voulu que l’arrêt soit évident. J’ai terminé plutôt en forme, sans une discussion avec mon agent pour savoir si j’allais encore avoir un contrat."

Marqué par une vie de ballon ovale, son corps a sonné le glas après avoir "reçu six infiltrations vers l’entrejambe". La douleur de l’aiguille lui cause encore une grimace, la fatigue de jadis lui arrache quant à elle un sourire. "J’étais usé mais avec le recul… Qu’est-ce que je l’ai aimé cette vie ! Le rugby m’a donné plus que ce que je lui ai donné. J’étais un privilégié. C’est pour ça que c’est si dur de faire la transition." L’intéressé qualifie ce cheminement de "processus continu".

Lutter contre le manque, le vide et la pathologie de l’overthinking

Comme la marée de la baie de Moreton, cette nouvelle vie est faite de hauts et de bas. "C’est encore difficile. Je pense que les choses qui me manquaient la première année sont différentes de celles qui me manquent maintenant, dans ma sixième année de retraite. Lorsque j’ai rangé les crampons, il me manquait ce pic d’adrénaline. Cette petite chose qui est en toi (il se touche les bras), lorsque tu te présentes devant la foule, que tu joues, que tu es confronté à un défi et que tu mets en pratique tes compétences et ton talent. La première année, j’ai donc dû trouver quelque chose pour essayer de combler ce manque. En fait, c’est le temps qui a estompé cette chose. Plus récemment, j’ai l’impression que la structure, la routine et la poursuite de résultats me manquaient. J’ai eu l’opportunité de devenir consultant sur une chaîne australienne. Mais c’est un plus. C’est une passion, ce n’est pas un but. Ce n’est pas la vraie vie, ce sont deux nuits pendant le week-end. Comment puis-je occuper les autres jours de la semaine ?"

Il faut remplir le vide, sans pouvoir le combler de ce qui a fait "l’essence" d’une vie pendant des décennies. "J’ai énormément profité au début, puis après… Quand tu n’as pas de but pendant un certain temps, tu es perdu. Les gens et les conseillers me disaient : "Drew, qu’est-ce qui vous passionne ?" Je répondais la même chose : "Je suis passionné de rugby et je ne peux plus le jouer à haut niveau.""

Le petit gars de Brisbane est né pour faire lever les foules, en finissant par un plongeon dans l’en-but. De Twickenham à Mayol, en passant par l’Allianz Stadium, seule la terre promise a différé, jamais le plaisir. "Tout ce que j’envisageais en termes de carrière, ce n’était pas au même niveau de passion que ce que je faisais avant. J’ai pris ça comme une énorme injustice, un coup de massue. Il est difficile de trouver un domaine qui vous passionne quand vous êtes l’un des rares chanceux dans ce monde à avoir pu vivre confortablement de votre passion. Et là, il y a eu les premières inquiétudes : est-ce que je vais trouver un but ? Qu’est-ce que je vais faire ? Comment vais-je gagner de l’argent ?"

En 2020, si la covid-19 n’était pas passée par là, Mitchell aurait bien remis ses cheveux blonds au vent sous les couleurs de New York. La substance ovale rend toujours accro et une once d’adrénaline reste une tentation viscérale. "En plus, je n’y serais pas allé pour les bonnes raisons mais plus pour l’environnement (rires). Ce n’aurait pas été une bonne chose dans le processus que nous évoquons."

Malgré les difficultés, l’ex-Wallaby a le sentiment d’avancer dans sa nouvelle vie. "Aujourd’hui, je n’ai pas peur de dire que j’ai été dépressif. Plus que ça encore, je ressentais une forte anxiété. Je souffre de la pathologie de l‘overthinking (une personne qui fait face à un torrent d’émotions et de pensées négatives qui persistent dans le cerveau, N.D.L.R.). Dans beaucoup de situations, je pense au pire et cela ne m’aide pas, même si je sens que je fais des progrès."

"Heureusement que Toulon m’a fait grandir"

Pour contrer ses idées néfastes, l’ailier a décidé d’avoir recours à des aides pour "éviter de tomber dans le trou". "Je suis un mec émotif. Mais, je suis qui je suis, et il a fallu me découvrir sans le rugby. J’ai accepté que des choses m’affectent plus facilement que d’autres amis, même si je n’aime pas parler à leur place. Quand c’est trop difficile, que je sens le vide, je prends des médicaments pour gérer cette anxiété qui est en moi. Ça m’aide à garder l’équilibre pour ne pas tomber dans une spirale négative. L’anxiété est difficile à gérer car parfois, je vois les choses plus noires qu’elles ne le sont."

Dans son propos, Mitchell tient aussi à lancer un message d’alerte pour ses cadets. "Il y a toujours des moyens de voir la lumière. Depuis peu, je me suis mis à la méditation et j’en tire des bienfaits. Bien avant ma retraite, je savais que ça serait dur de vivre sans ce ballon. J’ai toujours été clair avec moi sur le fait que j’allais sûrement devoir recourir à un thérapeute pour m’aider à identifier le trou, à l’éviter et à m’en sortir. Il n’y a pas de honte à le faire, ni de honte à le dire. Comme sur le terrain, je m’arme d’outils pour m’aider dans les moments les plus difficiles de la vie."

Dans l’allégresse, le vainqueur de deux Coupes d’Europe (2014 et 2015) et d’un Brennus (2014) vit le bonheur de manière encore plus intense à l’image de son retour en rade pour l’inauguration du Hall of Fame. "J’ai 39 ans d’immaturité (rires). Heureusement, Toulon m’a fait grandir. Mes proches me disent : "Tu es né et tu as grandi en Australie". Je leur réponds : "Je suis né en Australie, mais j’ai grandi à Toulon." Entre mes 29 ans et 33 ans, j’ai appris à me connaître et à découvrir qui j’étais. Je ne parlais pas la langue, bien sûr il y avait la famille Giteau et leur soutien, mais c’est là où j’ai commencé à me sentir à l’aise tout seul, à apprivoiser la solitude. Comment puis-je m’attendre à aimer quelqu’un si je n’aime pas ma propre compagnie ? Ce voyage a révélé des choses en moi sur les relations et les amitiés. J’ai progressé humainement grâce à cette ville, mais aussi grâce à cette bande de mecs (il montre Giteau, Wilkinson et Botha). Ce groupe de mecs me manque encore, et c’est ça qui sera impossible à reproduire dans la vie de tous les jours."

C’est l’esprit de fraternité qui rend nostalgique Mitchell. . "Mon rôle de consultant TV me donne accès aux matchs, à la nervosité et à l’atmosphère. Comme au rugby, si je ne suis pas bon, je peux perdre mon boulot (rires). C’est excitant ! Quand je suis au bord du terrain, je crois vraiment que je ne rêve plus d’y être. Quand je côtoie les joueurs, je sens ce qui me manque : être entouré de tes amis sur le terrain, dans les hôtels, en voyage, puis partager des conneries et des moments de vie avec les supporters. En revenant ici, j’ai coché toutes les cases. Les gens m’ont fait ressentir que j’étais resté un mec spécial. Je l’ai vu à leurs yeux. Ils m’ont remercié alors que c’est désormais à mon tour de dire merci pour ce qu’ils m’ont apporté en tant qu’homme. À Sydney au moment de renouer avec le monde réel dans mon job de commercial dans l’immobilier, dans le bus et apprêté dans mon costume, quand il y aura des moments de doute, tout ira bien en repensant à ces derniers bons souvenirs." En thérapie : chérir le passé pour aimer le présent et se construire un futur sous le sceau de la sérénité.

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