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La fin tragique de Martin Aramburu

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    La fin tragique de Martin Aramburu
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Le triomphe du XV de France aura été voilé par une affaire atroce. Le meurtre de Federico Martin Aramburu, ancien international argentin, champion de France avec Biarritz.

Monter à Paris pour célébrer une tunique bleue et se retrouver avec un linceul d’une blancheur sépulcrale, comme ça, en plein Boulevard Saint-Germain. Une vision atroce pour lancer une journée qui aurait dû être une apothéose. Samedi matin, la nouvelle se répandit dans le monde du rugby français. Beaucoup d’anciens du BO notamment ont relayé la terrible nouvelle avant qu’elle ne devienne un fait divers.

Federico Martin Aramburu, ancien international argentin, installé en France, a été tué par balles. La première rumeur faisait état d’une bagarre rue Princesse, haut lieu de la convivialité liée au rugby. Mais dans la petite artère du quartier, aucun signe du drame. On eut tôt fait de nous indiquer qu’il s’était noué à quelques dizaines de mètres de là, carrément sur le Boulevard Saint-Germain. Sur le coup, la nouvelle renforça l’incongruité et même l’absurdité de la nouvelle. Autant, on peut vaguement se dire que la promiscuité de la rue Princesse peut éventuellement favoriser une rixe entre esprits échauffés, autant on a du mal à l’imaginer sur un trottoir du majestueux boulevard Saint-Germain, symbole d’un certain Paris, plutôt raffiné. Le genre d’endroit où, sans s’en rendre compte, on demande son chemin à un ancien ministre ou à un acteur. Oui, à quelques centaines de mètres du Flore, des Deux-Magots et de l’église de Saint-Germain-des-Près, un homme a été froidement abattu.

Au petit matin, un appel a été diffusé sur les canaux internes de la police, le signalement d’une voiture recherchée avec deux personnes à l’intérieur. Avec mission de l’intercepter à ceux qui croiseraient son chemin. Les policiers en service comprenaient tout de suite que l’affaire est très sérieuse. Et puis, la nouvelle s’est diffusée petit à petit, via la houle des réseaux sociaux. Les anciens joueurs de Biarritz, qui avaient connu Federico Martin Aramburu, en furent les autres vecteurs. Untel l’apprend à untel, qui transmet à tel autre. En quelques heures, les ondes convergeaient vers le carrefour de l’Odéon. Voilà comment une journée promise à la célébration virait au cauchemar. Voilà comment le journalisme sportif où, en principe, il ne doit pas y avoir mort d’homme, se transformait en couverture d’un fait divers.

Six coups de feu entendus

La rue Princesse, le quartier latin, les alentours de l’église Saint-Sulpice se voilent à nos yeux. Au lieu de déguster pays de Galles-Italie dans un pub anglo-saxon, on se retrouve à préciser les circonstances d’un crime. Une marche fébrile sous un soleil printanier au milieu des immeubles chics, l’œil rivé sur l’application Google Maps, ses messages sans fioriture et sa voix synthétique : direction le commissariat du sixième arrondissement, rue Bonaparte et son accueil engageant, mais ferme. "Désolé, on ne peut rien vous dire."

Une information avait déjà filtré : tout aurait commencé dans un établissement du boulevard Saint-Germain, une brasserie avec terrasse, le Mabillon. À cinq minutes de marche. Une caméra de télé vient d’y faire son apparition. On y pénètre. L’employé qui nous fait face explique : "Ça ne s’est pas passé ici, mais à 150 mètres dans cette direction, sur le même trottoir." Une autre brasserie, plus classique d’apparence. Autre refus poli : "Désolé, ça s’est passé ce matin. Je n’étais pas là." Plus tôt, un supporter toulousain, monté pour l’occasion, avait confié : "C’est incroyable, je suis rentré à mon hôtel vers 5 h 30 du matin et au réveil, dans la rue, je voyais des policiers et la scène de relevé d’indices. Comme dans une série ou un film."

Mais les informations continuent de fuiter, et elles deviennent plus précises. Une autre source nous précise les circonstances. Il y a bien eu une altercation dans le premier établissement (Le Mabillon), avec intervention de la sécurité. Le Figaro confirme que Martin Aramburu aurait tiré l’un des excités par la capuche, jusqu’à le faire tomber.

L’altercation aurait pu et dû en rester là. Un peu plus tard, l’affaire bascule dans l’horreur. Federico Martin Aramburu, avec son ami et associé Shaun Hegarty, était en chemin vers son hôtel. Les fauteurs de trouble reviennent dans un véhicule de type Jeep. Deux coups de feu s’en échappent. Puis, un autre individu, serait survenu à pied pour saisir une arme dans la voiture : six coups de feu, dont cinq qui touchent l’ancien joueur. Le tireur aurait ensuite pris la fuite par la petite rue de Buci, attenante.

Martin Aramburu ne verra donc jamais France-Angleterre. Il était venu pour ça, pour accompagner un groupe de supporters. Les informations continuent à circuler. Federico se trouvait avec un groupe d’amis, dont Jean-Baptiste Gobelet, lui aussi champion de France avec le BO. Ce dernier nous a confié sa version avec beaucoup de dignité : "C’est un meurtre en plein Paris, incompréhensible. J’ai passé toute la soirée avec Federico et Marcelo Bosch, dans un restaurant argentin. Mais comme j’habite à l’Ile Maurice, j’ai ressenti le décalage horaire et je suis rentré avant les autres… Eux sont restés dehors, avant de revenir à leur hôtel. Et ils sont tombés sur des voyous. Oui, il y a eu une première échauffourée car ces gens parlaient mal à l’ensemble de la terrasse. Les choses se sont envenimées. Vous savez, une bagarre ça peut toujours arriver. Mais ces gars sont revenus… Ils ont tiré à bout portant. Vous vous rendez compte ? Il n’y avait aucun compte à régler. Federico n’était pas quelqu’un de belliqueux, il n’était pas alcoolisé. En plus, il travaillait le lendemain puisqu’il accompagnait des gens au match. Il n’était pas dans un état second. Il était très professionnel et il était avec ses clients jusqu’à deux heures du matin environ."

Une mauvaise rencontre, inopportune selon Gobelet au comble de l’émotion. Cinq minutes d’avance ou cinq minutes de retard et le cours de l’histoire en aurait été changé. "Ils étaient à pied et avant d’aller se coucher, ils sont entrés dans le deuxième établissement pour demander de la glace car ils étaient amochés de la bagarre."

Ces mots, l’ancien ailier du BO a accepté de nous les confier aussi pour rendre hommage à son ami. Avec cette irruption de violence, c’est tout un pan de vie qui défilait : "C’était une personne solaire. En tant que joueur, il bonifiait le groupe qui était autour de lui. En tant qu’être humain, il était du même acabit. Il était très important, un équipier modèle. Il avait aussi réussi son après-carrière, avec de gros projets en vue de la Coupe du monde 2023. Il était en pleine ascension… Federico, je suis parti dans sa famille en Argentine. Je connais très bien ses parents. J’ai joué avec lui à Biarritz, contre lui avec les Barbarians."

Des suspects issus de l’extrême droite

Le paradoxe de cette journée devient insupportable. On parle de la mort d’un homme alors qu’au dehors, monte une pression positive. Dans chaque bar du quartier latin, Français et Anglais s’enthousiasment devant un pays de Galles-Italie d’anthologie, parfait hors-d’œuvre au match du sacre pour les Bleus. On imagine les sentiments de ceux qui ont vécu, même indirectement, le drame. Les informations se diffusent et le profil des suspects se se dessine : des personnes liées à des mouvements d’extrême droite et défavorablement connues des services de police. Le tireur aurait même sorti un faux brassard de police, lors de la première bagarre.

À mesure que la foule converge vers le Stade de France et que les joueurs entament leur préparation, des éléments se précisent, soulignant un horrible effet de concurrence dans les esprits. Témoignages, caméras de surveillance, le travail de la police progresse à grands pas jusqu’à la publication du nom d’un suspect par nos confrères du journal Le Point : Loïk Le Priol, ancien membre du GUD (Groupe Union Défense), connu comme un militant violent, déjà jugé pour des faits graves (contre ses propres amis politiques). On a aussi parlé de propos xénophobes en préambule à la première rixe. Toujours selon nos confrères du Point, des propos à connotation racistes auraient été tenus par les agresseurs : "Vous n’êtes pas d’ici, on est chez nous."

Jusqu’au bout de ce samedi aux deux facettes émotionnelles, les événements se sont télescopés. Y compris dans l’après-match, lorsque le dernier joueur interrogé en conférence de presse, Maxime Lucu a évoqué sa proximité avec le disparu et même un contact direct la veille de la rencontre (lire page 13). Un voile noir sur le triomphe du XV de France.

"C’était une personne solaire. En tant que joueur, il bonifiait le groupe autour de lui." Jean-Baptiste GOBELET, ancien coéquipier à Biarritz

"Je suis rentré à l’hôtel vers 5 h 30 du matin et le lendemain, dans la rue, je vois des policiers […] comme dans une série ou un film.", un supporter.

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