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Comment Bordeaux a étouffé sa crise

  • L’ouvreur, sorti à la 56e minute avant de revenir pour disputer la fin de match, est salué par son manager Christophe Urios.  Photos Midi Olympique - Patrick Derewiany
    L’ouvreur, sorti à la 56e minute avant de revenir pour disputer la fin de match, est salué par son manager Christophe Urios. Photos Midi Olympique - Patrick Derewiany
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La drôle de saison et de semaine de l’UBB s’est terminée par cette défaite sans appel contre Montpellier suivi d’un après-match curieusement apaisé. Un vrai paradoxe.

La vie de l’UBB a emprunté un drôle d’ascenseur émotionnel, au cours de cette semaine mémorable et pas facile à suivre. Elle a commencé le dimanche 12 juin, dans le fracas d’un après-match pourtant gagné brillamment, Bordeaux-Racing. Avant de se terminer dans une ambiance finalement apaisée et consensuelle après un match… perdu nettement face à Montpellier. Un revers que les Bordelais semblaient finalement accepter avec un certain fatalisme. Comme s’il était admis que la marche proposée par Montpellier était trop élevée pour l’UBB. Cette demi-finale ressemblait à une descente après un moment de grand stress et de crispation, une crise de croissance pour un club ambitieux et qui a du mal à canaliser toutes ses forces.

Cameron Woki et Matthieu Jalibert sont réconfortés par la famille du deuxième ligne après le coup de sifflet final.
Cameron Woki et Matthieu Jalibert sont réconfortés par la famille du deuxième ligne après le coup de sifflet final.

Des mots qui font tout exploser

Tout était parti des déclarations de Christophe Urios après la défaite face à Perpignan, quand il cita nommément Matthieu Jalibert et Cameron Woki. "Si on veut être des champions, on doit passer un cap. On a des internationaux, des mecs qui ont plein d’ambition et il faut qu’on aille vite ! Cameron (Woki, N.D.L.R) je ne le vois pas, Matthieu (Jalibert, N.D.L.R) je ne le vois pas. On se retrouve troisième. Finalement, sur la deuxième partie de saison, on ne mérite pas d’être dans le top 2."

Puis tout avait rebondi une semaine plus tard quand les deux joueurs, forts de leur succès et de leurs performances personnelles face au Racing, avaient répondu à leur coach à leur façon : gestuelle, comportementale et verbale. Urios avait rétorqué vertement dans la foulée. "Le patron, c’est moi et personne d’autre."

On avait compris depuis plusieurs jours que Christophe Urios avait tenté un coup de poker managérial : laisser la préparation aux joueurs eux-mêmes pour les responsabiliser. Leur transférer le poids de la préparation du match. "Cette semaine, j’ai pris un risque incroyable car il fallait que l’on se révolte. Je me suis mis mon vestiaire à dos, c’était une première. Je n’avais jamais eu à coacher un groupe comme ça, j’apprends. Depuis trois mois, il y a eu tellement de promesses non tenues." Côté joueurs, le malaise à l’encontre de leur entraîneur venait vite sur le terrain du management, et la lassitude de devoir toujours se justifier face à un patron qui aime tout contrôler.

Picamoles, Trinh-Duc font parler leur expérience

Bastien Vergnes-Taillefer en dit plus sur la prise de responsabilités des joueurs, démontrant que ce n’était pas un artifice : "Après la défaite à Perpignan, le groupe n’était pas bien. Nous nous sommes resserrés autour de leaders tels que Max Lucu et François Trinh-Duc. Christophe Urios nous a laissés face à notre destin. Ils ont pris le groupe à leur charge, ils nous ont fait les vidéos, expliqué les points forts et les points faibles de l’adversaire." D’autres sources ajoutaient un autre nom au duo précité : Louis Picamoles, capable lui aussi d’user de son expérience et de son aura pour fédérer le groupe. Picamoles et Trinh-Duc avaient en plus vécu l’expérience de la Coupe du monde 2011, quand le XV de France s’était pris en main, lui aussi, à l’encontre du sélectionneur Marc Lièvremont. Tout ça pour finir en finale.

Lucu s’impose en nouveau patron

De cette séquence on a aussi retenu la montée en puissance de Maxime Lucu. à la différence de François Trinh-Duc et de Louis Picamoles, il ne quitte pas le club. Il est le leader sur qui Urios veut s’appuyer pour tirer tout le monde vers l’état de mobilisation maximale, en vue des objectifs que se donne le groupe. C’est ainsi que le coach voit les choses. "Lui, il m’impressionne par la régularité de ses matchs. C’est un vrai mec. Plus l’équipe est bonne, moins tu le vois. C’est une courroie de transmission essentielle. Il fera partie des joueurs importants pour l’année prochaine. Il a changé de statut à mes yeux." Interrogé sur un statut de patron sportif, Urios précisait encore : "C’est un rassembleur… Souvent c’est lui qui a le dernier discours avant le match. Et il fait ce qu’il dit. Mais sur le jeu proprement dit, le patron chez nous, c’est plutôt le 10, dans la façon dont s’organise notre jeu."

Maxime Lucu avait expliqué auparavant la façon dont il avait parlé à ses coéquipiers : "Matthieu et Cameron sont des grands garçons, ils jouent quand même en équipe de France. Ils étaient conscients de ne pas avoir fait un bon match à Perpignan sans avoir besoin du discours du staff… Mais ces joueurs nous ont portés tout au long de la saison, même si Matthieu a vécu cinq mois de galère à cause de ses blessures. Il fallait donc les remettre en confiance. J’ai de l’admiration pour Matthieu, vous savez. Il fallait se parler pour éviter qu’on se morfonde. Je lui ai dit que, moi aussi, je n’avais pas été à la hauteur. Vous savez, Matthieu, c’est quand il est en confiance qu’il peut sortir des matchs comme celui d’aujourd’hui."

La question du leadership et des blessures

De longue date, dans ses discours, Urios évoque un problème de leadership. Une tendance aussi de ses joueurs à se centrer sur eux-mêmes, à préparer leur match davantage que celui du groupe entier. "Comment réduire l’écart entre l’intention et l’action ? Au sens où on dit des choses et on ne les fait pas, pourquoi ?" a-t-il souvent expliqué. Autre point épineux, la question des blessures, trop nombreuses et de leurs rechutes. Dont celles de Matthieu Jalibert. Publiquement critiqué par l’ouvreur international, un médecin en a fait les frais : Damien Monnot, écarté par le club au début du printemps.

Marti lance l’apaisement…

Le lundi, lendemain de l’exposition des déchirures sur la place publique après la victoire face au Racing, Laurent Marti prit la parole sur Rugbyrama. ll y jouait son rôle de président pour faire baisser la tension. "On est dans le sport professionnel, avec des ego forts. À l’UBB, nous avons des compétiteurs et je ne vais pas m’en plaindre. Que ce soit dans le staff ou dans le groupe de joueurs, j’ai des personnes à fort caractère. C’est très bien. Ce genre de sortie, c’est un peu la loi du genre. Mais ne vous inquiétez pas, il n’y a rien de grave…"

Pour le président, la mission de la semaine consistait à faire baisser la pression en écoutant les doléances des uns, puis des autres. Son entraîneur est sous contrat jusqu’en 2025, Matthieu Jalibert aussi. Cameron Woki est lié jusqu’en 2023. Laurent Marti anima donc des réunions en interne, avec pour objectif de faire baisser la tension et remettre tout le monde dans le sens de la marche.

…Urios le suit

Dès le mardi précédant la demi-finale, Christophe Urios entama sa prise de parole sur le ton de l’apaisement. Même s’il fit référence à une semaine précédente "tendue" tout en expliquant qu’il allait "la fermer" pour préparer sa demi-finale : "Tout ce qui s’est dit, j’en ai rien à cirer. J’ai passé l’âge. Je sais ce que je fais, et ce que je ne dois pas faire. Aujourd’hui, je dois la fermer. Un incendie ? Quel incendie ? C’est vous qui le créez." Un processus de remise en ordre de marche était enclenché, même si Christophe Urios, en parlant de Bastien Vergnes-Taillefer déclara, mais sur le ton de l’humour : "Attention à ce que vous écrivez, parce que c’est chaud en ce moment, hein ? Ne commencez pas à me foutre à dos tous les mecs, j’en ai déjà beaucoup ! (rires)"

Face à l’ampleur du défi, les forces ont tempéré leurs positions et arrêté de s’éparpiller. Semaine de demi-finale, le staff a repris une partie de ses prérogatives. Les derniers entraînements ont confirmé cette impression. Cameron Woki vint longuement saluer les supporteurs bordelais jeudi matin, geste interprété comme un signe d’apaisement.

Les cadres et Urios se réunissent le vendredi

Arrivé à Nice, on vit même le troisième ligne international échanger quelques mots avec Christophe Urios. On apprit qu’une réunion de cadres avait eu lieu avec le manager, le vendredi pour faire le point sur la façon d’appréhender l’adversaire montpelliérain, battu deux fois sur deux en saison régulière.

La caméra de Canal + installée dans le vestiaire saisit même une accolade entre Urios et Woki au moment de la préparation finale, quand il fallait chercher la bonne adrénaline. Pour la troisième fois de la saison, le coach avait aligné son joueur en deuxième ligne, le poste qui lui a permis de briller durant le dernier Tournoi des 6 nations.

Puis vint le match. Décevant d’un point de vue sportif, évidemment. Christophe Urios avait tenté un autre coup de poker : faire sortir Matthieu Jalibert à la 56e, échanger une poignée de main franche avec lui. Puis le faire revenir à la 69e et le placer à l’arrière. Le coup de l’électron libre aurait pu marcher quand, à la 77e, "MJ" faillit saisir un coup de pied à suivre de François Trinh-Duc pour aller marquer. Mais le rebond lui fut défavorable (mais sur l’action, Jefferson Poirot fut reconnu coupable d’une faute ce qui atténua tous les regrets).

Matthieu Jalibert : "Nous n’avons jamais lâché Christophe"

Le demi d’ouverture international vint s’exprimer ensuite. Opération bien rodée : le service de communication l’amena très vite donner son avis et finir de calmer le jeu : "Il n’y a jamais trop eu de tensions. Il y a eu des mots qui ont été mal interprétés, on en a parlé avec Christophe. Je voulais juste dire que peu importe ce qu’il pouvait dire dans la presse, ce n’était pas une source de motivation pour nous. Mais Christophe ne nous a jamais lâchés et nous n’avons jamais lâché Christophe. Il n’y a qu’à venir à Moga et vous verrez comment on s’entraîne. Il n’y a jamais eu de fracture dans le vestiaire. Il y a eu de la tension parce qu’on veut gagner, on veut aller le plus loin possible. Il ne faut pas en rajouter outre mesure."

Urios : "pour moi, la suite, c’est Bordeaux"

Quelques minutes après, Christophe Urios vint s’exprimer à son tour. Très calmement, sans volonté d’en rajouter. Rétif à évoquer l’idée même des tensions passées : "Oui, aujourd’hui, les meilleurs ont gagné. Je suis moins énervé qu’à Perpignan car là-bas, on avait éclaté collectivement. On n’était pas prêts. Oui, cette saison a été longue et difficile. Mais j’ai beaucoup appris sur mon métier et aussi sur notre état d’esprit." Avant de préciser sur la question de son avenir en Gironde, un temps mis dans la balance. "Pour moi, la suite, c’est Bordeaux. Bien sûr, je resterai à Bordeaux. Au moins la saison prochaine (sourire). Vous savez, tout ça fait partie de l’évolution du club. Mais il faut faire plus que ce qu’on fait, c’est tout. C’est aussi simple que ça."

Ce fut l’épilogue paradoxal de cette semaine et de cette demi-finale vécues finalement comme un long decrescendo. Une situation qu’on rencontre quand même rarement. Une vraie curiosité. À voir, désormais, quelles traces cela laissera dans le quotidien du vestiaire bordelais. Dans les prochains jours, le bilan de fin de saison ne pourra pas éluder cet épisode.

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