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La folie, ça se danse...

Par Marc Duzan
  • Sekou Macalou ne peut rien face à la vitesse de Gary Ringrose, le trois-quarts centre irlandais.
    Sekou Macalou ne peut rien face à la vitesse de Gary Ringrose, le trois-quarts centre irlandais.
Publié le Mis à jour
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À quel match de dingues a-t-on assisté samedi après-midi, à Dublin ? À quelle extase Irlandais et Tricolores nous ont-ils abandonnée, à l’Aviva Stadium ? Garçons, une autre…

On a fait mille procès au rugby à XV. On a dit de lui qu’il était trop complexe, trop lent, trop violent. On a dit de ses mêlées qu’elles étaient obsolètes, chronophages, désuètes. De son aire de jeu qu’elle était bien trop étroite, maintenant que les défenses étaient structurées comme des légions romaines. On a dit aussi du marmot de William Webb Ellis qu’il ne pouvait convenir à la multitude et serait, pour notre plus grand bonheur de tous, tôt ou tard remplacé par le jeu à 7, si rapide, si spectaculaire et si conforme, en fait, à un public, superficiel, léger et n’ayant finalement plus le temps pour grand-chose. Aurait-on vraiment dû changer la face du rugby, comme nous le soufflèrent un temps les marchands de soupe de la Sanzaar * ou les piteux évangélistes du rugby à 12, à 10 ou à 5, sous prétexte de remettre, au stade, des culs sur des sièges ? Aurait-on dû les suivre et céder à l’effet de mode ? Non, mille fois non et diable, comme cet Irlande-France est un doigt d’honneur adressé à tous ces charlatans. Comme ce match fiévreux, haletant et par moments prodigieux fut pour notre vieille maîtresse la plus belle des propagandes et le plus puissant des teasers**, même, en vue de la prochaine Coupe du monde…

Car il y eut à l’Aviva, samedi, une course-poursuite entre deux équipes magnifiques, le bijou aplati par Damian Penaud après une relance du bout du monde ou presque, des rebondissements tels l’essai controversé de ce beatnik de James Lowe, l’ippon de Super Dupont sur l’ailier irlandais Mack Hansen (93 kg), le plaquage marteau de Uini Atonio et partout, l’impression tenace d’assister à un spectacle d’une authenticité telle qu’on le termina tous vidés, rincés et paradoxalement désespérés d’en être si brutalement sevrés. Quarante-six minutes de temps de jeu effectif, nom d’un homme ! Un quart d’heure de plus qu’un match lambda de Top 14 ! « A mon époque, se marrait Laurent Cabannes au lendemain de ce match à Dublin, les quarante-six minutes de temps de jeu effectif correspondaient au total des quatre matchs du Tournoi ! » Et la sensation, du début à la fin, de ne pouvoir détourner le regard de l’arène sans craindre de rater un geste dingue, le sentiment étrange de ne pouvoir respirer normalement tant les Diables Verts soumirent, tout le temps ou presque, ces Tricolores à un harcèlement continu, une agression perpétuelle à laquelle la bande à Galthié, escortée de 15 000 ultras en Irlande, ne put jamais s’affranchir. Alors, cet Irlande-France valait-il les 1000 euros que demandaient les vendeurs à la sauvette pour un seul ticket d’entrée ? Non. Il en valut probablement beaucoup plus…

 

Foutez donc la paix à Wayne Barnes

L’émotion est une chose, le résultat en est une autre et à l’heure du bilan, la septième défaite de l’ère Galthié (et la plus large...) nous laisse, en bouche, un goût étrange. À Dublin, les Bleus ont défendu leur ligne comme s’il s’agissait de défendre leur propre vie (Thibaud Flament a à lui seul réalisé 28 plaquages), déroulé quelques mouvements magnifiques et marqué le plus bel essai du week-end. Mais en considérant la performance française avec le recul qu’elle mérite, on est aujourd’hui contraint de reconnaître que les gonzes d’Andy Farrell ont roulé sur leurs dauphins au classement mondial pendant 80 minutes, submergeant les Bleus de vagues vertes, les soumettant globalement à un pressing qui ne connut – en début de deuxième période et au gré d’un bref retour en grâce du jeu de dépossession – que cinq minutes de fléchissement. Il y eut donc, à l’Aviva Stadium, un dominant et un dominé. Il y eut une équipe qui franchit l’en-but adverse à huit reprises (quatre essais irlandais ont en effet été refusés, samedi après-midi...) et une autre qui semblait déjà, au bout de vingt minutes, courir après son second souffle. Que les snipers en jogging remballent donc leurs carabines : l’Irlande n’a pas eu besoin de Wayne Barnes, l’arbitre anglais du match, pour passer trente points au XV de France et gifler la cocotte. Et si l’essai de James Lowe n’était évidemment pas valable, Uini Atonio aurait pu mériter un carton rouge pour avoir assommé le talonneur Rob Herring, tandis que le plaquage « à retardement » sur Dumortier ne fut pas traité avec moins de mansuétude que le tampon de Penaud sur Sexton, en première période. La faute est ailleurs, bonnes gens. Et cette faute, on se la rejette volontiers, d’un bout à l’autre du vestiaire tricolore. « On a trop joué dans notre camp, disait Fabien Galthié. Il aurait fallu occuper, jouer haut, garder de l’énergie. C’était ce qui était prévu, d’ailleurs. » Ah... Sur le terrain, les mômes ont donc eu un tout autre « ressenti ». Ils ont dit merde à la « dépossession », joué des touches rapidement, envoyé des claquettes et mis le feu aux poudres, quitte à se brûler. « On a fait quelques actions incroyables, assurait l’ouvreur Romain Ntamack. Je ne pense pas qu’on aurait réussi à marquer un aussi bel essai que celui de Damian Penaud sans cette volonté de déplacer le ballon et jouer depuis notre propre camp. »

 

Le message de Galthié est-il assez intelligible ?

À Dublin, le staff a donc voulu quelque chose que les joueurs n’ont pas souhaité appliquer en première période. Et à l’heure de lâcher les Bleus pour une quinzaine de jours, on ne sait si le quiproquo de Dublin est une simple incompréhension entre deux entités ou alors, si les joueurs du XV de France n’ont pas voulu faire passer un message à leur staff, samedi. Que veut Galthié, après tout ? Entre la « dépossession » ayant marqué le cœur de son mandat et la « repossession » qu’il a remise en avant après avoir entendu les critiques consécutives à la tournée d’automne, le sélectionneur national a-t-il vraiment choisi ? Et s’il ne l’a pas encore fait, ne s’expose-t-il pas in fine à une crise identitaire ? Le rugby a beau être un sport intelligent, il mériterait ici un message plus intelligible. Quitte à se répéter, si Fabien Galthié estime que le rugby qui gagne est celui des Springboks et que l’heure est venue, pour les nostalgiques du rugby de papa, de faire une croix sur leurs farandoles, qu’il le dise clairement. Car en attendant l’Ecosse et pour voir un jour s’asseoir le XV de France sur le toit du monde, on vous assure qu’on est évidemment prêt à accepter beaucoup de choses. On est même prêt à accepter tellement de choses qu’on jure aujourd’hui ne pas crier au scandale, si Laurent Travers décide ce week-end de faire jouer Finn Russell 80 minutes, contre Brive...

 

 

* le consortium possédant les droits du Super Rugby

** bande-annonce

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