Abonnés

Séries - Le jour où j'ai disjoncté (2/5) : Fabien Pelous et le coup de pied au cul

  • Nigel Owens, l’arbitre gallois donne un carton jaune à Fabien Pelous pour son geste d’énervement.
    Nigel Owens, l’arbitre gallois donne un carton jaune à Fabien Pelous pour son geste d’énervement. Dave Winter / Icon Sport - Dave Winter / Icon Sport
Publié le Mis à jour
Partager :

Dans un sport où la discipline et la maîtrise des émotions sont érigées en vertues cardinales, les « pétages de plomb » n’en sont que plus légendaires, sur lesquels Midi Olympique reviendra tout l’été durant…
Cette semaine, Fabien Pelous. Au milieu d’une carrière immense et d’un palmarès hors normes, il reste ce point noir pour le joueur le plus capé de l’histoire du XV de France. L’ancien deuxième ligne Fabien Pelous, capitaine du Stade toulousain lors de finale de Coupe d’Europe perdue contre le Munster en 2008, avait craqué ce jour-là, écopant d’un carton jaune pour un geste de nervosité très inhabituel chez lui. Retour sur son « plus mauvais souvenir »…

C’était lors d’un entretien réalisé il y a quelques années, lorsque Fabien Pelous était le directeur sportif du Stade toulousain (entre 2015 et 2017), durant lequel l’intéressé revenait sur l’ensemble de son immense parcours avec ce club dont il a porté les couleurs en tant que joueur de 1997 à 2009 et dont il fut évidemment un capitaine charismatique. À l’heure d’évoquer les meilleurs souvenirs, ils étaient nombreux dans l’esprit de l’homme le plus capé de l’histoire avec le XV de France (118 sélections). Il faut dire qu’avec les Rouge et Noir, l’ancien deuxième ligne s’est forgé un palmarès assez exceptionnel : trois titres de champion de France et deux titres de champion d’Europe. Il n’y avait finalement qu’à piocher. Mais, quand il en avait fallu choisir ce qu’il reste de pire en sa mémoire, la réponse a fusé : « La finale de Coupe d’Europe perdue en 2008 contre le Munster. C’est tout simplement le plus mauvais souvenir de ma carrière. » Larges vainqueurs de Cardiff (41-17) en quart de finale, et après avoir battu les London Irish (21-15) en demi-finale à Twickenham, les Toulousains avaient rendez-vous en finale de la compétition au Millennium Stadium de Cardiff contre le Munster, qui avait déjà remporté l’épreuve deux ans plus tôt (en 2006). Pour les hommes de Guy Novès, il s’agissait d’asseoir encore un peu plus leur suprématie dans la compétition, eux qui comptaient trois sacres européens depuis sa naissance en 1996, plus que toute autre équipe.

« Je me sens l’unique responsable de la défaite »

Un duel au sommet entre deux ogres et, au-delà, une véritable opposition de style entre une formation toulousaine réputée pour son jeu aéré et flamboyant, puis un Munster dont la férocité du paquet d’avants faisait trembler l’Europe entière. « Quand on se remémore ce match, il laisse un goût amer, explique Pelous. Surtout pour moi… En fait, quand j’y repense, c’est la seule fois de mon parcours de rugbyman où je me sens l’unique responsable de la défaite de mon équipe. Dans le rugby, on a pour habitude de tout partager, les victoires comme les défaites. J’ai fait de bons matchs et j’en ai fait de moins bons. Mais, sur celui-là, je suis encore persuadé maintenant que je suis le seul responsable de la défaite. » En effet, lui et ses partenaires avaient fini par s’incliner de peu (16-13) en ce 24mai 2008, voyant les Irlandais soulever ce trophée tant convoité. Mais c’est bel et bien le scénario de la rencontre qui a donné une si grande frustration à l’ancien Dacquois. Retour sur ce qu’il s’est passé ce jour-là. À la pause, au terme d’un immense combat, les Stadistes se retrouvaient menés 6-10 après un essai en faveur du Munster inscrit par le troisième ligne centre Denis Leamy (33e). Malgré la botte de Jean-Baptiste Elissalde, l’incontournable Ronan O’Gara ne laissait pas ses adversaires revenir à hauteur, ajoutant trois points supplémentaires (13-6) à la 51e minute… Cette fameuse 51e minute. C’est à cet instant du match que les choses ont basculé pour Fabien Pelous, auteur d’une faute grossière et expulsé temporairement après avoir reçu un carton jaune. Lui l’appelle, encore aujourd’hui, « le coup de pied au cul. » Et il n’y a pas vraiment d’autre manière de nommer le geste…

« Je suis tombé dans le panneau »

C’est ainsi pour avoir balancé son pied sur les fesses du troisième ligne adverse Alan Quinlan, sur une phase de jeu où devait se disputer une mêlée fermée, que le Français avait été pris par la patrouille. Une réaction nerveuse et extrêmement inhabituelle chez lui qui a su conserver son sang-froid à tellement d’occasions dans les matchs au sommet. Pas cette fois-ci. Le même Quinlan avait livré sa version des faits quelque temps après : « Il y avait d’abord eu une petite confrontation entre Byron Kelleher (demi de mêlée du Stade toulousain, N.D.L.R.) et moi. » C’est alors que Pelous, en gardien du temple, était intervenu pour prendre la défense de son numéro 9. Jusque-là, tout allait bien. « Fabien Pelous m’a bousculé et je suis revenu vers lui pour marquer mon territoire », reprenait Quinlan. Dans la foulée, l’Irlandais s’éloignait de lui et c’est là que Pelous a craqué. « Il m’a marché sur le pied de façon volontaire en repartant, détaille l’ancien deuxième ligne. Sur le coup, j’ai eu mal et les émotions ont alors pris le pas sur la raison. Je n’étais d’ailleurs que dans l’émotion, j’étais vexé. Là, je suis tombé dans le panneau de la provocation. Mon réflexe a été plus bête que méchant. Il n’y avait pas violence là-dedans mais… » Nul besoin d’aller plus loin. Le piège était gros, et pourtant… Le pire, c’est que l’arbitre Nigel Owens n’avait rien vu de l’altercation mais c’est son juge de touche qui lui a signalé le coup de pied de Pelous. Voilà comment lui a récolté un carton jaune et comment O’Gara eut l’opportunité d’aggraver l’écart au tableau d’affichage. La mine déconfite, le Français est parti s’asseoir sur le banc de touche pour assister, impuissant, à la pénalité de l’ouvreur irlandais. Et Quinlan d’avouer : « Pour être honnête, j’étais un peu embarrassé après coup. J’ai été de nombreuses fois dans des situations houleuses mais je respecte tellement Fabien Pelous, un tel leader avec une telle carrière. À aucun moment, je ne pensais qu’il prendrait un carton jaune. »

« Le geste dont je suis le moins fier »

L’infériorité numérique n’avait néanmoins pas empêché les Toulousains de se relancer, grâce à un essai aplati par Yves Donguy (54e) et transformé par Elissalde. Quand Pelous est revenu sur le terrain, les deux équipes étaient donc à égalité (13-13). De quoi le placer dans une dynamique nouvelle ? Pas vraiment. « Quand je suis rentré, j’ai fait une faute et on a pris trois points de plus, souffle-t-il. J’ai vraiment eu l’impression d’être le maillon faible ce jour-là. » Il ne restait qu’un quart d’heure à jouer pour renverser la vapeur. Mais, à dix minutes du terme, les Munstermen se sont lancés dans d’interminables séquences de « pick and go » qui sont ensuite entrées dans la légende de ce sport. Ce n’était clairement pas spectaculaire, c’était même carrément agaçant mais c’était diablement efficace. Les Toulousains ne reverraient plus le ballon, ni donc la possession indispensable pour l’emporter sur le fil… La déception n’en fut qu’amplifiée. Pelous a subi cette scène, comme tous ses coéquipiers : « C’était frustrant mais on ne peut pas reprocher aux joueurs du Munster d’avoir utilisé une des armes du rugby. C’était le premier match où on assistait à ce genre de choses pour gagner du temps mais n’y avait rien d’illégal à faire cela. La règle l’autorisait, il n’y avait aucune tricherie. Quand on perd, on dit qu’il faut changer la règle mais, quand on gagne, on dit que c’est bien joué. Je me souviens même que, la saison suivante, j’avais demandé à mon équipe d’adopter la même stratégie pour tenir un score ou garder un bonus. »

Reste que la trace demeure indélébile pour Fabien Pelous qui n’avait pas su maîtriser ses nerfs et gérer les événements lors de cette finale. Lui dont c’était une des principales forces. « Le plus dur, c’est que j’avais l’expérience des matchs à fort enjeu, que j’étais capitaine, grince-t-il. Mais c’était une période où ça n’allait pas trop dans ma vie personnelle. Ce jour-là, j’étais sûrement à fleur de peau.» Et d’ajouter : « Ce coup de pied aux fesses fut quelque chose d’assez marquant pour moi. Pour les autres aussi certainement, car le geste est un peu atypique. C’est en tout cas celui dont je suis le moins fier. Pas forcément pour le coup de pied au cul qui était davantage un réflexe de père de famille qui veut, non pas faire mal, mais marquer le coup avec son fils. Mais plutôt pour ses conséquences. » Puis de terminer avec un léger sourire : « J’espère que les gens ne retiennent pas que ça de ma carrière. » Non, bien évidemment. Et c’est certainement l’avantage de posséder un CV aussi énorme que le sien.

Vous êtes hors-jeu !

Cet article est réservé aux abonnés.

Profitez de notre offre pour lire la suite.

Abonnement SANS ENGAGEMENT à partir de

0,99€ le premier mois

Je m'abonne
Voir les commentaires
Réagir
Vous avez droit à 3 commentaires par jour. Pour contribuer en illimité, abonnez vous. S'abonner

Souhaitez-vous recevoir une notification lors de la réponse d’un(e) internaute à votre commentaire ?