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Le décryptage de Yann Delaigue

Par Arnaud Beurdeley
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Publié le Mis à jour
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Une heure après la victoire historique des Bleus en Australie, Yann Delaigue avait encore des étoiles dans les yeux, un enthousiasme débordant dans la voix. Il n’empêche, il a gardé toute sa lucidité pour décrypter une rencontre qui restera dans les mémoires.

À tout dire, nous avions décidé de nous tourner vers Yann Delaigue pour analyser, décortiquer et commenter la performance de Louis Carbonel. Son expérience du poste (20 sélections avec le XV de France), sa fibre toulonnaise et sa capacité à vulgariser en faisait à nos yeux l’homme idoine. L’idée, c’était de se pencher sur la prestation d’un joueur qui, après le premier test, a suscité quelques critiques. Au point que Fabien Galthié s’est senti obligé de prendre sa défense, à l’instant de lui renouveler sa confiance pour le deuxième rendez-vous contre les Wallabies. « Même si on a l’impression que Louis a été en difficulté, il a réalisé un match exceptionnel d’un point de vue défensif » a asséné le sélectionneur. Même volonté de protéger le joueur chez Laurent Labit, l’entraîneur de l’attaque qui confiait : « Pendant des années, tout le monde disait que les sélectionneurs ne faisaient pas confiance à leurs ouvreurs et qu’ils changeaient à chaque match moyen. Là, nous avons la chance d’avoir trois numéros 10 de talent, en qui nous avons confiance et à qui nous voulons donner le temps nécessaire pour s’installer, mais ça ne va non plus. » L’opportunité offerte au champion du monde des moins de 20 ans en l’absence de Romain Ntamack et Matthieu Jalibert avait peut-être fait naître l’espoir de le voir enfin éclore et s’imposer plus fortement au plus haut niveau.

Las, les circonstances de match n’ont pas franchement permis de le jauger. Dans ce deuxième test, synonyme de victoire historique, Louis Carbonel n’a touché que neuf ballons sur l’ensemble du match. Soit un tout petit peu plus d’un ballon toutes les dix minutes. Un chiffre famélique. « Je crois que je n’ai jamais eu un match comme ça à jouer, a souri d’emblée Yann Delaigue. Certes, à l’époque le jeu au pied passait bien plus souvent par le dix que par le neuf, mais quand même… » L’ancien demi d’ouverture, avec son franc-parler habituel et sa pertinence, n’a pas manqué tout de même de porter son regard sur le comportement de son successeur au RCT. Mais il a aussi élargi son analyse tant l’état d’esprit de cette jeune équipe de France l’a séduit. En vrac, il a aimé la façon dont le capitaine Anthony Jelonch a mené ses troupes au combat, la performance défensive d’une équipe qui ne lâche rien ou encore le travail effectué par la paire de centre Danty-Vincent dans le jeu au sol. En revanche, il a jugé le jeu au pied un peu à la peine et s’interroge encore sur les montées défensives de Damian Penaud. Ce qui ne l’empêche pas d’être optimiste, dans la perspective de la finale de cette tournée.

Le jeu au pied : « Coup de chapeau à Jaminet »

« Un grand coup de chapeau à Melvyn Jaminet. Il n’a jamais tremblé face aux perches. Il a d’ailleurs fait un super match. Il a réussi à venir s’intercaler en attaque et n’a jamais été pris en défense. En revanche, le jeu au pied de Baptiste Couilloud n’a pas toujours été très bon. Il a parfois été un peu court, souvent pas assez haut, ce qui a permis aux Australiens de franchir le premier rideau défensif français sur les relances, mais sans jamais marquer. Heureusement. Est-ce qu’il n’aurait pas dû s’appuyer un peu plus sur Carbonel pour se décharger de cette responsabilité ?

Le problème, c’est qu’aujourd’hui, toutes les équipes pratiquent de cette façon. Sortir du système en plein milieu du match, c’est aussi prendre le risque de perturber toute l’organisation et de se mettre en danger. Couilloud n’a pas fait un mauvais match. D’abord, parce qu’il a été très généreux tout au long de la rencontre. Ensuite, parce qu’il a su globalement rester dans le plan de jeu. Mais je regrette qu’il n’ait pas réussi à mieux gérer le coup sur l’action où Jaminet, à la récupération d’un jeu au pied haut, transperce la défense australienne et retrouve Woki au soutien. Le problème, à mon avis sur cette action, c’est que Woki ne donne pas plus vite son ballon à Couilloud qui arrive très vite à son extérieur. Toutefois, je pense quand même que le demi de mêlée français avait le temps d’écarter avant de se faire prendre. C’est dommage car il y a deux encore joueurs français à l’extérieur. Sur ce coup-là, on aurait dû marquer un essai. »

La défense : « L’essai australien est venu du côté de Penaud... »

« Quand je vois que la paire de centre Danty- Vincent a réalisé quarante plaquages, c’est impressionnant. Les mecs se sont envoyés comme des chiens. Du 1 au 15, il n’y en a pas un qui a triché. De l’extérieur, j’ai l’impression que le staff avait établi un plan de jeu assez simple. Un plan de jeu qui a été scrupuleusement respecté par cette jeune équipe de France. Malgré la pression ou l’enjeu, ces joueurs ne sont jamais sortis du schéma qui leur avait été donné. C’est impressionnant. En revanche, je m’interroge sur la différence de fonctionnement des deux ailiers.

Du côté de Gabin Villière, ça ne montait pas trop de façon inversée. Il ne coupait pas la ligne, il était plus en attente pour glisser, sans subir. Alors que Damian Penaud cherchait constamment à couper la ligne adverse en montant vite et fort, ce qui a mis parfois l’équipe de France en danger. A contrario, avec ses montées, le petit Penaud a réussi aussi parfois à embrouiller les Australiens, obligeant le centre à faire ce petit crochet intérieur le faisant revenir dans l’étau défensif français. À mon sens, ce n’est pas un choix stratégique de la part du staff, c’est plus une question de lecture du jeu qui est différente selon les deux joueurs. Et il me semble qu’on a plus souvent été mis en danger du côté de Damian Penaud que du côté de Villière. D’ailleurs, l’essai australien est venu sur le côté de Penaud… »

La prestation de Louis Carbonel : « Il s’est effacé au profit d’une stratégie gagnante »

« En termes de jeu, on n’a pas eu grand-chose à se mettre sous la dent. Si l’on s’en tient au match de Louis Carbonel, tout est dit en deux lignes. Ce n’était pas un match pour un ouvreur. L’Australie a eu la possession du ballon durant quasiment toute la première période. Et quand l’équipe de France a eu cette possession un peu plus en seconde mi-temps, elle a choisi de jouer dans l’axe, au cœur de la défense australienne, avec du jeu à zéro ou une passe. C’était la bonne stratégie puisque les Bleus ont souvent avancé et contraint les Wallabies à se mettre à la faute, ce qui est surprenant pour une équipe de l’hémisphère Sud.

La conséquence ? Louis Carbonel n’a pas eu l’opportunité de prendre le jeu à son compte. J’imagine qu’il avait sûrement envie de montrer autre chose, mais il faut aussi savoir gagner des matchs de cette façon. Il a sûrement au fond de lui un peu de frustration, mais quand ton équipe gagne en Australie, là où elle n’avait plus gagné un match depuis 31 ans, ça s’estompe rapidement. Surtout, le petit Carbonel est un gamin intelligent, je suis convaincu qu’il a très vite compris qu’en suivant ce plan de jeu très simple, la victoire serait au rendez-vous. Ce n’est pas parce qu’un ouvreur ne prend pas le jeu à son compte qu’il ne fait pas un bon match.

Au contraire. Il aurait très bien pu aboyer, réclamer les ballons pour se faire plaisir ou essayer de créer des choses avec sa ligne, mais il a compris que ça aurait été à contresens de ce qui s’imposait dans ce match. J’ai le sentiment qu’il a été fidèle à la stratégie, qu’il a su s’effacer au profit du collectif et du plan de jeu proposé par le staff. Et c’est tout à son honneur. Après quand tu es demi d’ouverture, que les tirs au but ont été confiés à un autre joueur, que le jeu au pied, comme souvent dans le rugby moderne, est pris en charge par le demi de mêlée, et que le jeu passe le plus souvent par les avants quand tu as le ballon, c’est forcément un peu frustrant. » 

Projection sur le troisième match : « Le vivier australien n’est pas aussi grand que le nôtre »

« Le contexte avec quatre jours de récupération entre les deux matchs n’est pas simple. Mais cette équipe est dans une spirale positive. Le staff va donner l’opportunité à des joueurs qui n’ont pas encore joué un seul match et qui vont avoir la « dalle ». En face, il y a aura sûrement une équipe d’Australie bis ou au moins très remaniée. Or, je ne crois pas que le vivier australien soit aussi grand que le nôtre. Je ne serai pas surpris qu’on remporte la série de test. Les mecs qui seront alignés n’auront strictement rien à perdre. Ils vont s’envoyer comme des fous. Il y a aura sûrement des erreurs par rapport au manque de repère collectif, peut-être qu’ils feront des mauvais choix, mais sur l’engagement, sur l’envie et la détermination, sur l’aspect défensif, j’y crois vraiment.

Cette tournée, elle est déjà gagnée. Je ne sais pas si les gens se rendent bien compte mais le XV de France n’avait pas gagné dans l’hémisphère Sud depuis 2009 (victoire en Nouvelle-Zélande sous l’ère Marc Lièvremont). Quel pied de voir cette jeune équipe gagner en Australie. L’état d’esprit de ces minots a été remarquable. Ils venaient de perdre le premier test par manque d’expérience et de maturité. Cette équipe n’aurait pu faire illusion qu’une seule fois. Mais non. Là, ce n’est pas le hasard. »

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