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XV de France - Top 14 - Adulé ou détesté, Jalibert persiste : « Personne ne peut m'empêcher de rêver »

Par Arnaud Beurdeley
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Matthieu Jalibert, 22 ans, est une des pépites du rugby français d’aujourd’hui. Un stratège qui pèse sur le sort d’une rencontre. Son jeu au pied a peu d’équivalent, ballon en main, il est un spectacle délicieux à savourer sans modération. En prime, il a une gueule. Une vraie. De celles qui ne laissent pas indifférent, qui marquent les esprits. Seulement, si ses qualités sportives sont reconnues de tous, s’il est adulé par certains, il est aussi détesté par d’autres qui lui reprochent une forme d’arrogance, de morgue malvenue dans un sport éminemment collectif et conservateur. Un paradoxe qu’il se complaît parfois à cultiver. Percer le mystère Jalibert, c’est donc se frotter à un sentiment irrationnel, difficilement sondable. Rencontre, pour mieux le comprendre. 

Gradignan, banlieue cossue de Bordeaux, située à quelques encablures du centre-ville. Matthieu Jalibert, tee-shirt blanc, pantalon de survêtement XXL de couleur parme et claquettes siglées de l’Union Jack, reçoit à domicile, comme pour mieux partager son intimité et s’ouvrir à un monde qu’il peine parfois à appréhender. La maison est blanche, cubique et magnifique, mais sans émotion particulière. Elle en dit déjà beaucoup sur son propriétaire… Dans le jardin, flanqué d’une piscine où la couleur de l’eau est plus proche du bassin à poissons que du bleu azur figurant sur les catalogues vantant l’hôtellerie de luxe aux Maldives, Rio et Owen assurent l’accueil. Le premier est un golden retriever, le second un beagle qui doit son appellation à l’admiration que voue son propriétaire au fils d’Andy Farrell, demi d’ouverture du XV d’Angleterre. Covid oblige, la précaution d’usage est de passer par les sanitaires pour un lavage des mains en règle. Là est posé un cadre, façon pop art, à la gloire de Stephen Curry, immense star de la NBA. Et cette légende : « Play like you’re in first. Train like you’re in second ». Un mode de vie pour Matthieu Jalibert.

Un modèle inspirant, aussi. Le demi d’ouverture de l’Union Bordeaux-Bègles, aussi talentueux soit-il, est de ceux qui se forgent par le travail. Raphaël Lassegnore, son ami d’enfance, nous avait prévenus en amont de la rencontre : « Quand il a été recalé à l’entrée du pôle espoir, il a redoublé d’efforts et travaillé encore plus dur pour réussir et arriver là où il est aujourd’hui. Je sais qu’il continue de la même façon, il veut devenir le meilleur. C’est presque une obsession chez lui. » L’image du surdoué lui colle pourtant souvent à la peau. Une étiquette lourde à porter. « Elle est parfois pesante, tempère-t-il. On attend beaucoup de moi. Tout le temps. Mais je ne suis qu’un être humain, pas un robot. Je ne peux pas traverser le terrain toutes les cinq minutes. J’ai l’impression, par ce que j’ai pu montrer dans le passé, que les gens attendent que je fasse tout le temps basculer les matchs. Or, ce n’est pas possible. »

À 22 ans, il vit seul. La décoration intérieure témoigne. Elle est élégante mais pour le moins épurée. Un peu à l’image du joueur qu’il est. Un miroir Empire doré à l’or fin est posé à même le sol, coincé sous l’escalier menant à l’étage. Sur la table du séjour, une corbeille déborde de paperasses diverses. La cuisine américaine, vierge de toute trace de petits plats mijotés durant les six derniers mois, se dresse face au salon doté d’un canapé XXL. Il regrette de ne pas pouvoir proposer un café. « Je n’ai plus de capsule et comme je n’en bois jamais, je n’ai pas pensé à en racheter », s’excuse-t-il. Il ouvre son frigo, désespérément vide. Son sourire, entre candeur et désolation, provoque le rire de Caroline Thiebaut, celle qui est en charge désormais de gérer son image et présente pour l’occasion. « Quand tu reçois un journaliste, tu prévois au moins un café à offrir. C’est la base. »
Son image, justement, c’est l’objet de cette rencontre. Matthieu Jalibert a pleinement conscience que sa personnalité prête au débat. Voilà pourquoi il a décidé de faire appel à celle qui gère la communication de plusieurs personnalités de renom, de Bernard Laporte à Rolland Courbis, de l’ancien footballeur Ludovic Obraniak à Eric Naulleau. « Me reposer sur quelqu’un qui connaît ce milieu, c’est plus facile pour moi, dit-il. Depuis le début de ma carrière, j’ai été beaucoup sollicité par les médias. J’ai le sentiment d’avoir parfois été piégé, dans certaines situations. À des moments, j’ai eu besoin de dire des choses, de faire passer des messages. Or, je n’étais pas entouré et je me suis parfois trompé dans ma communication. »

Un exemple ? « Typiquement, après l’incident survenu à Castres avec Julien Dumora, si j’avais été accompagné, ça m’aurait permis de mieux m’expliquer. » Souvenez-vous. C’était la saison dernière. À l’issue d’une rencontre tendue, l’UBB inscrit un essai en toute fin de rencontre, synonyme de succès. Jalibert, depuis le banc de touche, fonce vers ses copains pour célébrer la victoire. Au passage, il bouscule l’arrière Julien Dumora comme pour mieux le chambrer. L’incident devient vite une affaire. « Je m’étais fait insulter durant tout le match. J’ai essayé de garder mes nerfs. Mais bon… Plus que mon geste, c’est ma réaction d’après match sur Canal + qui n’a pas été très maline. J’avais dit que je ne l’avais pas fait exprès. Or, si j’avais expliqué ce qui s’était réellement passé, ça n’aurait pas fait tout ce buzz. »

Et d’ajouter, le regard empli de remords : « Ce geste, je le regrette profondément. De par mon statut, mon image, je n’aurais jamais dû faire ça. Je m’en suis excusé auprès de Julien. En fait, j’ai été pris dans le feu de l’action, de l’excitation. Mais je n’avais pas à agir ainsi. Je n’ai pas envie non plus qu’on ne retienne que ça de moi. Seulement, tous ceux qui ne m’apprécient pas s’en servent pour essayer de me déstabiliser et me descendre. »

Un gamin de son époque

Il y a donc ceux qui l’adorent et ceux qui le détestent. Ceux qui voient en lui le surdoué du rugby, l’enfant de la balle, débarqué en équipe de France à seulement 19 ans et ceux qui ne lisent que mépris et arrogance dans son comportement. « Que certaines personnes ne m’apprécient pas, c’est le jeu, dit-il tranquillement assis, jambes croisées, un ballon entre les mains qui ne cesse de virevolter comme pour masquer une douce nervosité. Je croise parfois des gens qui disent me trouver hautain. Je les comprends. Certains de mes potes me le disent aussi. C’est l’image que je dégage sur le terrain et parfois dans la vie de tous les jours. Seulement, j’essaie d’être le plus professionnel possible, de rester dans ma bulle, d’être froid. Je ne m’ouvre pas facilement aux autres, ce qui me donne peut-être un air arrogant, mais je ne crois pas manquer de respect aux gens. Et je n’ai vraiment pas le sentiment d’être méprisant. » Raphaël Lassegnore, avec qui il a partagé quelques années sur les bancs du collège Victor-Louis puis, plus tard au lycée Vaclav-Havel de Bègles, confirme. « Il n’est pas méprisant mais il a toujours eu ce côté chambreur. D’ailleurs, on ne pouvait pas trop se blairer au début. Nous avions un peu le même caractère, nous étions deux têtes de con, toujours à brancher les uns ou les autres. »

Aujourd’hui, Matthieu Jalibert est une tête d’affiche d’un sport et d’un microcosme très conservateur, où la moindre tête dépassant du rang est stigmatisée. « Le rugby n’aime pas voir émerger de vraies stars, estime Pascal Irastorza, l’homme qui a accompagné l’image et l’éclosion de Sébastien Chabal en 2007. Seb en a d’ailleurs pris plein la gueule, à la grande époque. Et s’il y avait un Mbappé dans le rugby, il se ferait défoncer. C’est la nature du rugby, qui n’est pas encore un sport professionnel. En tout cas, il n’assume pas d’être un sport business. » Dans une société où la marmite du système dégueule tôt ou tard les produits qui refusent de bouillir à bonne température, le thermostat de Jalibert oscille entre le froid glacial et le chaud bouillant.

Soit il ne dégage aucune émotion, à l’image de son idole Owen Farrell, comme pour mieux illustrer cette génération calibrée dans les centres de formation, biberonnée au professionnalisme ; soit il s’affiche les cheveux blonds peroxydés, des chaussures fluo à vous faire sauter la rétine comme pour attirer la lumière. Lui rétorque que « ce n’est pas de la provocation ». Et glisse, sourire coquin aux coins des lèvres : « Je n’ai pas envie de m’interdire de faire quelque chose parce que ça déplaît ou ça dérange. De toute façon, plus on va m’interdire un truc, plus je vais le faire. » « C’est son côté exaspérant », coupe Caroline Thiebaut.

Il est comme ça, Matthieu Jalibert. Un gamin de son époque où les codes ne sont peut-être pas ceux d’hier, ce qui a tendance à faire tousser le monde de l’ovalie. « Dans le rugby, il y a beaucoup moins de liberté que dans d’autres sports, regrette-t-il. Or, je déteste la routine. J’aime le changement, j’aime me faire plaisir, tenter des choses. À l’image de mon jeu sur le terrain. Dans la vie, je fais ce que j’aime, je ne m’arrête pas sur ce que pensent les gens. Mais ça ne justifie pas la méchanceté, parfois, à mon égard. »

Plus proche d’Anquetil que de Poulidor

Dans une France qui dénigre la réussite mais qui en rêve la nuit, il dérange et fait fantasmer à la fois. Peut-être y voit-il de la jalousie ? « Je suis arrivé à 19 ans en équipe de France, j’ai connu le succès rapidement et visiblement, ça ne plaît pas », répond-il en jurant de ne pas en souffrir. Je n’ai pas été préparé à tout ça. Ça m’est tombé dessus alors que je n’avais rien demandé. Tout le monde m’a annoncé comme le nouveau petit prince du rugby français. Seulement, le plus dur a été la descente. Quand je me suis blessé lors de ma première sélection, tous ceux qui m’avaient encensé m’ont descendu. À 19 ans, ça fait bizarre. Je l’ai pris en pleine gueule mais ça m’a permis de grandir plus vite. Aujourd’hui, j’ai aussi compris comment fonctionnait le système. Je sais qu’à chaque match, tout peut être remis en cause par les supporters, les réseaux sociaux ou les médias. »

Il n’empêche, Matthieu Jalibert s’interroge, encore et toujours. « Je ne comprends pas que cela puisse être dérangeant d’avoir de l’ambition et de l’assumer. Personne ne peut m’empêcher de rêver. Seulement, quand on dit ça, on passe tout de suite pour une personne arrogante, prétentieuse. J’ai l’impression qu’en France, on ne peut pas forcément dire ce que l’on pense sans se retrouver sous le feu des critiques. » Sur ce point, force est de reconnaître qu’il n’a pas complètement tort. La France est ce pays qui a toujours préféré Poulidor, l’éternel second à Anquetil, toujours vainqueur. Le premier a dit un jour : « Je ne me suis jamais réveillé en me disant : aujourd’hui, je gagne », quand le second affirmait : « Mon unique règle de vie consistait à être le plus fort et le premier partout, à l’école, à la bagarre et dans les compétitions. » Assurément, Jalibert est plus proche d’Anquetil que de Poulidor.

Dans sa chronique « Mourad de Toulon », Boudjellal, ancien président du RCT a comparé Matthieu Jalibert à Johan Cruyff, immense star du ballon rond des années 70. Il développe : « Pour moi, la super star du rugby français, ce n’est pas Dupont. C’est lui, Jalibert. Parce qu’il a une gueule, parce qu’avec ou sans lui, l’UBB, ce n’est pas la même équipe et parce qu’il a ce que les grands champions ont toujours eu : la fierté d’être ambitieux. » On évoque alors avec le jeune ouvreur la comparaison flatteuse de l’ancien patron du RCT, au cours de la séance photo sous un doux soleil automnal. « Franchement, ça m’a fait plaisir mais ne dites pas ça ! Sinon qu’est-ce que je ne vais pas encore entendre… Et puis, surtout, moi jusqu’à aujourd’hui, je n’ai gagné aucun titre. J’ai encore tout à faire, tout à prouver. » Mais l’ambition est bien là, profondément ancrée en lui. Et elle est assumée. Que ça plaise ou non.

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