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1961 : Panier de crabes pour une tournée aux antipodes

Par Jérôme PRÉVÔT
  • 1961 : Panier de crabes pour une tournée aux antipodes
    1961 : Panier de crabes pour une tournée aux antipodes Midi Olympique
Publié le Mis à jour
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La première tournée des Bleus en nouvelle-zélande ne fut pas une partie de plaisir. En tout cas, pas sur le terrain. Entre moncla, capitaine, Basquet et Laurent, dirigeants, et andré boniface, attaquant insoumis, rien n’était simple.

Méfions-nous toujours de l’illusion rétrospective. Cette tournée 1961, première de l’histoire des Bleus en Nouvelle-Zélande, on se l’est figurée comme un enchantement. Roger Couderc avait ramené les premières images de l’archipel jamais diffusées à la télé française, avec ces collégiens hilares souriant à la caméra. La réalité fut toute autre. Le périple n’eut pas le côté homérique de la tournée de 1958 en Afrique du Sud. Ce fut au contraire un long séjour chaotique, miné par des mésententes, des rivalités et des ressentiments. Un bilan plombé aussi par les résultats : trois défaites en trois tests dont un 32-3 pour finir à Christchurch, score énorme pour l’époque. On en garde aussi le deuxième test d’apocalypse à Wellington, une pelouse striée par une pluie glacée et balayée par des tourbillons de vent dantesques, chronométrés à 120 kilomètres à l’heure, faisant danser les poteaux et projetant toutes sortes d’objets dans les airs, des journaux, des parapluies, des imperméables, des chapeaux… 5-3 pour les All Balcks avec une fameuse transformation réussie par l’arrière Don Clarke, auteur d’un pari de génie : taper en direction du drapeau de corner opposé en espérant que le souffle d‘éole rabattrait le cuir entre les poteaux d’une trajectoire à angle droit. Réussi.

Du point de vue tricolore, la tournée fut un long calvaire, malgré sept matchs de province gagnés sur dix. Mais du début à la fin, leur parcours fut minoré car comparé à celui de 1958 en Afrique du Sud si romanesque. Le duo Lucien Mias-Serge Saulnier (seul accompagnateur) n’était plus là. Pourtant, Mias avait adoubé un nouveau capitaine, François Moncla, troisième ligne du Racing et de Pau, meneur naturel, dur au mal. Il avait conduit les Bleus à deux victoires dans le Tournoi et à un 0-0 magnifique face aux Springboks. Mais cette tournée 1961 serait son terminus. Deux mois de galère dont il se souvient parfaitement : "Une galère ? Oui, parce que je devais tout faire. Joueur, capitaine, entraîneur, préparateur physique et même médecin. Seul Michel Crauste m’a un peu aidé mais il avait d’autres chats à fouetter. Les managers ne m’aidaient pas du tout." Les dirigeants missionnés pas la FFR… Guy Basquet (40 ans) et Marcel Laurent (52 ans). Quand on prononce leur nom, François Moncla ne peut retenir de sévères commentaires. Soixante ans après, des mots très durs donnent une idée de l’ambiance qui régnait dans le groupe. Visiblement, il ne vivait pas bien.

En 1958, le Parisien BCBG Serge Saulnier avait joué son rôle de mentor à la perfection. En 1961, tous les témoignages décrivent un Basquet et un Laurent, contents d’être là, comme deux potes en goguette au bout du monde. "Oui, c’était un peu folklo. Ils jouaient les cow-boys", se souvient Pierre Albaladéjo. Dans son ouvrage "Le temps des Boni", le regretté Denis Lalanne décrit ces deux hommes en roitelets, à qui tout était dû. Allant jusqu’à parler comme à un valet au professeur Boyd-Wilson, interprète de la délégation, traducteur aussi du "Grand Combat du XV de France" L’enseignant, salué partout avec respect, se retrouvait apostrophé pour un oui ou pour un non, agressé au petit-déjeuner quand manquait le jus d’orange. André Boniface explique : "Tout est parti de là. Nous étions très mal encadrés par deux gars qui ne savaient rien faire, n’avaient rien préparé, n’étaient au courant de rien. Pour une tournée aussi longue, c’était terrible."

Et puis, entre les deux "pardessus" et François Moncla, c’était la guerre froide. Visiblement ils ne l’aimaient pas. En 2011, Pierre Albaladéjo avait confié à l’Express : "Au bout de quelques semaines, l’ambiance était devenue irrespirable."

En plus, les joueurs dans leur globalité n’étaient pas prêts à endurer les rigueurs de l’hiver austral et surtout la rudesse des affrontements de l’archipel. La FFR avait affrété un avion qui mit le cap à l’Ouest avec des escales à Tahiti et Hawaï. Les joueurs, un peu surpris, découvraient une atmosphère de plaisir, rencontres d’un soir, vahinés, eaux turquoise, plages de carte postale. "Quand il a fallu remonter dans l’avion, c’est la seule fois de ma vie où j’ai vu des joueurs pleurer à l’idée de partir jouer au rugby ! Je m’en fous, je veux rester là, avec toutes ces filles, m’avait glissé l’un d’eux."

Un encadrement pas à la hauteur

Quand le DC8 atterrit à Auckland, ce n’est pas un commando "aux taquets" qui mit le pied sur le tarmac. Plutôt une colonie de vacances. Il y avait pourtant 5 000 personnes pressées de voir ces Français qui avaient tenu tête aux Sprinboks ? "En guise de phénomènes, ils ont vu une trentaine d’épaves, à peine capables de débarquer sans se tenir à la rampe", s’esclaffa Bala (L’Express). On a longtemps pensé que ces délices de Capoue rencontrés trop tôt avaient joué un rôle dans la sinistrose qui suivrait. Peut-être que ce pays humide et très arrosé semblait trop austère aux joueurs en goguette ? Erreur ! "Je peux le dire maintenant puisque tout le monde est décédé ou presque : il y avait beaucoup de filles qui tournaient autour de mes joueurs. Certains ne se privaient pas. D’ailleurs,avant de partir, j’avais demandé au Docteur Martin des pilules pour guérir... la gigitte." Ah bon ? La gigitte ? Le Mal de Naples, la Bléno ? On arrête là les synonymes.

En ce temps-là, la pathologie était plus crainte que la rupture des ligaments croisés. Pierre Albladéjo ne s’aventure pas en terrain aussi marécageux, mais reconnaît qu’en cet été 1961, les Français "n’étaient pas très disciplinés." Sylvain Meyer, de Périgueux, était le seul à parler anglais. On le sollicitait en permanence pour jouer les traducteurs, pour toutes sortes de choses..

Les patrons qui n’aimaient pas Moncla, n’aimaient pas non plus André Boniface, sa forte personnalité, sa grande gueule et ses principes de grand jeu. Mais Moncla et Boniface n’étaient pas proches non plus. La défiance de Basquet ne les rapprocha pas. "Je n’appréciais pas du tout André Boniface, c’est vrai. C’est son frère cadet Guy qui le rendait bon. Et en défense, il ne plaquait pas", reconnaît François Moncla. Boniface lui répond : "Autant je considérais Michel Crauste comme mon meilleur ami, autant je n’étais pas proche de Moncla. Il incarnait un rugby besogneux et terre à terre. Il préférait faire jouer Jean Piqué, son coéquipier de Pau. Je crois qu’il ne comprenait pas qu’aligner mon frère et moi, c’était mieux pour l’équipe que moi et Piqué ou Guy et Piqué."

Boniface et Moncla pas sur la même longueur d’ondes

On allait l’oublier : cette tournée permit aussi aux deux Boni de jouer pour la première fois ensemble avec les Bleus, deux tests sur trois. Rien que pour ça, ça valait le coup d’aller au bout du monde. Mais entre Moncla et André, à la vision opposée du rugby, le courant ne passait pas : "Je suis allé jusqu’à quitter un entraînement parce qu’il voulait me faire jouer à l’aile…", poursuit "Boni". François Moncla avait décidément beaucoup de batailles à mener en interne. Et pour couronner le tout, les Français prenaient connaissance avec quelques jours de décalage des assassinats de la presse à leur sujet. Comment ? Courrier ? Télégramme ? Certains titres n’y allaient pas de main morte : "Albaladéjo a gâché la chance des Boniface", "Marcel Laurent n’est pas Serge Saulnier et François Moncla n’est pas Lucien Mias". Comment des journalistes qui ne voyaient pas les matchs pouvaient tirer ainsi à boulets rouges ? Et puis ces sempiternels rappels à 58, à ces avants souverains qui n’étaient plus là : le longiligne Bernard Momméjat pour la touche, le massif Alfred Roques pour la mêlée. Tout le monde était énervé. Le capitaine était vu comme le fils spirituel du légendaire Roger Lerou, manitou du Racing et du XV de France. Il y avait une concurrence entre lui et l’ambitieux Basquet pour tirer les ficelles. Basquet avait son poulain, Pierre Lacroix, Agenais, comme lui. Mes aïeux, quel sac de nœuds !

En fait, il aurait suffi d’une victoire ou d’un match nul chez les maîtres du rugby mondial pour sauver cette tournée. Les deux premiers tests ne furent pas perdus de grand-chose. 13-6 pour le premier en jouant à quatorze (Guy Boniface claqué). Et donc 5-3 pour le second avec un André Boniface dans un rôle qui nous paraît rocambolesque aujourd’hui : juge de touche.A l’époque. Les remplaçants assumaient ce rôle. "On aurait voulu me pousser à bout, on ne s’y serait pas pris autrement. J’en connais qui n’auraient pas supporté la brimade. J’ai accepté sans hésiter car je peux jurer que j’ai été un équipier sans reproche." Et quand Don Clarke passa la transformation du siècle malgré les bourrasques, André eut un doute.

"Elle est passée au-dessus des poteaux, mais je n’ai jamais été sûr qu’elle était à l’intérieur. J’ai regardé l’autre juge de touche. Il a levé son drapeau ? J’ai levé, par dignité, par sportivité. Car pour rien au monde, je n’aurais voulu ressembler à ces minables que pendant vingt ans j’avais vus à l’œuvre, volant deux ou trois mètres pour faire les intéressants. C’est fou de se dire qu’une tournée a pu se jouer à ça." Entre l’esprit chevaleresque de l’esthète landais et le pragmatisme du travailleur de l’ombre, il y avait un monde. "Rendez-vous compte : il a levé son drapeau…, soupire François Moncla, soixante ans après. Le capitaine ne reviendrait plus jamais en équipe de France après ce douloureux périple." C’est comme ça qu’on revient chez soi le cul entre les pattes."

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