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Décès de François Moncla : la disparition d'un capitaine bleu, blanc et surtout rouge

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    Décès de François Moncla : la disparition d'un capitaine bleu, blanc et surtout rouge Midi Olympique
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Troisième ligne rude et vigoureux, il commanda le XV de France lors du fameux match de 1961, le mythique 0-0 face aux Springboks. Mais il incarnait aussi toute une époque, celle d’une France qui n’existe plus guère. Il s’est éteint dimanche, il avait 89 ans.

Le capitaine du « Match des Matchs » France-Afrique du Sud 1961 est mort. Pour nous, il incarnait une sorte de héros prolétarien, un peu comme Jean Gabin dans « La Belle équipe ». François Moncla nous a quittés, emportant à la pointe de ses crampons, un peu de plus de ce rugby des années 50-60, étendard des « Trente Glorieuses ». On vous parle là d’une France de plus en plus difficile à imaginer, elle était bercée par l’esprit de la Libération et du mythique Conseil National de la Résistance, elle avait créé la Sécurité Sociale et en premier lieu le secteur de l’Energie. Avant ce terrible France-Afrique du Sud, «ce souffle collectiviste » avait été incarné par la fameuse présentation de Roger Couderc, le premier trombinoscope de l’histoire de la télévision. : « Une troisième ligne Electricité de France, ça va faire des étincelles. »

Le trio était composé de Michel Crauste, Michel Celaya et donc de François Moncla qui, à 28 ans, était le patron de cette équipe, celui qui balança le premier coup de sabot du match, sur cette mêlée narrée cent fois. Enfin, le mot patron est mal choisi. François Moncla n’avait pas l’âme d’un boss au sens capitaliste du terme mais plutôt d’un grand frère ou d’un guide. Il était proche du Parti Communiste et milita à la CGT.

À 17 ans, il avait quitté le Béarn natal pour la région parisienne et l’Ecole de Gurcy-le-Châtel, centre de formation d’EDF et antichambre du Racing Club de France, du mythique Roger Lerou. Le dirigeant madré avait flairé le vivier de talents provinciaux qui s’offrait à son club. « On nous y apprenait l’autodiscipline, je m’étais retrouvé responsable de cet apprentissage et mes copains m’avaient nommé chef d’équipe. Mais c’est vrai, depuis mon plus jeune âge, j’ai toujours aimé commander. Ça me venait de ma mère qui a toujours été une femme de tête. Mais au final, on peut dire que j’étais une grande gueule. J’aurais voulu faire l’Ecole Normale qui accueillait la crème de mon milieu. Mais je ne me sentais pas assez fort dans les matières littéraires, j’étais meilleur en mathématiques et en physique. Gurcy-le-Châtel était un foyer syndical, les gouvernements s’en méfiaient. »

Un destin au Racing club de France

Il avait appris le rugby à Louvie-Juzion et à Arudy plutôt chez les trois-quarts d’ailleurs avant de prendre le train pour la capitale, sans se douter que son destin serait celui d’un troisième ligne rugueux et puissant, et d’un capitaine de l’équipe nationale. François Moncla découvrit donc le haut niveau à Colombes sous les couleurs du Racing aux côtés d’un autre troisième ligne, venu du Sud-Ouest : Michel Crauste. Le Racing de cette époque n’était plus seulement le club des fils de famille du début du siècle, Il accueillait ses provinciaux destinés à devenir des cadres d’origine populaire à une économie étatisée. Il avait reçu les cours d’un professeur assez célèbre, Marcel Paul, figure du Parti Communiste, ancien déporté à Buchenwald où il avait sauvé la vie de Marcel Dassault, puis ministre de la Production à la Libération. « Il m’a beaucoup marqué, c’est sûr. »

L’univers de François Moncla serait d’abord celui des Electriciens et des Gaziers. Mais il était si doué pour ce sport de combat collectif qu’il fit ses débuts chez les Bleus en décembre 1956 contre la Tchécoslovaquie. Le manitou du Racing, Roger Lerou était aussi celui du XV de France. La passerelle était évidente mais François n’avait pas besoin de ce coup de pouce. Sa science du jeu et la vigueur de ses plaquages rendaient évident son passage du bleu électrique au bleu de France.

Véritable chef d’équipe

Quatre ans après, il serait désigné capitaine de l’équipe nationale à la suite de Lucien Mias. Entre-temps, il avait vécu la tournée en Afrique du Sud de 1958 et la première victoire solitaire dans le Tournoi en 1959. La même année, François avait brandi le Bouclier de Brennus, tant bien que mal. Son cher Racing avait battu Mont-de-Marsan en finale, mais il s’était disloqué une épaule en plaquant Pierre Lacroix. Il avait fini la partie en jouant les utilités puisqu’il n’y avait pas de remplacement à l’époque. Il n’incarnait pas vraiment un rugby romantique, son truc à lui, c’était le pragmatisme avant l’esthétisme. Il n’aurait jamais d’atomes crochus par exemple avec André Boniface, attaquant à la vision opposée.

Écoutons, ce qu’en disait Pierre Albladéjo : « Sur le terrain, il me rendait service. Il m’évitait d’aller plaquer mon vis-à-vis, il s’en chargeait lui-même. Je n’étais là que pour lancer la montée défensive des trois-quarts. Il parlait dru et directement, c’est sûr. Il n’a jamais été mielleux. Il savait faire des réflexions, mais après le match, c’était fini. Il faut comprendre que nous jouions à cette époque sans entraîneur. »

Chef d’équipe, contremaître, animateur, presque ingénieur maison. François Moncla assumait sans se défiler toutes ces fonctions pour pas un rond et sans beaucoup de gratitude. « En 1959, je suis revenu jouer à Pau, je commençais à préparer les matchs dans le train de Paris avec les Lourdais et les Tarbais. Puis les Dacquois montaient et ainsi de suite. J’ai toujours aimé la discussion avant de prendre les décisions. »

À la tête des Bleus, François nous avoua un jour qu’il ne se comportait pas toujours en « bon client » (il le deviendra plus tard) ; «Oui, je pouvais être revêche avec les journalistes car certains soutenaient trop ouvertement tel ou tel joueur au détriment des autres. Certains venaient avec leur jolie épouse pour amadouer les joueurs. » De lui, on conserve des tas de souvenirs, le titre de 1959, celui de 1964 avec Pau, son bâton de maréchal. Mais il reste évidemment dans les mémoires pour le France-Afrique du Sud de 1961, ce terrible affrontement dont Denis Lalanne fit carrément un livre : « La Mêlée Fantastique ». Les Français s’étaient remontés comme des pendules pour résister aux Sud-Africains qui dévastaient tout sur leur passage durant cette tournée européenne. Le combat fut homérique et décrit comme un exploit par les médias malgré le score qui semble si incongru à nos yeux modernes : 0-0, oui zéro-zéro. On ne se gargarisait pas de spectacle en ce temps-là, même si la percée de Jacky Bouquet, et l’ultime attaque vers la droite avec Guy Boniface et Henri Rancoule firent se lever la foule de Colombes. Mais avant de gagner les ballons, il fallait les gagner et s’expliquer les yeux dans les yeux avec ces Springboks que François n’appréciait guère. : « Ils voulaient nous faire mal. Ils nous ont appris à devenir méchants. Les All Blacks avaient plus de finesse. » Ce jour-là, un parfum de rudesse à la limite du pancrace et même de la bataille de rue était de tous les comptes rendus (à vous de vous faire une idée en visionnant You Tube). « Après mon coup de sabot, j’avais dit à l’arbitre, le Gallois Gwyn Walters qu’ils trouveraient à qui parler s’ils voulaient employer la manière forte. »

Un franc parler assumé

François Moncla aurait dû tutoyer la cinquantaine de sélections mais il se fit proprement virer après la tournée de 1961 en Nouvelle-Zélande qui tourna au calvaire. Il avait 28 ans. Ce souvenir a priori douloureux, il nous l’avait raconté très naturellement en juillet dernier pour notre dernière conversation. Il ne cacha rien de son inimitié avec son coéquipier André Boniface (qui le lui rendait bien) et avec Marcel Laurent et Guy Basquet, les deux « pardessus » qui encadraient l’équipe et qui lui glissaient des peaux de bananes. «C’était une galère, parce que je devais tout faire. Joueur, capitaine, entraîneur, préparateur physique et même médecin… Les managers ne m’aidaient pas du tout. » Quand on avait prononcé les noms de Laurent et de Basquet, il n’avait pu retenir ses mots très durs. Il avait passé l’âge de la langue de bois. En 2013, il nous avait expliqué que ces deux pseudo-mentors de la FFR : « n’avaient pas apprécié que je me sois montré capable de parler espagnol en Argentine en 1960 et anglais en Australie et Nouvelle-Zélande grâce à la méthode Assimil et l’aide de Sylvain Meyer de Périgueux. Je pouvais représenter la délégation mieux qu’eux, qui ne faisaient aucun effort. Il y avait eu aussi un problème de chapardage dans un magasin de Sydney. Ils m’avaient laissé me débrouiller tout seul. Ils me faisaient aussi des sales coups en laissant entendre aux joueurs que je faisais l’équipe car ils me laissaient l’annoncer. »

À 89 ans, son témoignage historique nous éclairait sur des côtés souvent cachés de ces longues tournées au long cours. « Je peux le dire maintenant puisque tout le monde est décédé ou presque : il y avait beaucoup de filles qui tournaient autour de mes joueurs. Certains ne se privaient pas. D’ailleurs, avant de partir, j’avais demandé au Docteur Martin des pilules pour guérir… La gigitte. » Ah bon ? La gigitte ? Le Mal de Naples, la Bléno ? On arrête là les synonymes.

Le parcours de François Moncla nous a toujours marqués car il incarnait un certain rugby, un peu dépassé c’est vrai, mais dont personne n’a à rougir. Ceux qui le pratiquaient au plus haut niveau, ne se gavaient pas tant que ça, certains comme François le vivaient comme une autre forme de leur mission de service public, dans l’esprit du Conseil National de la Résistance. Sur les trois couleurs, son pote Michel Crauste insistait sur le bleu, François lui appuyait un peu plus sur le rouge. Mais leur XV de France avait aussi de la gueule.

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