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Matt Giteau : « Bernard Laporte, il est fou mais je l’aime »

Par Marc DUZAN
  • « Laporte, il est fou, mais je l’aime »
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Publié le Mis à jour
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D’ici quelques semaines, Matt Giteau (103 sélections) aura 39 ans. Aujourd’hui meneur de jeu de l’équipe de Los Angeles, en Californie, le Wallaby revient sur une carrière jonchée d’anecdotes, de voyages, de souvenirs. À vous de jouer, Matt…

En début d’année, vous avez rejoint la ligue professionnelle américaine. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi ?

Je venais de passer trois ans dans la ville la plus peuplée du monde (Tokyo, 31 millions d’habitants, N.D.L.R.). J’ai eu envie de changer de style de vie, de poses mes valises près de l’océan et découvrir un pays où le rugby n’est pas un sport dominant.

Avez-vous tout de suite accepté ?

Non. Le jour où Adam Ashley-Cooper (ancien joueur des Wallabies et de l’UBB) m’a appelé, je pensais même prendre ma retraite quelques semaines plus tard. Mais la Californie, ça ne se refuse pas.

Êtes-vous heureux ?

Je m’y sens comme à Carqueiranne (Var) : quand la journée de rugby est terminée, je profite de l’océan. Avec Adam Ashley-Cooper, on s’est acheté un vélo électrique et on se promène, le long des plages. C’est la belle vie, comme on dit…

Quel est le niveau de la Major League américaine ?

Je ne sais pas. Mais je l’appréhende comme si c’était un test-match ou une finale de Top 14.

Le rugby est-il important aux États-Unis ?

À Los Angeles, vous avez les Lakers, les Clippers (basket), les Kings (hockey sur glace), les Dodgers (base-ball)… Ces équipes rythment le cœur de la ville depuis des décennies. Le rugby est encore très loin derrière ces géants. Mais le défi est excitant. On tourne quand même à 4 000 spectateurs de moyenne.

Où jouez-vous ?

Dans un stade mythique : le Memorial Coliseum. Il peut accueillir 80 000 spectateurs et fut utilisé pour les jeux Olympiques de 1984.

Les gens vous reconnaissent-ils dans la rue ?

Heu… Mis à part mes coéquipiers, non !

Pourquoi dîtes-vous que Los Angeles vous fait penser à Carqueiranne, le village où vous viviez à l’époque où vous jouiez à Toulon ?

Je n’ai que quelques mètres à faire pour sauter dans la mer. Ça me rappelle le temps où je plongeais dans la Méditerranée pour oublier que Bernard (Laporte) avait gueulé toute la journée.

Vous aurez 39 ans dans quelques semaines. Quand arrêterez-vous le rugby, au juste ?

Bonne question… Ma femme me la pose souvent, d’ailleurs… Tant que mon corps répond bien, que ma famille est heureuse à Los Angeles et que le club (les Giltinis) veut de moi, je continue.

Sur les photos, vous semblez affûté…

Je suis très sérieux dans ma préparation. Je fais des étirements, du yoga, du stretching. Mon épouse cuisine aussi des choses très saines.

Avant les États-Unis, vous avez passé trois saisons chez les Suntory Sungoliath, au Japon. Que vous reste-t-il de cette aventure ?

Ce fut une claque incroyable. Les Japonais tiennent à ce que tu n’oublies jamais leur pays et quand tu poses un pied là-bas, ils se mettent en quatre pour te rendre heureux. J’ai construit, à Tokyo, des amitiés pour la vie. J’ai aussi découvert le goût d’un vrai sushi, l’odeur incomparable des ramen (bouillons de bœuf ou de poisson), la folie de Shibuya (le quartier d’affaires de la capitale) aux heures de pointe…

Des choses vous ont-elles surpris, au Japon ?

Oui. Quand j’ai quitté Toulon (juin 2017), je n’étais pas assez en forme pour répondre aux exigences du rugby japonais.

Comment ça ?

Les phases finales du Top 14 ressemblent aux tests-matchs : tu occupes au pied, tu prends les points quand ils se présentent, tu contrôles ta défense… Au Japon, tu cours partout, tout le temps. J’ai donc découvert un autre rugby. Il m’a fallu plus d’un mois pour m’y faire et j’ai perdu cinq kilos pour me fondre dans le moule.

Brad Thorn, l’ancien deuxième ligne des All Blacks, disait pourtant que le championnat japonais était pourtant fait pour les enfants…

Le championnat japonais s’est métamorphosé ces quatre dernières années. Les stars de l’hémisphère Sud, tels Beauden Barrett, Brodie Retallick, Adam Ashley-Coper, Bernard Foley ou Dan Carter, ont aidé à changer le visage de la ligue. J’ai d’ailleurs ressenti une énorme différence entre l’année de mon arrivée (2017) et le moment où je suis reparti (2021) : tout allait beaucoup plus vite, les impacts étaient similaires à ceux de n’importe quel autre championnat…

Vous êtes connu, dans le monde du rugby, comme un joyeux luron. Quel est le truc le plus drôle que vous ayez fait avec votre meilleur ami Drew Mitchell ?

Il y en a beaucoup, hein… Un soir où Jonny Wilkinson nous proposa d’aller dîner dehors, on décida de réserver une table dans le restaurant le plus peuplé de Toulon, juste pour mettre Jonny mal à l’aise. Vous le connaissez, il détestait être le centre des attentions… On s’est marré, ce soir-là… Tout le monde le prenait en photo… Il était si gêné…

On imagine…

Comment voulez-vous devenir potes avec vos coéquipiers si vous ne faîtes pas quelques conneries après l’entraînement ? Un mec comme Drew Mitchell est une bouffée d’oxygène dans une équipe de rugby. Il a toujours une connerie à faire, une histoire à raconter et la fois où il s’est jeté nu dans la Méditerranée, en plein hiver, j’ai mis plusieurs minutes à pouvoir m’arrêter de rire. Ce mec est dingue…

Jonny Wilkinson est semble-t-il très important à vos yeux. Pourquoi ?

En théorie, je devrais détester Jonny. Je vous rappelle qu’il a sorti l’Australie du Mondial à deux reprises (2003 et 2007). Mais je n’y arrive pas. "Wilko" est un ami. Et un immense champion. […] Avant le Mondial 2015, j’ai beaucoup échangé avec Jonny (Wilkinson) sur ce que représente une Coupe du monde, la façon dont je devais aborder l’événement, la pression qui l’entoure, les conséquences du succès, celles de l’échec… […] Jonny, il aimait traîner avec Drew Mitchell et moi. Je crois qu’on lui changeait les idées. Il bossait tellement, vous savez…

Il paraît, oui.

J’étais sur le terrain le jour où il a tapé le drop qui a fait de lui une légende, en 2003. Les gens disent qu’il a eu de la chance. Mais la chance, cela aurait été que Jonny le manque : avant ce drop, il en avait tapé des milliers dans cette position. Le hasard n’existe pas, chez lui.

Qui vous a convaincu de signer à Toulon, en 2011 ?

Matt Henjak (ancien demi de mêlée du RCT et des Wallabies). En dix ans de rugby pro, je m’étais installé en Australie dans une forme de routine. J’avais besoin de quelque chose de nouveau. […] Michaël Cheika, qui s’occupait alors du Stade français, m’avait également contacté. Mais le fait d’avoir Matt (Henjak) et sa famille à Toulon m’a fait basculer vers le Sud…

On vous suit.

J’ai signé mon contrat avec Philippe Saint-André, qui a été appelé au chevet de l’équipe de France peu après. Dans la foulée, Bernard (Laporte) est arrivé. Autant l’anglais de Saint-André était parfait, autant celui de Bernard était étrange… Son anglais était aussi bon que mon français, en fait…

Connaissiez-vous Bernard Laporte avant de signer à Toulon ?

Non. Mais je ne l’oublierai jamais…

Pourquoi ?

Un jour où Jonny (Wilkinson) était blessé, Bernard décide de me titulariser à l’ouverture contre Agen et au cours de la rencontre, je manque une transformation du bord de touche. À la séance vidéo qui suivait, Bernard m’a pris pour cible et a passé l’action une bonne dizaine de fois au ralenti, devant tout le monde. Il disait (il parle en français) : "Reviens. Encore. Reviens. Là. Stop." Alors, Bernard hurlait à mes oreilles et je ne comprenais rien à ce qu’il disait.

N’y avait-il aucun intermédiaire entre vous ?

Si. À côté de Bernard, le traducteur (Tom Whitford) donnait toujours une version soft du discours du coach. Heureusement que je n’ai jamais eu la version originale…

Pourquoi Laporte était-il en colère ?

Il disait : "Tu dois réussir ces coups de pied, Matt ! Jonny l’aurait réussi, celui-là ! Entraîne-toi comme lui !" À la fin de la séance vidéo, j’ai dit à mes potes que je ne tiendrais pas dix-huit mois comme ça.

À ce point ?

Oui. Et les mecs autour de moi m’ont répondu, tranquilles : "Attends un peu ! Dans quelques mois, tu prendras des cafés avec lui !" Je pensais : "Des cafés avec Bernard ? Mais ils sont dingues ou quoi ?"

Et alors ?

On est devenu très proches, au fil du temps. On s’est encore appelé la semaine dernière, si vous voulez tout savoir… Bernard, il est fou mais je l’aime.

Étiez-vous présent dans les vestiaires le jour où il a menacé le Springbok Danie Rossouw de le renvoyer illico en Afrique du Sud ?

Oui. A la mi-temps, Bernard hurlait en français et Danie n’avait aucune idée de ce qu’il disait. À côté, la traduction disait : "Fais attention Danie. Reprends-toi. Montre ton vrai visage." Ce qu’on a ri, après ça… […] Toulon a marqué ma vie et récemment, on a même lancé avec Drew Mitchell en Australie un rosé appelé "Pilou Pilou".

Vous n’aviez que 28 ans lorsque vous avez quitté l’Australie…

Oui, mais je me sentais déjà vieux. Une génération dingue arrivait chez les Wallabies, Robbie Deans (alors sélectionneur) ne me choisissait jamais et je broyais du noir. Pour tout vous dire, j’avais signé dix-huit mois à Toulon et je pensais arrêter, après ça. Parce que c’était ce que faisaient tous les joueurs, à l’époque… À 30 ans, on rangeait les crampons…

Avez-vous recroisé Robbie Deans, depuis votre brouille en 2011 ?

Oui. Nous avons longuement échangé au Japon et la page est tournée, désormais. Je n’ai pas bien réagi le jour où il ne m’a pas sélectionné pour le Mondial 2011. J’aurais dû avoir plus de recul sur sa décision. J’aurais dû réfléchir davantage, ne pas m’énerver contre lui. J’ai des regrets par rapport à mon comportement de l’époque, oui.

Suivez-vous toujours le Super Rugby ?

Je regarde les résultats des Brumbies (la province de Canberra) mais je ne regarde pas les matchs, non. […] J’ai connu à Toulon une ville, une région, qui ne vit qu’au travers du RCT. En Australie et plus précisément à Canberra, si les Brumbies ne marchent pas, les gens vont supporters les Raiders, le club de 13.

Avez-vous gardé des proches dans le Var ?

J’échange souvent avec mon ami Patrice, un pêcheur de là-bas. Le matin, il allait en mer et quand il rentrait, il nous apportait du poisson frais. La boulangère de Carqueiranne adorait mes enfants et leur offrait toujours un chocolat chaud, un croissant, des trucs comme ça… J’étais comme en famille, dans le Var. À la maison, il nous arrive encore de regarder les photos de cette époque inoubliable.

Quelle relation aviez-vous avec Mourad Boudjellal ?

Il était à la fois drôle et fou. Ses sorties dans la presse mettaient beaucoup de pression sur l’équipe et il aimait en jouer. (il soupire) Mais quelle équipe on avait, hein… Pour le RCT, le défi était d’accéder à la finale, pas de la gagner : arrivés au dernier match, nous savions que nous allions vaincre.

Serez-vous coach, un jour ?

Je ne sais pas. Le grand Toulon n’avait pas besoin de coach. Tu leur donnais un ballon et tu leur disais : "Faîtes ce que vous savez tous faire." Entraîner ? Bof. J’aime tellement le rugby que je ne voudrais pas m’en dégoûter en faisant de lui un travail trop sérieux.

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