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Ugo Mola : « On est en train de décrédibiliser notre sport »

Par Rugbyrama
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Frustré par l’annulation du match face à Cardiff samedi, mésaventure qui est arrivée lors des quatre dernières rencontres à domicile pour les champions de France et d’Europe, le technicien tire aujourd’hui le signal d’alarme face au message envoyé au public.

Dans quel état d’esprit êtes-vous ?

Mon président s’est exprimé, mes joueurs aussi par un communiqué qu’ils ont souhaité faire.Ils avaient un sentiment de frustration, de mépris et de colère car on les empêchait de jouer. Ce qui est significatif du groupe, c’est que les joueurs covidés ont poussé pour ce communiqué, plus que ceux qui n’ont pas eu l’occasion de jouer.

Et votre sentiment personnel ?

L’incompréhension. On en est à quatre matchs non joués à domicile en moins d’un mois et demi, sur lesquels quatre règles différentes ont été adoptées. Il y a certes deux reports en Top 14, liés à la largesse du calendrier. On sait qu’il n’y en a pas en Coupe d’Europe et c’était clairement dit. Mais, dès l’instant que tu remplis les cases pour aligner une équipe dans des conditions sanitaires qui ne mettent pas en danger les joueurs et l’environnement, tu es censé jouer. Peu importe la qualité de l’équipe alignée, ce n’est pas le débat.

En quoi les quatre règles furent-elles différentes ?

La spirale s’est enclenchée quand les clubs français, à l’orée de Noël, ont eu peur d’être mis en danger et coincés en Angleterre pour les fêtes alors que les règles se durcissaient côté britannique. On a enchaîné avec un match du Stade français reporté le matin même, à 11 h 30 lors de notre mise en place alors que nous avions 33 000 personnes au Stadium, sur des règles qui n’étaient pas établies et l’ont été depuis pour le Top 14. Puis Montpellier où nous sommes lésés sur un autre paramètre de la règle. Le club, a priori, n’était pas en mesure d’aligner une équipe avec une première ligne valide. Je ne dis pas compétitive. On finit par « le pompon sur le gâteau » avec Cardiff.

Comment cela s’est-il passé ?

On se savait dans une situation sanitaire complexe dès la semaine précédente. On a pris toutes les mesures nécessaires en testant beaucoup pour sortir très vite les joueurs susceptibles d’être positifs. Et en ne s’entraînant quasiment pas au retour des Wasps. Le tout pour présenter une feuille de match qui remplissait les cases données.

C’était le cas…

Oui, une première ligne valide et 23 joueurs testés négatifs. On a même proposé de se tester le matin du match. Il y aurait certainement eu un ou deux joueurs sortis en plus mais on avait la réserve pour mettre deux jeunes. S’il n’y avait eu que des jeunes, je m’en foutais ! Notre équipe aurait été clean sur le terrain et Cardiff ne prenait pas le risque de venir dans un cluster. À Exeter l’an dernier, nous y étions.

Ah bon ?

Oui, on nous a mis dans une tente sur le parking tellement ça craignait. Nous sommes allés dans un cluster. Regardez les compositions à quinze jours d’intervalle, la moitié de celle d’Exeter a changé. Je n’ai pas entendu l’EPCR crier au loup. Un an et demi après, on te dit : « Attention, c’est un risque. » Non, Cardiff n’était pas dans de plus mauvaises conditions que nous aux Wasps ou à l’aller. Rien n’est certain car personne ne maîtrise ce virus mais tous nos joueurs étaient négatifs à J-2. On a voulu tester avant pour sécuriser, on a choisi de ne pas s’entraîner.

Et vous n’avez pas été entendu…

Le pire, c’est le mépris. Nous avons été méprisés par l’EPCR. On devait entrer en réunion à 20 heures le jeudi, ce fut à 22 heures On nous a dit qu’on aurait une réponse dans les cinq minutes et on a attendu d’être convoqué le lendemain à 11 heures alors que Cardiff connaissait la sentence et qu’on bataillait encore. Il avait été décidé de s’appuyer sur la règle du gouvernement du pays qui accueillait. Voilà pourquoi la Ligue est montée au créneau. Brive avait beaucoup de joueurs covidés, a joué le jeu et pris soixante points à Edimbourg. Ça n’a pas posé problème car c’est un match de Challenge, sans lumière dessus. Mais je ne suis pas sûr que Brive n’y ait pas laissé des plumes. Il y a deux vitesses. Tu n’es jugé que par l’importance que tu peux avoir et par le contexte.

On vous sent accablé…

On a été l’étalon de chaque règle. Par solidarité lors du premier report europeén qui se transforme en rencontre annulée et match nul. Une règle qui ne valait pour rien. Puis le Stade français car Omicron était susceptible d’arriver dans le sud de la France. Jusqu’à preuve du contraire, on ne l’a pas endigué en enlevant ce match. Mais on a privé 33 000 personnes de vivre un beau moment et on en a besoin actuellement. Puis Montpellier.Et ce dernier report qui aurait pu nous sortir du jeu. Le plus préjudiciable étant qu’une nouvelle disposition a été édictée à chaque fois post-match. On a toujours cherché à s’adapter. Je ne crie pas à l’injustice mais à l’incompréhension.

Vous sentez-vous victime ?

Toulouse n’est pas plus vertueux que les autres. Quand Toulon s’est fait plomber l’an passé, il était dans la même situation. Avec une prise de position claire du club qui a préféré ne pas se mettre en danger en partant en déplacement. On a déjà vécu ces contextes.

Est-ce le plus frustrant ?

Je l’ai dit il y a deux mois et tout le monde m’est tombé dessus, mais on n’apprend pas de nos erreurs, de ce qu’il s’est passé pendant un an et demi. Il est là le problème.

Quel sens la compétition a-t-elle ?

Il n’y en a pas. Alors, je crie au boycott ? C’est facile, j’allais finir septième, huitième ou éliminé. Ce n’est pas le but. L’intérêt de cette compétition est d’avoir les meilleures équipes européennes qui jouent pleinement leur chance pour la remporter. L’an passé, je ne pense pas que le Munster, Clermont, Bordeaux ou La Rochelle aient souhaité ne pas la jouer. Tous ont joué le jeu à fond pour avoir une édition digne de ce nom. Cette année, on voit que l’intérêt n’est pas le même pour les uns et les autres. Je ne parle même du Challenge.

C’est-à-dire ?

Il devient une mascarade, un supplice pour les clubs. Et ça n’a même plus la vertu de mettre des jeunes pour leur donner de l’expérience. On est en train de décrédibiliser notre sport au sens large. C’est ça qui me gêne.

Comment ça ?

Je ne veux pas focaliser sur Toulouse. J’aurai à gérer quatre matchs non joués, la frustration, les doublons et globalement une saison compliquée. C’est mon problème en interne. Le souci est celui des points pris. Les équipes qui n’ont pas joué peuvent avoir dix points, d’autres sept, cinq, deux ou zéro. Or, les matchs ne se sont pas joués… Ce n’est déjà pas clair.

Et ensuite ?

J’ai peur pour le message envoyé aux gens qui suivent ce sport. Les enfants, les supporters… Quel visage on montre ? Certains peuvent expliquer que c’est un scandale ou pas, qu’ils ont mieux fait que les autres. Le covid a touché tout le monde et il faut avoir une humilité par rapport à ça. Mais quand tu as quatre matchs reportés, la veille pour le lendemain ou le jour même, avec des règles différentes, ça développe la paranoïa. Mais cela n’enlève rien à notre contre-performance sportive aux Wasps. Si on avait gagné, on était qualifiés. Certes sans jouer et sans rythme.

Avec une nervosité inhabituelle chez vos joueurs qui nous confient combien ces reports leur pèsent…

Je ne veux pas tomber dans la victimisation. Mais on vient de vivre un scénario que je ne croyais pas possible. On a annoncé quatre équipes différentes à des mecs qui n’ont pas joué. Comment on juge la performance ? Cela créé une vraie tension. Surtout, on ne joue pas au rugby. Dans le milieu amateur, tu joues sans avoir le moindre suivi médical. Nos joueurs sont monitorés de la tête aux pieds, toutes les deux minutes. Je ne suis pas médecin ou épidémiologiste mais, quand tu es asymptomatique, il n’y a pas de danger à la pratique de ton sport. C’est une réalité vu qu’on permet aux amateurs non suivis de le faire. On se pose des questions. Qui a intérêt à ce que ça ne joue pas ? Il y a un an et demi, on disait : « On fait un championnat car ça va mal, il faut jouer, on ferme les stades. » Tout le monde a été solidaire. Maintenant, tu te demandes s’il ne faut pas en jouer pour se qualifier ou marquer des points. C’est terrible. Si certains pensent ainsi, le rugby est un sport de bas étage.

Quelle importance donner à la suite des compétitions ?

Quand les joueurs sont privés de match depuis six semaines, ils n’ont qu’une envie : jouer au rugby. On nous a enlevé deux matchs à domicile avec nos internationaux qu’on va jouer sans eux. Si certains calculent, et on en a la preuve car les joueurs se parlent, on n’a qu’à finir par des péréquations ! Pas de souci, on n’a pas perdu à la maison. Jusqu’où va-t-on ? La Coupe d’Europe est déjà tronquée, le Top 14 risque de l’être, mais cela n’enlèvera rien à ceux qui auront la chance d’aller au bout et de gagner. On a fait aussi partie l’an passé d’une situation pas banale.

Comment vont se dérouler les prochains jours pour vous ?

On a décidé de ne pas se revoir dans le week-end, de faire des tests lundi matin et de ne s’entraîner que mardi ou mercredi selon le résultat pour essayer d’endiguer la contamination. Selon la règle française, tu as cinq jours d’isolement dès lors que tu es positif. Puis le test. S’il est négatif, il y a un retour à l’activité à J + 6. Sinon, c’est J + 8.

Alignerez-vous vos internationaux restés à Toulouse samedi ?

En fonction de qui est positif et négatif, on peut récupérer des joueurs. Mais certains peuvent aussi partir en équipe de France sans avoir joué depuis sept ou huit semaines.

Comme Antoine Dupont qui n’a plus joué depuis le 11décembre.Il semble plus raisonnable qu’il ait un match dans les jambes avant l’Italie…

Il y a ce qui paraît raisonnable. Mais à partir du moment où une période internationale s’ouvre, c’est la Fédération qui a la main. Plus moi.

Propos recueillis par Jérémy FADAT

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