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Rétro XV de France - En 1962, Michel Crauste inscrivait un triplé jamais dépassé

  • Le troisième ligne Michel Crauste fut touché par la grâce le 24 février 1962. Le troisième ligne Michel Crauste fut touché par la grâce le 24 février 1962.
    Le troisième ligne Michel Crauste fut touché par la grâce le 24 février 1962. Archive Midi Olympique
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Il y a près de 60 ans, le « Mongol » signait un triplé magistral contre l’Angleterre. Personne n’a jamais fait mieux depuis. Retour sur une performance qui symbolisa la montée en puissance du rugby tricolore.

Quand le passé du XV de France se déroule dans notre mémoire fantasmatique, on éprouve toujours la même tendresse pour cette période du début des années 60 : les retransmissions télévisées étaient désormais de bonne qualité et Roger Couderc était au commentaire. Elles nous offraient de vraies gueules, des personnalités glorifiées par le petit écran, même avec des images en noir et blanc.

On sentait aussi que le rugby français prenait une dimension nouvelle, avec une ambition offensive et une envergure athlétique que les Britanniques peinaient à suivre. Mais il gardait son charme provincial. En ce 24 février 1962, dans le XV de France qui affrontait l’Angleterre, il n’y avait aucun Toulousain, aucun Bordelais, aucun Parisien, aucun Lyonnais. Même pas de Toulonnais. Ce début des années 60 incarnait l’âge d’or du rugby des villes moyennes, les Landes en étaient le pays de Cocagne. Agen, Tarbes suivaient derrière. Lourdes restait fort.

Cet après-midi-là à Colombes, Michel Crauste, le troisième ligne aux traits vaguement asiatiques réussit un exploit magistral. Un triplé ! Et le score de ce France-Angleterre avait claqué comme un coup de fouet : 13-0. Et encore, vu les occasions, le débours aurait pu être bien plus lourd pour des Anglais dépassés par le rythme des Coqs.

Personne ne l’a refait dans le Tournoi

Michel Crauste conquit ce jour-là les derniers galons qui lui manquaient pour devenir une icône. Trois essais en un match, c’était alors très rare, même pour les trois-quarts. Avant 1962, seuls Maurice Celhay et Adolphe Jauréguy en avaient fait autant, et même plus avec un quadruplé, mais contre des adversaires de moindre prestige : l’Allemagne et la Roumanie. ce triplé, Crauste le fit contre une équipe qu’on n’avait pas battu depuis six ans.

Depuis 1962, un seul avant a fait aussi bien, Christian Califano mais c’était aussi contre la Roumanie en 1996. L’exploit de 62 fut d’autant plus marquant que Crauste n’avait pas une réputation de grand joueur de ballon : les quatre plaquages meurtriers recensés par Midi Olympique en ce 24 février le rappellent : on le craignait plus pour la vigueur de ses cartons, à la limite de la "corde à linge ».

Dans son autobiographie, le Mongol retrace ce moment de grâce avec modestie : « Je me rappelle bien avoir marqué trois essais contre l’Angleterre. Comment ai-je été en mesure de réussir ce haut fait ? Rien de sorcier, ni de mystérieux. Je me trouvais sans doute à l’endroit idéal au moment idéal… Je me souviens avec précision avoir créé quelques brèches formidables après une « intérieure » avec André Boniface. La gloire m’en revenait, certes. Mais le mérite ? Le demi d’ouverture (Albaladéjo, N.D.L.R.) avait tout simplement cadré et passé au premier centre (Jacky Bouquet, N.D.L.R.) qui l’avait lui-même adressé au second centre (André Boniface, donc). Celui-ci, bien décalé m’ouvrait alors la brèche ce qui me permettait de foncer tout droit vers les poteaux adverses, de « crever » littéralement le petit écran. »

Le récit indique quand même que le XV de France avait un plan de jeu bien précis mais aussi quel était l’atout maître de Michel Crauste, la capacité à suivre de près les envolées de sa ligne d’attaque. Tous les avants ailes ne pouvaient pas en dire autant, le Mongol avait pour lui la « giclette » et l’arsenal génétique d’un décathlonien, la détente et l’endurance. Le destin lui avait offert en plus deux spécificités destinées au rugby : le courage et la dureté dans les contacts.

Dans le Midi Olympique de l’époque, son exploit est salué à la Une, évidemment, avec les trois photos historiques, alignées verticalement. Mais le joueur ne s’exprime que sur quelques lignes, on faisait peu d’interviews à l’époque.

« Je ne me sens pas bien, je reprends le premier train pour Lourdes »

Un simple entrefilet qui suggère les paroles jetées comme ça, à la sortie des vestiaires au détour d’un couloir de Colombes : « J’ai profité de l’intense travail commun. Je suis évidemment comblé par les trois essais marqués. Ça ne m’était jamais arrivé. Mon maximum était de deux. Et je n’assisterai pas au banquet. Je ne me sens pas bien. Je prends le premier train pour Lourdes… »

Ces quelques mots disent tout du rugby d’alors. Pas d’attaché de presse, pas de protocole, pas de zone mixte ou de conférence de presse. Michel Crauste devait dès le lundi reprendre son poste à EDF. À 27 ans, il était pourtant en train de devenir une figure tutélaire du rugby français, futur recordman des sélections. Mais le rugby ne dévorait pas pour autant son quotidien. C’était tout le charme de notre sport.

Bien plus tard, en 2007, il avait reparlé de tout ça dans les colonnes de la Dépêche du Midi. Il avait conservé sa pudeur, mais le recul lui permettait désormais de se livrer un peu plus. « Ces trois essais m’ont valu de faire la couverture des journaux, mais j’ai réalisé bien après que j’avais réussi quelque chose de pas ordinaire. J’étais un besogneux, trop préoccupé par les devoirs de mon poste pour comptabiliser les essais. Les statistiques individuelles n’étaient pas encore à la mode, elles n’avaient pas priorité sur le collectif. Ces trois essais marqués contre l’Angleterre constituent évidemment un merveilleux souvenir mais ils ne valent pas les émotions que me procura ma première sélection, puis la tournée de 1964 en Afrique du Sud. »

Entre-temps, il était devenu capitaine des Bleus. Vingt-deux fois il assumerait cette charge et recevrait l’accolade du Général De Gaulle. Mais en 1962, il ne se vivait que comme un simple soldat provincial pressé de revoir sa campagne. « Je n’ai fait que parachever l’ouvrage de mes camarades, en arrivant au moment opportun au bon endroit. C’est le rôle de l’avant-aile de se trouver au plus près du ballon. J’étais un troisième ligne mobile, qui aimait courir derrière les trois-quarts. C’est pourquoi j’étais sollicité par André Boniface et d’autres pour faire des intérieurs. Le dernier des trois essais, je l’ai marqué sur un coup de pied de recentrage de Boni. »

On trouvait des recentrages à foison dans les années 50-60, parce que les défenseurs lourds ne se déplaçaient pas aussi vite qu’aujourd’hui, les seconds rideaux étaient quasi inexistants. « Avec les positions à plat d’aujourd’hui, le recentrage est devenu un service au pied vers l’ailier opposé », analysait-il conscient de l’évolution de son sport.

Un essai avec 25 ans d’avance

En revoyant les images, on se rend compte que cette rencontre valait finalement encore mieux que ce morceau de bravoure. Ce France-Angleterre fut une borne, le point de départ d’une période de supériorité du rugby français qui devait durer vingt ou trente ans, cette sensation qu’en termes de jeu pur, nous étions toujours un cran au-dessus des autres nations du Tournoi.

Ça saute aux yeux dès le premier essai, fruit d’une combinaison sur touche avec déviation à une main de Crauste en extension, relais de Jean-Pierre Saux, le deuxième ligne de la Section Paloise (1, 85 m à peine) qui s’échappe sur cinq mètres et retrouve le Mongol à son intérieur. Une-deux parfait et passes dans le temps juste.

En comparaison, les actions anglaises semblant toujours plus brouillonnes. « En fouillant dans ma mémoire, je crois que j’avais marqué d’abord sur un déroulé en fond de touche, puis au sortir d’un regroupement après de nombreuses percussions, sur une passe de Saux », euphémisait Crauste en 2007. Parce que le second essai mérite plus que ces quelques mots trop distraits.

Il fut le fruit d’une attaque monumentale, une action qui avait vingt-cinq ans d’avance. Crauste l’initie en plaquant le centre M.R. Wade, Roland Gensane ramasse la balle à une main et la pelote se dévide comme dans un songe. Les images disponibles nous montrent onze passes, il y en eut vraisemblablement treize. Midi Olympique écrivit qu’Amédée Domenech, lancé comme un frelon survitaminé aurait pu finir seul.

À la révision, ce n’est pas évident, il accomplit au contraire le geste idoine, passe au cordeau pour Saux qui, encore lui, remet à l’intérieur pour Crauste, géniteur et terminus de « la grande offensive du siècle ». Raymond Sautet, patron du Midol raconta qu’il avait vu un journaliste anglais lâcher illico sa machine a écrire pour applaudir la scène, rompant la tradition qu’un Anglais ne quitte jamais son flegme et un journaliste sa froide lucidité.

Quarante-cinq ans plus tard, Michel Crauste se permit une petite entorse, il s’échappa quelques secondes de la narration modeste et factuelle de cet après-midi paradisiaque pour rappeler qu’elle aurait pu… l’être encore davantage : « J’ai même inscrit un quatrième essai mais il n’a pas été validé. Sharp, le blond ouvreur anglais, me craignait, il regardait davantage ma position que le ballon : sur une sortie de mêlée, il a lâché la balle dans l’en-but et j’ai plongé. Je n’ai pas compris pourquoi l’arbitre refusa l’essai. Il est vrai que je ne parlais pas l’anglais et que j’étais poli et réservé. »

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