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Wiaan Liebenberg (La Rochelle) : « En rugby, j’arrivais au bout du tunnel : il fallait que j’en sorte »

Par Propos recueillis par Romain ASSELIN
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Publié le Mis à jour
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En forme olympique à quelques encablures de sa fin de carrière, le flanker sud-africain de 29 ans entend bien « vider le réservoir » jusqu’à la dernière goutte avant de repartir vivre dans l’Hérault et changer totalement de vie. D’ici deux mois tout au plus, l’ancien capitaine du MHR ne voudra plus entendre parler de rugby. Confidences.

Vous avez forcément entendu certains supporters crier « Wiaan, continue ! », ces dernières semaines ?

(rires) Ça me touche. Je suis arrivé ici après une période difficile due à mon départ de Montpellier. Si j’avais décidé de continuer, je serais resté à La Rochelle. Il était hors de question de partir ailleurs. Je ressens une attente mutuelle.

Ce n’est pas si commun, pour une aventure qui s’annonçait très brève…

C’est vrai que je suis arrivé comme joker médical (de Lopeti Timani, fin 2018, N.D.L.R). J’ai eu un peu de chance, avec les graves blessures de Timani et Bourdeau. Je jouais tout le temps, c’était génial, c’était ce qu’il me fallait. Après, le Stade a eu de beaux résultats, ça aide. Sinon, ça aurait été différent, je n’aurais pas fait le même effet (rires). Je suis reconnaissant envers le club et le public. Je me souviendrai toute ma vie de ces trois années et demie.

Vous semblez au sommet de votre art depuis l’annonce, fin février, de votre décision d’arrêter. À l’image de votre match XXL à Pau ou encore vos 40 plaquages réussis lors des deux premiers duels contre l’UBB. Du grand Wiaan Liebenberg, non ?

J’arrête le rugby non pas parce que je n’ai plus le niveau, mais par rapport à mes autres passions et une envie de changement. Ça ne me dérange pas de finir épuisé parce que je n’ai pas d’intersaison derrière. J’ai envie de vider le réservoir (rires), qu’il ne me reste plus rien.

L’esprit totalement libéré ?

Oui, dans le sens où tout le monde est au courant de ma décision. Je n’ai plus besoin d’éviter la question, « qu’est-ce que tu vas faire la saison prochaine ? ». Mais ça ajoute une pression supplémentaire car j’ai vraiment envie de bien terminer. Je ne veux pas que les joueurs se disent : « Lui, vu qu’il est prêt à partir, il n’est pas aussi engagé qu’avant ».

Aucun regret depuis votre annonce ?

Vraiment pas. J’ai vécu dix années magnifiques dans le rugby, sans blessure grave. Je suis reconnaissant envers ce sport qui m’a permis de faire plein de rencontres. Notamment celle de ma femme, en France. J’ai décroché un Master 2 grâce aux contacts du club avec l’école de commerce. J’ai l’impression de sortir gagnant de cette affaire. Je veux finir au plus haut de ma forme. Ne pas subir et que ce soit le rugby qui me dégage. C’est le moment de changer.

À 29 ans, vous rejoindrez les « jeunes retraités » …

Avant, ça ne me serait jamais venu à l’esprit d’arrêter à cet âge-là. Au contraire ! Ça fait deux ans que je réfléchis. À ce que je veux faire, à la personne que je veux être. Mon cerveau s’est mis en marche pendant le premier confinement. Mon amitié avec Zeno Kieft (flanker rochelais de 2010 à 2021, N.D.L.R.) a eu un effet.

Lui aussi a pris sa retraite, la saison dernière, à 29 ans…

Il avait d’autres projets à poursuivre. Il est en reconversion pour devenir psychologue dans le sport. Aujourd’hui, il est papa.

Vous parliez d’effet…

Ça m’a montré que c’était possible. Si on a d’autres passions, si notre cœur nous parle, on peut l’écouter. J’avais juste peur de la prendre, cette décision.

Peur d’être jugé ?

(Il réfléchit) La période du Covid m’a débarrassé de cette peur. Le fait que je ne sois pas vacciné – ce qui n’a rien à voir avec ma décision de prendre ma retraite – me mettait à contre-courant. Or, j’ai fait un travail sur moi-même. C’est ma vie, mon choix. Le regard des autres n’est plus important.

Quelle peur évoquiez-vous, alors ?

Du saut dans l’inconnu. Je ne savais pas comment je subviendrai aux besoins de ma famille, quel métier je pratiquerai. J’avais peur de me faire chier. Le confinement m’a permis de me tester, de voir que je peux profiter de mes journées même si je ne suis pas tout le temps sur un terrain de rugby. Quand je passe du temps avec ma femme, à la maison, c’est génial. J’ai compris que même les choses anodines de la vie courante sont belles. Je vois ce que ça fait aux gens, un week-end libre. Ça me donne envie. J’en ai été privé cette dernière décennie.

Un trop-plein de sacrifices ?

Avant, les bénéfices étaient plus importants. Depuis que je suis marié – on n’a pas encore d’enfant ni le projet d’en avoir bientôt – je suis conscient de l’importance de la famille. Mon frère, ça fait trois ans qu’il est en Angleterre, juste à côté (Hanro Liebenberg joue à Leicester, N.D.L.R.). Il y a des vols La Rochelle-Londres, mais je n’ai jamais pu y aller. Soit à cause du Covid, soit parce que je joue tous les samedis et lui aussi. C’est un trop grand sacrifice. La balance a penché de l’autre côté.

De plus en plus de sportifs de haut niveau brisent le tabou de la dépression. Avez-vous traversé une forme de dépression ? Ou, du moins, une phase de « ras-le-bol » ?

Tout à fait. J’ai eu la chance que le Covid abrège la saison, en 2020. Heureusement que je ne suis pas allé au bout de cette saison-là…

À ce point ?

J’en avais marre ! L’impression d’être emprisonné. Le confinement est tombé au bon moment, il m’a permis de changer mes pensées. Pour être performant, tu dois répéter les mêmes choses tout le temps. Tout ce qu’on fait est mesuré, hyper cadré, il n’y a pas beaucoup de libertés. J’arrivais au bout du tunnel, il fallait que j’en sorte.

Ça ne se voyait pas sur le terrain, si ?

Je continuais à faire des extras pour rester performant, sans trop écouter mes émotions. Je m’étais engagé auprès du club, du staff, de mes coéquipiers, il n’était pas question de les décevoir.

Et si le confinement n’était pas passé par là ?

Ça aurait traîné, ça aurait impacté ma performance. C’est pour ça que je disais « heureusement ». Je devais me débarrasser de ces sentiments.

Parlons de votre future vie. Qui sera Wiaan Liebenberg sans maillot ?

Un conseiller en gestion de patrimoine, je l’espère. Pour épauler les gens qui veulent des conseils sur les investissements en Bourse, les investissements immobiliers, leur transmission… C’est très large.

En France ?

Avec ma femme, on va s’installer près de Montpellier, à la campagne. Mes beaux-parents y sont. On va vivre comme monsieur et madame Tout-le-monde, c’est ce qui nous donne envie.

C’est pesant de ne pas être monsieur et madame Tout-le-monde ?

Oui. Je comprends que cette vie-là a aussi ses enjeux et ses problèmes. Je ne suis pas en train de l’idéaliser. J’ai conscience d’être un privilégié. Je ne me plains pas parce que je suis hyper reconnaissant. D’où l’envie de redonner aux autres, m’investir dans une commune.

Socialement, politiquement ?

Pas forcément politiquement. Plus socialement. C’est devenu important pour moi. Avec le rugby, tu bouges beaucoup, tu n’as pas la sensation d’être ancré quelque part. À Montpellier, on veut mettre nos racines. Faire du bénévolat, s’impliquer dans le quartier…

Un travail de l’ombre, comme votre rôle sur le terrain, en somme…

(rires) Je n’aime pas du tout la lumière, je fais exprès de l’éviter. L’ombre convient mieux à mon personnage. J’aime être utile là où ça ne se voit pas forcément.

Vous l’avez eu, la lumière, en début de carrière, comme capitaine de la seule génération de Baby Boks (2012) titrés champions du monde…

J’étais beaucoup plus égoïste, tout tournait autour de moi. Depuis que je suis marié, je suis conscient que le partage est important.

Vous parliez d’autres passions, plus haut…

J’adore les randonnées en montagne. Je veux retourner vers la nature, me tourner vers l’autonomie alimentaire, la permaculture… Je m’intéresse beaucoup à l’histoire. Notre modèle économique nous éloigne de notre nourriture. On doit travailler pour gagner de l’argent et pouvoir faire nos courses. Il n’y a pas si longtemps, beaucoup de gens se nourrissaient eux-mêmes. J’ai envie de découvrir ça, sans revenir en arrière. Je garderai toujours mon portable et mon ordinateur, je ne vais pas m’enfermer dans les forêts (rires).

Couperez-vous totalement avec le rugby et le sport en général, après votre dernier match ?

Si je dois répondre aujourd’hui : oui. Aucune envie de rester dans le rugby ! Ni en tant qu’entraîneur ni quoi que ce soit. Même pas spectateur.

Même pas devant votre poste de télévision ?

Il faudrait vraiment que ce soit une grosse affiche ! Mais j’ai quand même déjà chauffé tous mes potes d’Afrique du Sud pour louer un petit camion et aller voir les matchs du Mondial 2023. Peut-être qu’après quelque temps, je pourrais retrouver ma passion pour le rugby.

Donc, si l’on vous repose la question un peu plus tard…

Peut-être que je réintégrerai une petite équipe à côté de chez moi. Juste pour le plaisir. Aujourd’hui, ce n’est pas concevable. Quand j’ai décidé de faire quelque chose, je ne pense qu’à ça. Ça fait partie de mon personnage.

Aucune crainte, donc, de ressentir un manque !

(il se marre) Si vraiment ça m’arrive, je dis bien si vraiment, je pourrais peut-être encore rejouer après trois mois, six mois, un an.

Au niveau pro ?

Oui. Mais honnêtement, je ne pense pas que ça peut m’arriver, vu que je n’ai aucun regret. De toute façon, physiquement, je ne vais pas rester en forme, ça ne va pas le faire !

Une question vache pour finir…

(il éclate de rires)

Vous perdez encore deux finales, comme la saison passée, que faites-vous ?

Je quitte la France, j’éteins mon portable deux mois, je ne regarde aucune télé (rires). Non, je vais tout faire pour que cela ne nous arrive pas de nouveau. Mais on ne sait jamais. C’est pour ça que j’ai fait un travail sur moi-même. Même si ça recommence, ça ne changera ni ma perception de moi-même, ni ma décision d’arrêter ma carrière. Ce serait dommage mais je prendrais le positif et j’avancerais.

Par contre, si vous partez sur un titre…

La meilleure troisième mi-temps de ma vie ! Obligé de faire un voyage avec les joueurs. La seule chose de notée dans le calendrier, pour l’instant, c’est ce voyage de fin d’année (sourire).

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