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Le Gers, à la source des champions

  • Les enfants de l'école de rugby, eux, rêvent d'imiter Antoine Dupont, Anthony Jelonch, Pierre Bourgarit ou Grégory Alldritt
    Les enfants de l'école de rugby, eux, rêvent d'imiter Antoine Dupont, Anthony Jelonch, Pierre Bourgarit ou Grégory Alldritt Midi Olympique - Aurélien Delhanduy
Publié le Mis à jour
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Dimanche 3 octobre, le cœur du rugby gersois battait du côté de Lombez, où le LSC recevait le voisin auscitain pour un derby enflammé. L’occasion de prendre le pouls rugbystique de ce département rural qui a accouché récemment de plusieurs étoiles de ce jeu, dont quatre portent fièrement les couleurs de l’équipe de France…

C’est donc là, dans les infrastructures champêtres du vénérable stade Paul-Vignaux de Lombez que s’était donné rendez-vous tout ce que le Gers compte comme amoureux de rugby. Ni le vent mauvais, ni la pluie cafardeuse de ce premier dimanche d’octobre n’ont suffi pour plonger les travées du fief du LSC dans la torpeur. Les quatre cents convives présents pour déguster la délicieuse daube d’avant-match, préparée et servie avec amour par plus de cinquante bénévoles dévoués, dont certains cadets et juniors du club, avaient vu leur effectif tripler autour de 15 h 30, au moment du coup d’envoi de ce duel fratricide contre le voisin du RC Auch. Un derby inscrit dans la légende du rugby gersois. Jugez plutôt : ici, on dit de lui qu’il est le plus ancien de tous les derbys, celui qui s’est le plus souvent joué, celui qui génère le plus de passion.

C’est ce match si particulier qui a fait naître la passion du rugby chez les "quatre mousquetaires" que sont Anthony Jelonch, Antoine Dupont, Pierre Bourgarit et Grégory Alldritt. Tous les quatre sont des piliers de leurs clubs respectifs et de l’équipe de France, avec le Gers pour dénominateur commun. Dans les tribunes de Paul-Vignaux, la seule évocation de leurs noms suscite l’émoi. Antoine Dupont, auteur d’une nouvelle prestation exceptionnelle la veille face à Biarritz avec le Stade toulousain, fait l’unanimité : « Il est un spectacle à lui tout seul et le meilleur numéro 9 du monde », tranche tout net Jean-Michel Justumus, le jovial président du RC Auch, le club né des cendres de feu le FCAG.

Auch en centre névralgique

Auch et le FCAG, justement, détiennent une part importante de la réponse lorsque l’on se pose la question de savoir comment le Gers, ce département rural à l’économie incertaine et coupé de tout, est-il parvenu à fournir au XV de France quatre des plus brillantes étoiles de son histoire récente. Et une pléiade d’autres joueurs de haut niveau à plusieurs clubs de Top 14, de Pro D2 ou de Fédérale 1. Citons pêle-mêle Mathis Lebel, l’enfant de Lombez désormais ailier à Toulouse, l’international Gabriel Lacroix qui a fait les beaux jours de La Rochelle, Nicolas Corato à Pau, Gauthier Doubrère à Mont-de-Marsan après un passage à Biarritz… La liste est trop longue à énumérer tant le Gers est une usine à champions.

À la source de la plupart de ces joueurs d’exception se trouvent plusieurs hommes, de Henry Broncan en passant par Jean-Marc Bédérède, Julien Sarraute ou Patrick Miquel, tous impliqués, de près ou de loin dans la détection de ces pépites et dans la création et le développement du centre de formation du FCAG, en 2003.

Malgré les conditions météorologiques dantesques, ce ne sont pas moins de 1500 spectateurs qui ont bravé les éléments pour assiter au derby LSC-RCA
Malgré les conditions météorologiques dantesques, ce ne sont pas moins de 1500 spectateurs qui ont bravé les éléments pour assiter au derby LSC-RCA Midi Olympique - Aurélien Delhanduy

L’idée, alors, était de faire d’Auch le centre névralgique de la performance rugbystique gersoise. Sans trop de moyens mais avec des idées. Portée par l’engouement autour de l’équipe fanion qui vivait de très belles heures, la synergie entre rugby et acteurs locaux était incroyable. Avec le centre de formation auscitain, tout le département du Gers ralliait ses meilleurs jeunes à une filière de haut niveau via le centre départemental du rugby. Julien Sarraute, qui était là au début de l’histoire du centre de formation du FCAG en tant qu’emploi-jeune avant d’en devenir directeur dès 2007, explique : « Nous travaillions de concert avec les quatre lycées auscitains. Nous avions développé une sorte de sport-études qui permettait aux joueurs d’avoir un emploi du temps aménagé pour s’entraîner plus, sans pour autant sacrifier leurs études. On démarchait aussi les entreprises pour trouver des alternances. C’était beaucoup de travail, mais cela en valait la peine... » Jean-Marc Bédérède, actuel manager des moins de 20 ans et qui entraînait les juniors Crabos auscitains au tournant des années 2010, a eu la chance de pouvoir tirer les profits de cette politique de formation : « Nous avons eu quelques années exceptionnelles où nous étions portés par de sacrés joueurs. J’ai eu la chance d’avoir les "quatre mousquetaires" sous mes ordres, sur deux années consécutives. Anthony Jelonch et Antoine Dupont étaient avec moi en 2013-2014 et nous perdons en finale du championnat contre le Racing. La saison suivante, mes moteurs étaient Pierre Bourgarit et Grégory Alldritt. Avec cette équipe-là, nous échouons en demi-finale face à Montpellier. Rendez vous compte : deux fois dans le dernier carré consécutivement, pour un club comme le nôtre, c’était exceptionnel. »

Humilité et travail, valeurs fondatrices

Il faut dire que le rythme de vie des jeunes gersois impliqués dans ce système de haut niveau était contraignant. Seuls les plus motivés pouvaient voir le bout du tunnel. Alldritt, Jelonch, Bourgarit et Dupont étaient de ceux-là, bien sûr. Sarraute reprend : « On ne va pas se mentir : c’était intense. Pierre et Anthony sont arrivés en cadets ; Grégory était déjà là depuis l’âge de dix ans, il a fait une partie de son école de rugby à Auch. Tous les quatre étaient mineurs mais conventionnés pour pouvoir être pluriactifs. Ils poursuivaient leurs études tout en étant sous double-contrats, à Auch. Anthony Jelonch était dans un lycée agricole, Pierre Bourgarit alternait entre rugby et maintenance d’engins… Franchement, ils sont passés par des moments difficiles, tous les quatre. Il fallait réussir à tout concilier: le rugby, les études, le boulot. Mais ils n’ont jamais manqué un entraînement, malgré les contraintes. Ils se sont construits dans la difficulté mais c’est devenu une force pour eux.» 

Le numéro 9 auscitain, Clément Briscadieu, s'apprête à engager le ballon au coeur de la mêlée, au coeur du jeu, au coeur de la passion gersoise.
Le numéro 9 auscitain, Clément Briscadieu, s'apprête à engager le ballon au coeur de la mêlée, au coeur du jeu, au coeur de la passion gersoise. Midi Olympique - Aurélien Delhanduy

Jean-Marc Bédèrede, aujourd’hui manager des moins de 20 ans de l’équipe de France, corrobore : «"Toto" (Dupont, N.D.L.R.) vient de Castelnau-Magnoac, Anthony (Jelonch) de Vic-Fezensac, Grégory (Alldritt) de Condom, Pierre (Bourgarit) de Gimont. Ces garçons-là ont tous eu un environnement familial serein, qui les a éduqués avec des valeurs d’humilité et de travail. » Et le technicien de se remémorer les jeunes années des quatre internationaux : « En juniors, Antoine éclaboussait déjà les matchs de toute sa classe. On ne pouvait pas dire, bien sûr, qu’on parlerait de lui comme du meilleur numéro 9 du monde ; mais on se disait qu’il avait vraiment tout pour devenir international. Il cassait déjà les lignes, il pouvait renverser un match sur une inspiration, une accélération, une passe impossible mais réussie. Les trois autres étaient déjà de très bons joueurs mais ils ne traversaient pas le terrain comme pouvait le faire Antoine. Ils jouaient dans le pack, c’était un peu plus laborieux. Avec le recul, Anthony Jelonch a passé un cap sur cette saison de Crabos. À l’époque, j’entraînais aussi la sélection Midi-Pyrénées et il s’était taillé la part du lion malgré la concurrence de joueurs dominants, qui venaient des clubs huppés de la région comme Toulouse ou Castres. Il ne faut pas se tromper : Jelonch, Bourgarit et Alldritt ont travaillé au-delà de l’entendement pour en arriver là où ils sont aujourd’hui. » Le technicien salue aussi leur intelligence dans leurs choix de carrière : « Au moment de quitter le Gers, tous les quatre ont su aller dans des clubs à taille humaine, à La Rochelle ou à Castres, où ils ont pu parfaire leur formation et continuer à se développer. Ils ne se sont pas brûlé les ailes. »

La fuite des talents

Sur la pelouse de Vignaux, le derby entre le LSC et Auch bat son plein. Plusieurs joueurs qui se débattent dans la boue ont mouillé le maillot aux côtés des « quatre mousquetaires » voilà quelques années. Certains - tels que les troisième ligne Théo Thierry ou Thibaut Clauzade, ont même eu le privilège de remporter le titre de champion de France de Nationale B aux côtés de Bourgarit et Alldritt (2017) face à Massy, déjà sous les ordres de "Greg" Menkarska. Le match est animé malgré les conditions dantesques. Il n’en faut pas plus pour se rassurer : si le très haut niveau n’existe plus dans le Gers, le rugby n’y est pas mort pour autant. C’est malheureusement chez les jeunes que le bât blesse, le département essuyant une fuite des talents : « La dissolution du centre de formation du FCAG a marqué un sacré coup d’arrêt pour le développement des jeunes joueurs » annoncent de concert Bédérède et Sarraute. « Mais pour autant, il y aura toujours du rugby dans le Gers. Le problème, c’est que nos enfants les plus prometteurs quittent le département sitôt leur école de rugby terminée. On est dans l’impossibilité de leur offrir le bon challenge sportif, vu que nous n’avons plus d’équipe évoluant en élite chez les jeunes. Ils vont à Colomiers, Toulouse, Agen, Mont-de-Marsan, Castres… C’est comme ça », reprend, un peu dubitatif, Jean-Marc Bédérède. Une solution, alors ? Le manager des moins de 20 ans français fait un vœu pieux : « Je serais favorable, si cela était possible, à la création d’une équipe départementale chez les jeunes. Cela ferait sens, le Gers pourrait redevenir compétitif…» Après tout, pourquoi pas ? L’idée est lancée mais sera étudiée plus tard. À cette heure, au vrai, la seule préoccupation des Gersois est de célébrer les joueurs du RC Auch, vainqueurs de ce derby boueux à souhait, sur le score de 17 à 9…

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