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Jordan Michallet, stupeur et tristesse

Par David BOURNIQUEL
  • Photos Stéphanie Biscaye et Icon Sport
    Photos Stéphanie Biscaye et Icon Sport
Publié le
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C’est une affreuse nouvelle qui a secoué le monde du rugby en début de semaine. Jordan michallet, talentueux ouvreur de Rouen, a été retrouvé mort. Il avait 29 ans et il laisse derrière lui une famille, un club et des proches effondrés.

C’est mardi, peu après midi, que la terrible nouvelle a été officialisée. Jordan Michallet, l’ouvreur du Rouen Normandie Rugby, a été retrouvé mort, à 29 ans, au pied d’un immeuble en construction dont des témoins l’ont vu chuter. Une enquête est en cours. À l’heure où nous écrivons ces lignes, la thèse du suicide est privilégiée par les policiers. Les premiers éléments du rapport d’enquête rappellent que le joueur avait été impliqué dans un accident de la circulation qui s’apparentait déjà à une tentative de suicide, quelques minutes seulement avant l’instant fatal.

À Rouen comme partout en France, l’onde de choc est colossale. Jordan laissera un vide immense. Au cœur d’un début de semaine semblable à tous les autres débuts de semaine, pour des raisons qui n’appartiennent qu’à lui, c’est la vie qui s’arrête et une chape de plomb qui assomme tout un monde, celui du rugby ; abasourdi par le destin funeste de ce garçon talentueux, prédestiné à une belle carrière dès son plus jeune âge, comme l’explique Geoffrey Henry, l’un de ses premiers éducateurs au SO Voiron, son club formateur : "Tout jeune, il avait déjà des qualités certaines. Il avait un œil, des mains et un jeu au pied largement au-dessus de la moyenne. Jordan avait une capacité de lecture incroyable, il percevait bien mieux le jeu que les autres gamins de son âge." Geoffrey Henry, comme tout ceux qui ont connu et aimé Jordan, est aujourd’hui plongé dans un océan de questions. "Le plus dur, c’est de ne pas savoir ce qui a pu conduire ce geste fatal. On se voyait de loin en loin, mais on appréciait de se croiser. Je crois qu’il avait gardé de doux souvenirs chez nous et qu’il appréciait de se remémorer cette belle période de sa vie. Jordan était un magnifique représentant des valeurs de notre sport, il était humble et gentil, au sens noble de ces termes."

Un "quatuor" d’amis

Avec "Mick" (Michael Genevey), "Titi" (Jordan Thiriet) et "Greg" (Grégoire Mercadal), Jordan Michallet, alias "Mich", formait "le quatuor", une bande d’amis qui ne s’est plus quittée ni sur les terrains, ni en dehors, depuis les années rugby à Voiron. C’était l’époque bénie. L’insouciance de la jeunesse. Celle des plaisirs simples et du Challenge-Alberto, gagné à Grenoble avec une génération dorée. Grégoire Mercadal déroule le fil de ses souvenirs : "Avec "Mich", on a d’abord joué au foot. Et puis, assez vite, on est venus au rugby. Au départ, on n’était pas bien bon (rires). Il a fallu nous adapter, on jouait en réserve. Et puis on a pris goût au rugby et c’est devenu notre vraie passion. Jordan s’est mué en joueur étincelant. Avec "Titi", nous nous sommes retrouvés tous les trois à l’école de rugby et nous sommes devenus champions des Alpes moins de 13 ans. Nous étions comme des frères. Et puis, quand il a eu 15 ans, conscient de son potentiel, le club de Grenoble a recruté "Mich". Il était suivi et repéré depuis un bon moment déjà. Je l’ai rejoint à 17 ans. On ne s’est pas lâchés. Nous sommes devenus champions de France deux années consécutives (2013 et 2014)." La petite histoire retiendra que lors du premier titre, en 2013, c’est Jordan qui avait inscrit, au pied déjà, la totalité des points de son équipe pour une victoire d’anthologie face à une grosse génération lyonnaise (9-0). En 2014, blessé à un scaphoïde en demi-finale, "Mich" n’avait pas pu participer au sacre face à Albi. Perfectionniste, il s’en était beaucoup voulu. Mais ses copains avaient su faire le travail pour l’emporter.

Des quatre fantastiques du "quatuor", seul Jordan Michallet, talent supérieur, franchira le dernier cap vers le haut niveau, en étant sélectionné en équipe de France moins de 18 ans et en touchant du doigt le Top 14 avec Grenoble entre 2013 et 2015. Jordan Thiriet, alias "Titi", valide l’inventaire des qualités de joueur de son ami. Mais ne laisse pas la part belle au seul talent de Jordan : "Il ne faut pas croire que l’inné a tout fait dans la carrière de Jordan. Bien sûr, il avait un don supérieur. Mais il a énormément travaillé, surtout sur les dernières années. Depuis qu’il était professionnel, il ne rentrait pas sur la pelouse sans avoir étudié en détail le jeu de l’autre équipe. Il visionnait deux ou trois matchs par semaine, et systématiquement celui de ses futurs adversaires. Il aimait le jeu de rugby mais aussi la théorie du rugby. Jordan, j’en suis sûr, aurait fait un excellent coach après sa carrière s’il avait voulu qu’il en soit ainsi. C’était un mec très intelligent. Il "pigeait" le jeu."

Jérôme Vernay, directeur du centre de formation grenoblois au moment des deux titres, dépeint lui aussi un jeune homme doué, bien dans ses crampons et heureux de vivre. "C’était un numéro dix très offensif. Il aimait le jeu. Attaquer la ligne. Une fois sorti du pré, Jordan croquait la vie à pleine dents. Tous les groupes dans lesquels il est passé le diront : c’était un gars en or, un bon vivant. Au centre de formation, notre rôle était d’accompagner les joueurs sur un double projet. On prenait de grands ados et on devait former de jeunes adultes. Avec Jordan, c’était facile. Nos conversations dépassaient le cadre du rugby."

Humble et travailleur

Ensuite ? Jordan a roulé sa bosse, de Bourgoin à Rouen, en passant par Strasbourg. Mais c’est bien en Normandie qu’il avait trouvé un bel équilibre. Son copain Grégoire reprend : "Depuis 2018, il brillait à Rouen. Il tenait le club à bout de bras. Il était parfois capitaine, il butait. Il faisait partie des meilleurs réalisateurs de Pro D2. On le sentait épanoui." Malgré la distance Voiron – Rouen, les quatre amis gardaient un lien quasi-quotidien. Les trois copains étaient les témoins du mariage de Jordan avec Noélie, célébré l’été dernier. Ils évoquent de concert "les vacances prises en commun et les soirées partagées", comme autant de pied-de-nez à cette terrible nouvelle. Au moment d’évoquer les moments les plus marquants de leur amitié au long cours, Grégoire balbutie : "Il y en a trop pour en évoquer un seul. Il était drôle, souriant, il aimait la fête et la vie."

"C’est toujours quand quelqu’un est parti qu’on emploie des superlatifs pour l’évoquer, développe Éric Leroy, le coprésident du Rouen Normandie Rugby. Jordan faisait partie de la famille, il était partie prenante du projet rouennais. Il était de tous les combats, de toutes nos victoires. Il a contribué à écrire les plus belles pages de notre club. Jordan était un exemple pour les jeunes, qui l’admiraient lorsqu’il restait buter après l’entraînement. Jordan avait su rester accessible, il était adoré par nos partenaires et nos supporters qui avaient reconnu en lui un homme simple et généreux." Et le dirigeant du RNR de reprendre : "Au club, certains l’appelaient le Général. Mais ce n’était pas dans le sens "commandant". Plutôt pour souligner son aura et son leadership. Les gens avaient envie de le suivre quoi qu’il arrive, d’aller à la guerre avec lui." Avant d’asséner une petite anecdote plus légère : "Tous les ans, nous voulions citer Jordan pour qu’il soit Oscar Midi Olympique. Mais il était si humble que cela ne s’est jamais fait…"

Le monde du rugby rendra hommage à Jordan ce week-end, à l’occasion de la 18e journée de championnat. Sur tous les terrains, une minute d’applaudissements célèbrera le joueur trop tôt disparu. Les Rouennais, eux, honoreront coûte que coûte la réception de Carcassonne. Les joueurs, bien qu’écrasés par l’émotion, ont fait le choix de la passion, le choix du jeu, le choix de la vie. "Car c’est sans doute ce qu’aurait voulu Jordan", reprend le président Leroy.

Rien, absolument rien ne laissait présager un tel geste chez ce joueur à qui tout semblait sourire. "On n’a rien vu venir", avouent ses amis les plus proches. Au mois de novembre dernier, Jordan venait de prolonger son contrat qui le liait au RNR, ajoutant trois saisons à son bail qui courrait déjà depuis quatre ans (2025).

Au moment de refermer le livre des souvenirs, "Titi" adresse un dernier message à son copain : "On veut juste lui dire qu’on respecte son choix et que nous l’aimons très fort." Chienne de vie !

*À son épouse, Noélie ; à ses parents Évelyne et Laurent ; à son frère, Maxime ; à ses anciens clubs, à ses amis, proches et coéquipiers, la rédaction de Midi Olympique adresse ses plus sincères condoléances.

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