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Aurélien Rougerie, l'entretien « sale gosse » : « En 2011 on avait une dream team, une équipe de fou ! »

Par Pierre-Laurent GOU
  • "Dix ans après, je suis encore frustré"
    "Dix ans après, je suis encore frustré"
Publié le Mis à jour
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Cadre des bleus en 2011 lors du Mondial, il nous fait revivre cette «aventure humaine extraordinaire» de l’intérieur.

Le Mondial 2011 reste-t-il un bon souvenir, malgré la défaite en finale ?

J’en garde même un excellent souvenir. J’ai joué tous les matchs d’une compétition que j’ai failli ne pas disputer. Cela a été une Coupe du monde mouvementée, même de manière personnelle, parce que j’étais lancé dès la préparation dans une course contre la montre avec une fracture de la jambe contractée trois jours avant que Marc ne dévoile la liste des joueurs qui étaient retenus pour cette aventure. Participer au Mondial était déjà une victoire pour moi. Au mois de juillet 2011, j’étais loin très loin de la Nouvelle-Zélande.

Pas de regret d’être passé si près d’un titre Mondial ?

Il y a eu plein de choses avant cette finale et son dénouement. Des choses déterminantes dans la construction, non seulement du groupe mais aussi de la compétition. Au final, malgré la défaite, cela reste un de mes meilleurs souvenirs, notamment en raison de l’aventure humaine que l’on a vécue là-bas.

Ce groupe était né dans la douleur, avec un Tournoi des 6 Nations 2011 raté et une défaite cuisante en Italie…

Au sortir de cette défaite, on s’était réuni avec quelques joueurs d’expérience autour de notre capitaine, Thierry Dusautoir. On voulait évoquer, avec le staff, des changements à apporter au rugby pratiqué par le XV de France. Il y avait alors de très grandes différences avec ce que nous vivions en club et en Bleu, en termes de management et d’entraînement. Le Top 14 est une compétition bien huilée, peut-être un peu pompeuse parfois. Pour le disputer avec nos clubs, on savait exactement quel devait être le plan avec les trois premiers temps de jeu bien établis, quelle intensité tu dois y mettre. En équipe de France, le staff nous demandait un jeu plus intuitif, avec pas mal de mouvement général. Certains ne s’y retrouvaient pas. On avait donc remonté les doléances du groupe : plus de précision dans les déplacements voulus pour le jeu que l’on était censé pratiquer au Mondial. Des joueurs s’étaient montrés plus véhéments que d’autres, cela leur a sûrement coûté leur place dans le groupe pour la Nouvelle-Zélande.

Comment avez-vous vécu la phase de préparation durant l’été ?

J’ai d’abord passé trois semaines dans le centre de rééducation de Saint-Raphaël, pour mettre toutes les chances de mon côté. Le chirurgien, le professeur Boussaton, qui m’avait opéré, était très perplexe sur mes chances de disputer la Coupe du monde. Avec ma double fracture tibia-péroné plus ma luxation de la cheville, il me disait que ce serait du jamais vu sur un temps de récupération aussi court. Quand je rejoins le groupe au Chambon-sur-Lignon, à la fin du stage, j’arrivais donc sur la pointe des pieds. J’avais juste l’autorisation de trottiner. J’étais loin du compte.

Aviez-vous peur de ne pas être remis à temps pour ce Mondial ?

Bien sûr, j’avais un vrai stress mais j’en tirais une véritable force pour relever ce challenge. J’avais un double challenge : récupérer physiquement et être bon rugbystiquement, pour pouvoir postuler. J’ai réussi le premier. Le deuxième est forcément plus subjectif. J’ai fait ce que j’ai pu pour être dans l’avion.

Quand apprenez-vous que vous êtes dans le groupe définitif pour la Nouvelle-Zélande ?

A Dublin, pour le dernier match de préparation. Je suis sur la feuille de match, je débute sur le banc et ma rentrée se passe bien. C’est là que Marc décide de m’embarquer. Intérieurement, je crois que je le savais. Au deuxième stage de l’été, à Falgos, on termine par un entraînement à Aimé-Giral. Pendant l’opposition, j’effectue une séance de course de mon côté. Le professeur Boussaton est venu m’observer. Il tombe des nues en affirmant que c’est incroyable, que j’ai recouvré l’intégralité de mes moyens. Il le dit publiquement, aussi au sélectionneur.

Parlez-nous de l’installation en Nouvelle-Zélande ?

J’ai l’impression que l’on est arrivé trois semaines avant le début de la compétition (en fait dix jours, NDLR). Il fallait que l’on évacue les effets du décalage horaire, que l’on trouve nos marques, mais j’ai trouvé le temps long avant le premier match. Nous étions à Takapuna, un peu à l’extérieur d’Auckland, dans un endroit tranquille. Des conditions idéales, si ce n’est que notre hôtel grouillait tout le temps de journalistes (rires). Pour être tranquille, il valait mieux ne pas descendre dans le hall.

Que s’est-il passé lors du match face aux Tonga ?

Très clairement, nous l’avons pris par-dessus la jambe. Ils nous ont pris sur l’agressivité. Tu avais l’impression qu’ils n’étaient pas quinze sur le terrain, mais trente ! On voulait gagner en étant facile, presqu’en se préservant pour la suite. Le rugby ne marche pas comme cela.

Les dissensions entre joueurs et staff sont-elles ressorties à ce moment ?

Elles étaient sous-jacentes, depuis le début de la compétition. Elles ont été mises en exergue à cette occasion.

En point d’orgue, une réunion entre joueurs où vous excluez le staff...

Ce n’est pas exactement ça. A l’initiative de quelques joueurs, nous avons souhaité nous retrouver en vase clos. Nous avions des choses à nous dire, des comportements à changer.

Qu’est-ce qui n’allait pas entre vous ?

Le staff nous demandait toujours de prendre des initiatives dans notre jeu, alors que l’on était habitués à un certain confort au quotidien, où tout était préétabli. Cette capacité d’adaptation sur des matchs de haut niveau, on n’y était pas confrontés. Ce n’était donc pas facile pour nous, joueurs, d’exprimer notre jeu. Après, je n’ai jamais eu aucun heurt avec Marc Lièvremont.

Qui bataillait avec la presse. Ces mauvaises relations vous polluaient-elles ?

Nous nous en rendions compte. Avec ce "combat", nous trouvions que nous étions acculés par des articles toujours négatifs et peu agréables. On avait l’impression que nous étions un peu seuls contre tous, au bout du monde. Je n’en veux pas aux journalistes auteurs des critiques, vous êtes restés sur des jugements sportifs des joueurs. Durant un Mondial, tout est exacerbé et nous nous sommes un peu montés la tête avec tout cela. On s’en est servi. Après le Tonga, on a voulu créer une bulle complètement hermétique à l’extérieur. Ne plus se laisser polluer ou manipuler, notamment par vous, les journalistes. On avait déjà assez à faire avec nos histoires internes, notamment avec l’utilisation de joueurs à des postes qui n’étaient pas les leurs. Je parle de Morgan (Parra) notamment, qui était positionné à l’ouverture. Cela a pu susciter des réactions véhémentes des autres ouvreurs et notamment de François Trinh-Duc. Cela aurait pu "foutre la merde" (sic) entre les uns et les autres.

Vraiment ?

La situation était compliquée, on était qualifiés de manière chanceuse. Il fallait se concentrer sur nous-mêmes. Avant le quart de finale face à l’Angleterre, nous n’avions pas des tonnes de certitudes. J’ai été très virulent avec vous, les journalistes. C’est pour cela que, à la fin de la compétition, j’ai exprimé le besoin de m’excuser et d’expliquer le pourquoi du comment.

Cette semaine particulière, à Wellington, a permis au groupe de trouver une cohésion supplémentaire ?

Certainement. Pourtant, on n’a rien décidé de révolutionnaire, notamment au niveau du rugby. Une fois ce mur "construit" entre nous et les autres, on voulait se retrouver sur la défense. On a mis l’accent là-dessus. En attaque, derrière, les combinaisons se limitaient à "sautée un" ou "sautée deux" ! C’était le B.A-BA du rugby.

Et puis, vous entrez dans une phase d’autogestion...

Le staff avait senti que nous avions besoin de nous responsabiliser. Rappelez-vous de qui était sur le terrain. Des garçons qui étaient tous ou presque capitaines en club. Servat, Harinordoquy, Traille, Yachvili, Papé, Bonnaire, Parra... C’était facile de jouer avec eux. Quand nous sommes sortis de cette fameuse réunion - ou beuverie - j’étais persuadé que nous allions être champions du monde.

Comment peut-on croire en ses chances après une défaite face aux Tonga ?

Nous n’avions rien à perdre. Il nous fallait juste prendre conscience de nos capacités. Regardez les noms qu’il y avait sur la feuille de match. Ce n’était pas loin d’être une dream team. En tout cas, une équipe de fou. C’était obligatoire qu’il se passe quelque chose.

Jusqu’alors, n’aviez-vous pas laissé Thierry Dusautoir trop seul ? La raison de cette épopée, n’est-ce pas que les lieutenants du capitaine ont pris leur responsabilité et tenu leur engagement ?

A un moment, je pense que Thierry avait trop de lieutenants. Tout le monde voulait amener sa pierre à l’édifice et cela tirait dans tous les sens. Parfois, il est bon de fermer sa bouche et d’avancer. Le groupe a arrêté de tirer la couverture à soi et s’est mis au service de l’équipe de France.

Comment avez-vous pris le fait d’être traité de "sales gosses" ?

Aujourd’hui, quand on l’utilise, c’est presque positif. Au départ, c’était bien plus péjoratif. Je ne me suis pas trop senti visé sur le coup, car je ne faisais pas partie des garçons qui sont allés à droite ou à gauche, après les matchs. C’était l’un de nos problèmes, nous n’avons pas été solidaires sur ce plan-là. D’ailleurs, lors de la fameuse soirée de Wellington, on s’était dit des choses à ce sujet-là. Après, l’expression de "sales gosses", on s’en est servi pour avancer.

Pour la finale, vous choisissez de faire face au Haka et de "défier" les All Blacks en vous regroupant en forme de flèche. Il fallait assumer, ensuite...

Après avoir discuté avec des Néo-Zélandais, Thierry Dusautoir a eu l’idée de défier le Haka de cette façon. Avec beaucoup de respect. L’idée était de symboliser une arme, qui pouvait effectivement s’apparenter à une flèche et qui pouvait partager en deux l’équipe néo-zélandaise. C’était un symbole. On s’est organisé l’avant-veille : les numéros pairs d’un côté, les impairs de l’autre. On s’est mis une forme de pression, mais tout le monde avait adhéré spontanément. Avant le match, on savait qu’on allait tous mettre un engagement total. D’ailleurs, assez vite, on s’est aperçu que les Blacks étaient déroutés par notre comportement. Quand on a formé la flèche, le stade s’est tu. C’était incroyable, on entendait le silence. On a senti que l’on avait perturbé non seulement toute l’équipe, mais aussi tout un peuple. Bon, l’issue aurait pu être tout autre. Si l’arbitre…

Une fois la rencontre débutée, sentez-vous que vous prenez le dessus sur les Blacks, que vous êtes à deux doigts d’être champions du monde ?

Grave ! Dès la première minute, j’étais certes déterminé, mais on sentait même qu’on allait le faire. Que nous allions être champions du monde. Même après leur essai, il n’y a eu aucune panique. Les Blacks ont passé leur combinaison comme dans du beurre avec un beau leurre mais on était en place. On ne doutait pas. Dès que nous avions le ballon, on avançait. Au fil des minutes, on sentait le doute chez eux. À l’inverse, on était habités par une vraie confiance collective. Je me souviens de la phrase d’un supporter anglais qui m’a dit, après ce match : "vous ne méritiez pas d’être qualifiés pour la finale, mais vous méritiez d’être champions du monde". Cela résumait bien notre compétition.

Ne vous êtes-vous pas satisfait simplement de rivaliser avec les Blacks ? Après coup, on vous a sentis presque soulagés de ne pas avoir pris une rouste...

Je ne suis pas d’accord. J’étais terriblement déçu et j’ai encore beaucoup de regrets. On ne s’est pas effondrés au coup de sifflet final car on savait d’où on venait. Mais dix ans après, je suis encore frustré.

Le XV de France rate le coche sur la pénalité à 10 minutes de la fin, ratée par François Trinh-Duc. Damien Traille aurait-il dû prendre le but ?

C’est un fait de jeu. Dimitri en rate une avant, en coin depuis les 40 mètres. Si on était passé devant, les Blacks se seraient peut-être re-mobilisés. On ne va pas refaire le match. François la sentait, il l’a prise. Ce qui aurait été mieux, c’est d’avoir un arbitre impartial… Mais bon, comme on dit aux plus jeunes, l’arbitre fait partie du jeu… Sur l’instant, on se rendait bien compte qu’il ne sifflait jamais en notre faveur. Il nous fallait contenir notre énervement et analyser au plus vite ce qu’il permettait ou pas.

Les Blacks ne se sont pas gênés pour dépasser les limites permises, avec notamment l’agression sur Morgan Parra...

Absolument. Il a été visé délibérément. A la 15e minute, il prend un coup de genou dans la tête, non sanctionné. J’ai revu plusieurs fois la finale à la vidéo. Je suis à chaque fois agacé par les erreurs d’appréciation de l’arbitre. Et je pèse mes mots… C’est comme ça…

Qu’avez-vous gardé de ce Mondial ?

Un maillot que j’ai fait signer par tous mes partenaires d’aventure. Dix ans après, cela reste une aventure humaine extraordinaire. Je voulais garder un vrai souvenir pour mes vieux jours. En quatre mois, pendant une Coupe du monde, tu vis une sorte de résumé d’une vie. Cette excitation, elle te manque, surtout quand tu as raccroché tes crampons. Ces joies, ces déceptions que tu vis sont intenses. Cela ne s’oublie pas.

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