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« Dans les pas des Chlemards » : récit d'un week-end de dingue

  • Moments intenses de communion avec le public, la famille et les amis. Cette équipe suscite des émotions que les Bleus ont partagées. Ici, Gabien Villière, Paul Willemse, Antoine Dupont ou Romain Taofifenua. Photos Midi Olympique - Patrick Derewiany
    Moments intenses de communion avec le public, la famille et les amis. Cette équipe suscite des émotions que les Bleus ont partagées. Ici, Gabien Villière, Paul Willemse, Antoine Dupont ou Romain Taofifenua. Photos Midi Olympique - Patrick Derewiany
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Après douze ans d’une interminable attente, le XV de France a remporté samedi soir le dixième grand chelem de son histoire. L’occasion, pour nous, de revenir sur un week-end d’une rare intensité émotionnelle...

Quelle folie ce fut, avant : un stade plein comme une huître, une compo d’équipe hurlée d’une seule voix par le "SDF", une Marseillaise a cappella, dix millions de zigs devant France Télévisions et partout, cette acrimonie culturelle, historique même, vis-à-vis d’une Angleterre pourtant poussive, souffrante et quasiment inoffensive. Quelle folie ce fut, pendant : une charge de rhinocéros de Greg Alldritt, les courses chaloupées de Damian Penaud et tout autour, le souffle brûlant d’une équipe indomptable, qui frappe, cogne et tape quand d’autres contrôlent, gèrent ou schématisent. Et quelle dinguerie ce fut, après : jeux de lumière, discothèque à ciel ouvert et en tout lieu, cette magie du Tournoi qui rendit si touchants Courtney Lawes et ses coéquipiers, présents sur la pelouse jusqu’au point final d’un cérémonial pourtant long d’une demi-heure, quand d’autres auraient tourné les talons pour se réfugier sous la douche. "Même si on ne réalise pas encore totalement, confiait Melvyn Jaminet après le Crunch, c’est une émotion indescriptible. Quand je suis sorti du terrain et que j’ai regardé ce stade… Pfff… Tout le monde criait, tout le monde était si heureux… Je crois que c’est pour vivre ce genre de moments que l’on joue au rugby."

Barnier, Guazzini, Rivière, Castex…

Dans les vestiaires du Stade de France, la foule était "dense", pour reprendre l’expression qu’utilisa Fabien Galthié un peu plus tard, face à la presse. Il y avait là l’ancien ministre des Affaires Etrangères Michel Barnier, le Premier ministre Jean Castex ou le père du Stade français contemporain Max Guazzini, rappelant justement que parmi les quatre derniers sélectionneurs vainqueurs du grand chelem, trois (Bernard Laporte, Marc Lièvremont, Fabien Galthié) furent un jour des soldats roses. Il y avait aussi, dans le saint des saints, le général Alain Lardet, patron de la Légion Etrangère en France, ou encore le colonel Henri Leinekugel Le Cocq, chef de corps du régiment de Carpiane qui avait accueilli les Bleus fin janvier, soit peu avant que le Tournoi ne débute : ici, certains joueurs s’arrêtaient pour saluer les gradés, tailler la bavette, refaire le stage commando et parler d’un temps où le seul mot de grand chelem était tabou.

Dans un coin du vestiaire, un espace avait été aménagé pour tirer les portraits des Bleus, le trophée coincé entre les pognes ou porté à bout de bras. Dans un autre, Jonathan Danty commandait une salve de pizzas, se jetant ensuite dessus comme il s’était jeté, plus tôt, dans les chevilles de Sam Simmonds et Alex Dombrandt, les numéros 8 du XV de la Rose.

Peu avant que le vestiaire tricolore ne soit totalement plein, le président de l’Usap François Rivière y faisait irruption, regardait Guazzini et lui demandait : "Que fais-tu là, Max ?" Ce à quoi le fondateur de NRJ, interloqué, répondait aussitôt : "Je te renvoie la question, mon cher François !" La présence dans les vestiaires du XV de France de Rivière, ou encore celle du président de la Ligue René Bouscatel, pourrait ici sembler anecdotique.

À nos yeux, elle renvoyait pourtant à l’union sacrée qu’ont décrété les clubs et leurs présidents autour de l’équipe de France, cette relative harmonie qui perdurera jusqu’au Mondial 2023 et qui, vue de loin, contraste furieusement avec la guerre d’ego que Marc Lièvremont, sélectionneur des Bleus de 2008 à 2011, vécut en son temps : "Tous ces nouveaux présidents de clubs, tous les jeunes entraîneurs, tous ont compris l’importance pour le rugby français d’avoir un XV de France fort, disait récemment ledit "Marco". Quand je vois aujourd’hui l’attitude de Didier Lacroix ou Ugo Mola, alors qu’ils fournissent dix joueurs aux Bleus et qu’ils en souffrent, c’est du jamais vu. À mon époque, entre ceux qui espéraient que je me plante, ceux qui me regardaient avec condescendance et mépris, notamment chez les vieux de la vieille, le climat était tout autre."

Aussi, comme s’ils avaient souhaité faire comprendre au rugby français dans son entièreté que la réussite actuelle du XV de France lui appartenait tout autant qu’à eux, les Tricolores avaient demandé que l’ultime remise de maillots du Tournoi ne soit pas réalisée par telle ou telle légende de ce jeu, mais par les petites mains de la sélection, qu’ils soient toubibs, kinés, nutritionnistes ou chauffeurs de bus.

Nuit d’ivresse au Diamant Bleu

Au fil de la nuit dyonisienne, démarra alors pour cette génération tricolore, dixième chelemarde de l’histoire et fossoyeur d’une décennie de brimades diverses, une nuit de bringue censée lui faire oublier les longues semaines d’enfermement dans l’Essonne, le vent glacial de Murrayfield, le combat de Cardiff et tous les sacrifices qu’implique une vie de sportif professionnel, en pleine période de pandémie. À quelques pas du sanctuaire, Antoine Dupont et Fabien Galthié refaisaient, eux, leur match face à la presse et, à cet instant de la soirée, la complicité des deux hommes sautait donc aux yeux de l’auditoire.

À un confrère qui interrogeait Galthié sur la raison pour laquelle il avait traversé le terrain à toutes jambes en fin de match, le sélectionneur répondait pudiquement que son capitaine avait, dans le seul but de saluer ses proches, fait peu ou prou la même chose. À ces mots, Dupont rétorquait du tac au tac : "Sauf que moi, Fabien, j’avais payé mes places !" Ici, Galthié se marrait de bon cœur, fendait la carapace, regardait son capitaine avec la tendresse d’un père pour un fils, ou plutôt le respect d’un champion envers un autre. De toute évidence, ces deux-là marchent main dans la main depuis six mois et ensemble, ils ont donc battu les Blacks, enchaîné huit victoires et remporté un grand chelem. Le pied, non ? "Certains ont eu de grandes carrières mais n’ont pas eu la chance de soulever des trophées, disait simplement Dupont après le Crunch. Moi, j’ai juste eu la chance d’évoluer au sein d’une génération exceptionnelle."

Samedi soir, lorsque la discothèque de Saint-Denis a finalement baissé le rideau, la troisième mi-temps des Bleus s’est poursuivie au Diamant Bleu, une péniche posée aux pieds de la Tour Eiffel. Là-bas, l’endroit regroupait environ 400 personnes, cinq invitations ayant au préalable été distribuées à chacun des Tricolores pour la famille, les enfants, les potes. À ce sujet, un invité nous confiait ce dimanche : " Antoine (Dupont) et les garçons ont débarqué vers 2 heures du matin. Le trophée était dans les mains du capitaine. Ils étaient aux anges mais pas vraiment déchaînés. Non pas que ce grand chelem n’ait pas été important à leurs yeux ; plutôt que l’aventure ne faisait que commencer, je crois." Sur les flots de la Seine, sous le regard impavide de la Dame de Fer, les Tricolores refaisaient le Crunch à l’envi, bougeaient leurs quintaux amochés sur de la musique électronique et reprenaient, jusqu’à plus soif, les tubes de Francis Cabrel ou Jean-Louis Aubert, ces artistes qui leur avaient rendu visite à Marcatraz, au fil de la campagne…

Le brunch du dimanche après-midi

Le dimanche après-midi, soit au lendemain de leur triomphe, les Bleus, comme incapables de se dire au revoir, se retrouvaient alors à la Brasserie d’Auteuil, dans le seizième arrondissement parisien. Ici, c’est Gaël Fickou, le patron de la défense tricolore, qui avait réservé une partie du lieu pour la quinzaine d’internationaux n’ayant pas encore fait ses valises, Fabien Galthié ayant demandé à son président Bernard Laporte s’il pouvait bloquer vingt chambres supplémentaires de l’hôtel Renaissance de Saint-Cloud, histoire que ses hommes, pas loin d’être irrésistibles depuis six mois, puissent prolonger le plaisir de quelques heures. Du côté d’Auteuil, à deux pas du stade Jean-Bouin et du Parc des Princes, il y avait donc l’"entertainer" Fickou, Cameron Woki, Antoine Dupont, le grand Tao, Jean-Baptiste Gros, Peato Mauvaka, Uini Atonio, Yoram Moefana, Gabin Villière, Grégory Alldritt, Anthony Jelonch et plusieurs membres du staff, qu’ils se nomment Laurent Labit, Karim Ghezal ou l’ambianceur William Servat, jamais très loin de Cyril Baille ou Julien Marchand. Fabien Galthié, qui fêtait son anniversaire (53 ans) en famille, devait les rejoindre plus tard mais, en plein Paris, la réalité du rugby nous sauta cet après-midi-là au visage : mis à part Antoine Dupont, qui se fit tirer le portrait par une dizaine de clients de la brasserie, les Tricolores ne furent pas vraiment emmerdés par les Parisiens qui flânaient ce jour-là en terrasse.

"Devant ma télé, disait pourtant une jeune fille au teint pâle et au regard vert bouteille, je croyais Dupont assez malingre. En fait, il nous semble normal parce que les autres sont juste gigantesques !" Jusqu’à ce que la Coupe du monde ne démarre, ou qu’elle soit dans le meilleur des cas remportée, il faudra donc se faire à l’idée que ces Bleus, qui rassemblaient pourtant dix millions de téléspectateurs samedi soir, incarnent, à défaut de people contrefaits, une représentation fidèle de ce que demeure le peuple gaulois, soit tout à la fois des gens de la terre, des mouflets du Pacifique ou des enfants de la banlieue. "Quand je regarde ces gosses, nous disait dimanche après-midi le chef de délégation du XV de France Bernard Viviès, je me revois dans mon petit club de Rieumes (Haute-Garonne), au milieu des années 70. Nos Chelemards sont tous des enfants du rugby amateur ; ils sont simples, ne jouent pas les divas et c’est pour ça que les gens les aiment. Je vous jure ne pas jouer de la flûte, lorsque je vous dis que ce groupe est sain."

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