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Procès Laporte-Altrad : "Chavanski", mallette et vie brisée... Coulisses et anecdotes de l’audience

Par Marc DUZAN
  • Bernard Laporte
    Bernard Laporte Abaca / Icon Sport - Abaca / Icon Sport
  • Coulisses et anecdotes de l’audience
    Coulisses et anecdotes de l’audience
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Il s’est passé tant de choses, au fil de ces trois semaines de procès. On vous propose, aujourd’hui, de découvrir les coulisses d’une affaire n’ayant pas fini de faire causer, dans notre petit monde…

On a croisé mille personnes, en neuf jours de procès et plus de quatre-vingts heures de débats. Des avocats bavards comme des pies borgnes, des magistrats raides comme la justice, des juges en robe et des quidams, attirés là par la richesse des séances… à moins que ce ne soit par l’odeur du sang. Des élus fédéraux, aussi, puisque sentant probablement que l’exercice serait douloureux pour le président (Bernard Laporte) et son bras droit (Serge Simon), la FFR avait soumis l’idée d’une grande mobilisation des gros pardessus du vaisseau amiral : au final, ne vinrent quotidiennement, Porte de Clichy, que les lieutenants les plus fidèles à Bernie : Antoine Martinez, l’élu en charge des relations avec les assurances et les agents de joueurs ; Patrick Buisson, vice-président s’occupant des compétitions amateurs ; Alexandre Martinez, trésorier de la Fédération ou Henri Mondino, le responsable de la réforme territoriale. Oublie-t-on quelqu’un ? Oui, pardi ! Christian Dullin ! Le secrétaire général de la Fédé devait initialement être entendu par la présidente du tribunal, en tant que témoin. Et quand il s’aperçut, au fil de cinq jours d’audience, que Rose-Marie Hunault avait finalement décidé de se passer de son témoignage, l’ancien patron du rugby alpin lâcha un rien vexé : "Si je ne sers à rien, il faut me le dire, hein…"

À la 212e chambre du tribunal correctionnel de Paris, ce sont deux mondes distincts, distants de plusieurs milliers de kilomètres, qui se sont donc soudainement entrechoqués, au gré des circonstances que l’on connaît. En ouverture du procès, la présidente Hunault s’excusait d’ailleurs de "totalement méconnaître l’univers du rugby". À ce sujet, on s’aperçut pourtant bien vite qu’en l’espace de quelques semaines, ce petit brin de femme, qui a entre ses mains l’avenir de cinq des hommes les plus influents du ruby français et international, avait pourtant ingéré l’intégralité de ce dossier hautement technique, fait de guerre Ligue / Fédé, d’obscures réunions de l’EPCR ou de fusion francilienne avortée avec la facilité que l’on prête aux gens intelligents, mettant même les prévenus dans les cordes à chaque fois qu’ils faisaient erreur sur une date, un lieu, un fait…

Serge Simon est lui aussi sur le banc des accusés dans cette affaire
Serge Simon est lui aussi sur le banc des accusés dans cette affaire Abaca / Icon Sport - Abaca / Icon Sport

Des rires, des larmes et les ressorts d’un polar

L’assistance a souri, oui, quand la présidente prêta au club de Mohed Altrad une impossible "victoire 50 à 2", ou quand surgit dans les débats un certain "Jacky Lorenzaccio". Ou quand Antoine Vey, l’avocat du milliardaire héraultais, baptisa l’élu Maurice Buzy-Pucheu, Maurice "Buzy-Puchman", ou alors quand celui de Serge Simon évoqua la "décision honorable" du capitaine du Racing, Henri "Chavanski". On a aussi été ému aux larmes lorsque l’anonyme du procès, Benoit Rover, le co-gérant de la société Score XV poursuivi pour abus de bien social, éclata en sanglots à la barre, évoquant "une vie brisée et un futur en pointillés" : coupable ou pas, Rover est aussi un père de quatre enfants et si la juge retenait pour lui la réquisition du procureur, à savoir le bannissement de toute activité en lien avec le rugby, il perdrait son travail au Gip France 2023 et toute foi en l’avenir…

Il y eut donc des rires et des larmes, au tribunal correctionnel de Paris. Il y eut surtout le combat acharné entre des hommes en robe n’hésitant pas à sortir le glaive, lorsque les circonstances s’y prêtaient. "Votre question est stupide !", éructait Jean-Pierre Versini Campinchi, l’un des avocats du patron de la FFR, au moment où Yann Gasnier, le conseil de l’association Anticor, demanda à Laurent Gabbanini, directeur général de la Fédé, si le témoignage que celui-ci venait de réaliser sous serment n’était pas "altéré par son amitié avec Bernard Laporte". On crut même, un soir où l’audience se termina à 23 heures, qu’Antoine Vey, le fils spirituel d’"Acquitator Dupont-Moretti", en viendrait aux mains avec Philippe Pech de Laclause, l’avocat de la Ligue, lequel le menaça de faire appel au bâtonnier la prochaine fois qu’il l’accuserait de "dormir pendant les débats".

C’est qu’on se crut parfois en plein polar, messieurs dames, lors de ce procès au-dessus duquel le spectre de la corruption plana sans discontinuer. Vous connaissiez l’histoire de Claude Atcher et du chauffeur de taxi mongol, vous ? Non ? Nous non plus. Elle nous la fut contée par Celine Lasek, conseil dudit Claude : "Le parquet financier a tenté de prouver que la FFR avait acheté la Coupe du monde. Les policiers ont même entendu un chauffeur de taxi ayant paraît-il raconté qu’à l’occasion d’un voyage en Mongolie, mon client avait gardé sa mallette sur ses genoux durant tout le trajet. Trois ans après les faits, les policiers lui ont demandé : "Avez-vous transporté M. Atcher en 2017 ? – Peut-être… – Et avait-il sa mallette sur ses genoux ? – Peut-être… Mais c’est plutôt courant, vous savez… Vous n’avez pas des problèmes de mémoire, monsieur ?" Un peu de sérieux, madame la présidente ! Toute cette histoire n’est qu’une accumulation de fantasmes". Et puis, connaissiez-vous celle du milliardaire, du président et du jet privé ? Non ? Le 14 février 2017, alors que se tenait à Genève une réunion décisive de l’EPCR (l’instance gérant les coupes d’Europe), devait être tranchée la question du rachat du club de Gloucester par Mohed Altrad. Le "sujet étant éminemment politique", selon les termes alors employés par Serge Simon. C’est Bernard Laporte lui-même qui assista ce jour-là au vote, Pascal Papé, l’élu fédéral siégeant habituellement à l’EPCR, ayant été retenu sur d’autres fronts. "Monsieur Laporte, disait donc maître Gasnier, comment vous êtes-vous rendu en Suisse ce jour-là ? – En voiture, répondait l’ancien manager du RCT. J’étais au ski à Vars (Hautes Alpes, N.D.L.R.) et le trajet m’a pris environ 3 h 30. – Vous n’y êtes donc pas allé en avion ? Vraiment ?" Entendez par là qu’une rumeur avait un temps soufflé que Laporte, afin de rejoindre au plus vite la réunion de l’EPCR censée avoir un impact immédiat sur les intérêts de Mohed Altrad, avait emprunté le jet privé de ce dernier. L’effet de manche volait définitivement en éclats lorsque Fanny Colin, avocate du président de la Fédération, lançait aux juges : "Nous avons joint au dossier d’instruction une note de 80 euros de frais de péage correspondant au trajet effectué par M. Laporte ce jour-là." Un polar, on vous dit… Un polar à la chute ordinaire, certes. Mais un polar quand même…

Altrad, un salaire de 25 000 francs par mois

Mais le moment le plus étrange du procès, lui, survint peu après, lorsque la présidente annonça procéder aux traditionnelles "enquêtes de personnalités". Étrange ? Oui. Parce qu’en vingt minutes, les prévenus furent déshabillés en public et en vrac, on apprit donc que Bernard Laporte touchait un salaire annuel de 50 000 euros, eu égard à ses fonctions dans le comité des 6 Nations et à World Rugby ; que Serge Simon n’était plus salarié de la FFR depuis mars dernier et avait pour projet de monter un business à Bordeaux ; ou encore que Mohed Altrad, 32e fortune de France, percevait un salaire mensuel de "25 000 francs depuis trente ans", date à laquelle il avait monté sa "première boîte". Rangez vos kleenex, bonnes gens : ici, il va de soi que les dividendes que perçoit le patron du MHR de la myriade d’entreprises qu’il possède n’entrent évidemment pas dans la case "salaire mensuel" que lui présentait alors la juge et qu’en l’état, Mohed Altrad est à l’abri du besoin pour dix générations…

In fine, on achèvera cette bafouille n’ayant a priori d’autre vocation que celle de vous distraire, vous émouvoir ou satisfaire votre curiosité, par la saillie verbale de Jean-Pierre Versini-Campinchi, ténor du barreau et conseil de Laporte, exercice oratoire dont on regrette qu’il eut été si peu audible, puisque prononcé au terme d’un réquisitoire ayant largement secoué l’auditoire. Que disait Versini mardi soir ? Mot à mot, il exposait le pan méconnu du procès "Laporte-Altrad", créait "une affaire dans l’affaire" pour emprunter au lexique de Charles Pasqua, revenait aux origines de l’enquête. "Vous souvenez-vous, madame la présidente, d’Eric Russo ? Il fut le procureur des prémices de l’affaire, le magistrat qui mobilisa deux ans durant des dizaines d’enquêteurs sur le sujet qui nous occupe. Après avoir laissé ce bébé de vingt tomes dans les bras du procureur Dulin, lequel essaie depuis de mettre des carrés dans des ronds, M. Russo s’est vendu, avec dans ses valises le savoir-faire et les secrets du Parquet National Financier, à un cabinet d’avocats américain, Quinn Emanuel, cabinet dont l’objet est la protection de la grande délinquance financière. En 2021, l’association Anticor, partie civile dans son procès, lui a même décerné son "prix pantoufle", mettant en lumière la position pour le moins particulière, voire canaille, de ce magistrat. Je ne dis pas ça pour détourner le feu. Je vous expose des faits, madame la présidente. Et je concluerai par cette phrase vieille comme l’Egypte : "Qui gardera les gardiens, madame ?" C’est votre tribunal et nul autre… Nul autre… Merci…"

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