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Il y a dix ans, les « sales gosses » (4/4) : plongez dans les coulisses de la finale

  • L'équipe de France devant le Haka des All Blacks en 2011.
    L'équipe de France devant le Haka des All Blacks en 2011. Spi / Icon Sport - Spi / Icon Sport
Publié le Mis à jour
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Nous revenons enfin sur les quelques heures ayant précédé la finale entre la France et la Nouvelle-Zélande, à l’Eden Park d’Auckland. Du déchaînement de haine ayant contribué à resserrer les Bleus autour d’un dessein commun à l’élaboration de la flèche ayant frappé le Haka en plein cœur, les acteurs de l’événement reprennent le fil de l’histoire. Quand les « sales gosses » étaient si proches de devenir des super héros. C’est à vous, messieurs…

Pour la troisième fois de son histoire, le XV de France s’apprête à disputer une finale de Coupe du monde et, sur notre minuscule planète, on pense à ce point que les All Blacks méritent ce titre derrière lequel ils courent depuis vingt-quatre ans que la bande à « Titi » Dusautoir devient soudainement l’ennemi à abattre. En Nouvelle-Zélande, c’est même un déchaînement de haine assez primaire qui s’abat, sans raison ou presque, sur l’équipe de France. Andrew Mehrtens, pourtant mortifié par Lamaison et Magne en 1999, dégaine le premier : « Les Français sont mauvais : ils sont incapables de vaincre les All Blacks et gagner cette Coupe du monde. » Dans les colonnes du New Zealand Herald, l’indélicat Peter Bills trempe sa plume dans le vitriol, inhumant ces Tricolores « aussi effrayés qu’indigents ».

Au gré de sa chronique, le plumitif « so british » tient même à ressusciter les fantômes de Maso et Villepreux, les princes de 1968 ayant alors ensorcelé la Nouvelle-Zélande, pour mieux les opposer aux « wimps » (mauviettes) de 2011, fossoyeurs du french flair et de son cortège de clichés surannés.

À la télé, un présentateur de Sky TV joue du col en reprenant la saillie verbale de Marc Lièvremont au sujet de ses joueurs : « Au-delà d’être de vrais sales gosses, les Français sont surtout de piètres rugbymen. » Et quoi ? Ont-ils tous oublié, ces Saxons, le cauchemar de 2007, les larmes de Richie McCaw ou le visage livide de Graham Henry ? Ont-ils biffé de leurs mémoires le match du siècle, l’enfer de Twickenham et le regard exorbité de Richard Dourthe ?
 

Harinordoquy : « Les Néo-Zélandais étaient vraiment insupportables »

 

Au sujet du contexte, Imanol Harinordoquy confie : « Cette semaine-là, les Néo-Zélandais étaient vraiment insupportables. Ils disaient que nous étions violents, que Roro (Aurélien Rougerie) et Julien Bonnaire collaient des fourchettes dans les rucks. J’ai découpé tous ces articles dégueulasses et les ai tous affichés dans notre hôtel, à Auckland. » Une déco pour le moins motivante, n’est-ce pas ?

« Après la demi-finale face aux Gallois, écrit Marc Lièvremont dans ses mémoires *, notre efficacité et notre pragmatisme sont devenus source de railleries. Je m’en suis servi comme d’un levier. J’ai même demandé à mon staff qu’on affiche sur les murs de notre salle de vie des articles ricaneurs, les titres assassins, comme cette Une du quotidien New Zealand Tribune titrant en pleine page « 80 minutes and we’re laughnig » (encore 80 minutes et on va rire). » Quant au dégueulis lâché sur les ondes par un ancien joueur sud-africain, estimant « honteux que la France soit arrivée en finale » et, comme l’écrit Lièvremont, « oubliant au passage la façon dont les Springboks avaient été champions du monde en 2007 », il n’y a malheureusement plus que nous pour nous en souvenir.

Seuls contre tous, alors ? C’est à peu près ça et, dans ses mémoires, Lièvremont se persuade même que l’ennemi est également présent à l’intérieur. « Serge Blanco m’avait comparé à un clown triste. À l’entendre, je n’avais plus qu’à prendre mon nez rouge ou ma veste bariolée avant de claquer la porte du chapiteau. »

De toute évidence, le contexte fut de nature à resserrer les Bleus autour de leur capitaine et, à Auckland, tout fut prétexte à nourrir la fibre complotiste d’un groupe s’estimant alors la cible de tous. Imanol Harinordoquy, numéro 8 du XV de France en finale du Mondial, explique à notre confrère Ian Borthwick ** : « Cette semaine-là, les All Blacks avaient même gagné le tirage au sort relatif à la couleur du maillot : ils joueraient la finale en noir et nous en blanc ! À mes yeux, ça voulait dire : « On leur laisse le maillot, on n’a qu’à leur laisser la victoire aussi ! » Moi, j’ai toujours préféré mourir en portant les couleurs de l’équipe de France et le maillot français, il est bleu ! C’est un truc de plus dont on s’est servi. »
 

Lièvremont avait rencontré Joubert

 

Après la défaite face au Tonga, survenue trois semaines plus tôt en match de poule, les vieux routards du groupe France (Rougerie, Bonnaire, Harinordoquy, Yachvili…) avaient pris en mains la sélection nationale, certains parlant d’autogestion quand Marc Lièvremont, de son côté, évoqua seulement une « responsabilisation » accrue de ses joueurs. Il raconte : « La veille de la finale, Joël Jutge (ancien patron des arbitres à World Rugby) a aussi pris rendez-vous avec l’arbitre de la finale, le Sud-Africain Craig Joubert. On s’est retrouvé tous les trois au bar de son hôtel. J’ai souvent présenté Joubert comme le meilleur arbitre du monde et je le maintiens. C’est un homme intelligent, ouvert à la discussion, physiquement affûté. […] Ce matin-là, on aborde la conversation par deux aspects : le positionnement en mêlée de Tony Woodcock, qui engage souvent vers le bas. Je lui montre aussi des images de la demi-finale des Blacks (face aux Wallabies) arbitrée par… Monsieur Joubert, illustrant la différence de traitement entre les comportements du numéro 7 australien David Pocock, à qui on n’a rien laissé passer, et ceux d’en face, le capitaine McCaw et le talonneur Mealamu.

Joubert refuse de regarder le clip jusqu’au bout, répond qu’il aura conscience de l’enjeu et conclut : « Pour moi, ce sera juste quinze noirs contre quinze blancs. »» La finale passée, Lièvremont ne brûlera jamais Joubert publiquement mais reverra son propos initial, disant par exemple dans Midol que « Joël Jutge avait raison, lorsqu’il affirma, après la finale, que Craig Joubert avait arbitré les Bleus et managé les Blacks ».
 

Une flèche, pas un « V » !

À Auckland, les coéquipiers de Thierry Dusautoir avaient imaginé maintes choses, et parfois les pires, pour contrer le Haka néo-zélandais à l’Eden Park. Au bout du bout, la lumière vint finalement du Kiwi Andy Roberts, un ancien flic de la criminelle, responsable de la sécurité des Bleus durant l’intégralité de la compétition. Un soir, celui-ci confia donc au capitaine tricolore que les armées britanniques, jadis, formaient un V pour fondre sur les lignes adverses avant de dresser une ligne face à l’ennemi, comme pour mieux l’impressionner. La soirée passa, l’idée fit son chemin dans l’esprit de Thierry Dusautoir et, le lendemain matin, les Bleus se retrouvèrent aux aurores pour répéter la scène.

Pascal Papé se souvient : « On a bossé le truc mais le jour du match, tout s’est fait de façon très naturelle. Titi (Dusautoir) s’est mis devant, les vieux l’ont suivi et les autres aussi. Lorsque l’on s’est finalement déployés sur la ligne médiane, on a bien vu que les All Blacks étaient totalement décontenancés. Leur Haka ne ressemblait plus à rien. » Après la finale, Thierry Dusautoir racontait : « Au départ, je me suis avancé seul mais ensuite, je me suis senti soutenu par tous mes coéquipiers. J’ai même dû les freiner. Certains voulaient carrément traverser et aller embrasser les Néo-Zélandais. À un moment, il a fallu les calmer. »

Ayant franchi largement la ligne médiane, Dusautoir et ses coéquipiers écoperont de la part de World Rugby d’une amende de 25 000 €, une somme qui sera entièrement amortie par le journaliste John Campbell, à l’origine d’une collecte dans les rues d’Auckland au lendemain de ce match.
 

Dans les vestiaires, de Givors à Garazi

Si, au fil des ans, on a largement évoqué la flèche formée par les Bleus à l’Eden Park, le prologue à cette chorégraphie est en revanche plus méconnu : dans les vestiaires et à la demande d’Imanol Harinordoquy, les Tricolores avaient tour à tour abordé leurs plus grandes réussites avec leur club formateur, le SA Trélissac pour Thierry Dusautoir, le SO Givors pour Pascal Papé, le RA Epinal pour Maxime Mermoz.

« Je voulais qu’on se sente appartenir à une histoire qui dépassait notre petite personne, explique aujourd’hui le numéro 8 du XV de France. Nous étions à 20 000 kilomètres de la maison. Je souhaitais donc que l’on se rattache à nos origines profondes, aux raisons pour lesquelles nous avions commencé ce sport. »

Lorsqu’est venu son tour, Imanol a alors raconté à ses partenaires comment, avec les Juniors Balandrade de Saint-Jean-Pied-de-Port, il avait battu l’ogre de l’époque en finale du championnat de France : « Montmélian n’avait pas perdu un seul match de toute la saison. Les frères Forest (Anthony et Mickael) étaient leurs figures de proue. Franchement, on aurait joué ce match dix fois, on l’aurait perdu à neuf reprises : les mecs de Montmélian étaient cent fois meilleurs que nous mais nous les avons battus. Dans les vestiaires de l’Eden Park, j’ai donc dit à mes copains qu’il suffisait d’une fois, qu’il suffisait de s’aimer et d’y croire pour que le miracle se produise. » Imanol marque une pause, reprend. « Cette finale, il fallait se l’approprier. Nous avions d’ailleurs refusé que des anciens internationaux, qui avaient souhaité intervenir dans notre préparation, passent à l’hôtel en semaine. »


Lièvremont : « Des druides vêtus de noir nous ouvrent le passage »

Au bas mot, ils sont trente individus, peut-être quarante à avoir connu l’atmosphère tendue, angoissante, terrifiante du camp tricolore avant la finale de 2011. Marc Lièvremont se souvient : « Il règne un silence glaçant quand j’arrive dans la salle de vie de l’hôtel pour assister à la remise des maillots. Le seul geste de tendre un maillot tricolore à celui qui va le porter transmet une relation de confiance. C’est notre hostie de païens. Je dis : « Ce match vous appartient, les gars. Soyez forts ».  Le trajet en bus, lui, est une procession. On traverse une foule incroyablement dense, comme des druides vêtus de noir qui nous ouvriraient le passage secret vers l’Eden Park. Dimitri Szarzewski glisse un CD dans le lecteur, un morceau planant du film Gladiator. »

Plus tard, dans les vestiaires, le temps se resserre, le son augmente, les visages se transforment. Dans le livre qu’il publiera à son retour au pays, Lièvremont raconte : « Les gros vont s’isoler dans les douches, s’empoignent, se cherchent front contre front. Les sons bruissent : mélange de voix, de crampons qui frappent, de bandes adhésives qu’on arrache. Puis Imanol, le Yach font monter le volume sonore. C’est de la haine, oui, qui se lit maintenant sur les visages, jusqu’à rugir quand le compte à rebours touche à sa fin. »

Ces ultimes coups de tronche furent l’épilogue véritable d’une aventure à la fois épique et chaotique, une épopée tout aussi sublime que bouffonne. Qu’on le veuille ou non, jamais une équipe de France n’avait été aussi près d’être sacrée championne du monde…

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