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« Garba » sort du silence

Par Arnaud BEURDELEY
  • L’ancien manager de Montpellier, évincé juste après les fêtes de fin d’année, a accepté de s’exprimer sur cette période douloureuse.
    L’ancien manager de Montpellier, évincé juste après les fêtes de fin d’année, a accepté de s’exprimer sur cette période douloureuse. Icon Sport - Icon Sport
Publié le Mis à jour
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A l’aube de ces demi-finales de Top 14, l’ancien manager de Montpellier, évincé juste après les fêtes de fin d’année, a accepté de s’exprimer sur cette période douloureuse et de porter son œil de technicien avisé sur les enjeux de ce dernier carré. C’est de chez lui, dans son petit village de l’Ile de Ré qu’il nous a reçus en visioconférence.
Sa passion semble intacte, son désir d’entraîner aussi et s’il a conservé son franc-parler, il est apparu plus apaisé, portant un regard sans concession sur lui-même. « Garba » est prêt à rebondir et savoure déjà les oppositions à venir ce week-end à Lille.

Pourquoi avoir accepté de prendre la parole aujourd’hui ?

Jusqu’à présent, la situation était compliquée pour moi, aujourd’hui je me sens plus libre de parler. J’ai vécu des moments difficiles mais qui m’ont sûrement été bénéfiques. J’ai fait tout un travail d’introspection pour comprendre ce qu’il m’arrivait. J’avais envie de savoir ce qui n’avait pas marché, ce que j’aurais pu améliorer, ce que je n’aurais pas dû faire et d’entendre les critiques. Parce que si demain, j’ai la chance que quelqu’un me refasse confiance, je ne veux plus revivre ça. Mais, durant ce temps, pour tout vous dire, regarder des matchs de rugby, ce n’était même pas possible.

A ce point ?

C’est la première fois que je suis remercié d’un poste d’entraînement. Émotionnellement, c’est dur. Violent. Je suis passé par plusieurs phases : un peu de frustration, de la colère, de l’incompréhension. Je suis resté seul, c’est le plus dur. J’ai beaucoup culpabilisé, jusqu’à l’autoflagellation. Je m’en suis voulu d’avoir manqué de clairvoyance, de ne pas avoir su changer mes orientations par rapport à mes convictions. Je me suis donc posé la question de ma légitimité, de mes compétences.

Et puis ?

J’ai compris que ce n’est pas parce qu’on s’investit corps et âme, qu’on a une force de travail très importante que la réussite est au rendez-vous. Ce projet montpelliérain, c’était mon premier à un poste de manager. Je savais que j’aurais à affronter des difficultés dans ce projet, c’est ce qui fait le sel de ces aventures-là. Mais j’ai peut-être manqué de patience et d’écoute. Je me suis renfermé sur moi-même. Je suis tombé dans une spirale qui m’a tiré vers le bas.

J’essayais de me rassurer en partant au stade plus tôt le matin, en rentrant plus tard le soir. Mais j’ai perdu en lucidité. Je connais mes défauts et mes limites, j’ai dû faire parfois ma gueule de con. Avec mon côté excessif, parce que je pense l’être et ce n’est jamais très bon, dans mes convictions sur le jeu qui m’ont été inculquées dans un club qui est différent des autres, j’ai compris que tout n’était pas transposable. Je dois trouver le juste milieu pour ne pas me renier et adapter mon projet à mon environnement. Je crois être sur le bon chemin.

Guy Novès nous confiait dernièrement que ce poste de manager était peut-être arrivé un peu tôt pour vous. Vous partagez ?

Il faut savoir reconnaître ses erreurs. Guy m’avait déconseillé d’accepter ce projet. Il avait raison. Je n’étais pas prêt pour un tel poste à ce moment-là.

Ugo Mola, avant de connaître la réussite qui est la sienne au Stade toulousain, s’est construit parfois dans la difficulté à Albi, à Castres ou encore à Brive. N’avez-vous pas besoin aussi d’un tel parcours ?

Vous parlez d’Ugo (Mola) mais d’autres managers sont passés par là. J’en ai discuté avec Christophe Urios. Ses premières années à Bourgoin n’ont pas été simples. Ces mauvaises expériences font mal mais sont enrichissantes. Elles remettent tout en question : l’homme que tu es, tes croyances, tes convictions.

Mais effectivement, quand je vois la carrière d’Ugo, il a su se construire de cette façon. Et aujourd’hui, il dirige un club qui est sa maison. Son message est facilité. Ses joueurs sont convaincus de ce qu’il dit, de ce qu’il leur demande. Moi, je n’ai pas été assez convaincant à Montpellier, j’ai peut-être voulu aller trop vite.

A la Rochelle, la méthode avait pourtant fonctionné…

C’est vrai mais nous avions eu plus de temps. Le club arrivait de Pro D2, avec des jeunes joueurs qui n’avaient pas connu le haut niveau. L’écoute et la confiance étaient là. à Montpellier, les mecs avaient déjà de la bouteille, avaient goûté à plusieurs projets. J’ai sans doute été trop utopiste et je n’ai pas su m’adapter. Mais j’étais persuadé de réussir.

Xavier Garbajosa a entraîné le Stade rochelais pendant cinq saisons.
Xavier Garbajosa a entraîné le Stade rochelais pendant cinq saisons. Icon Sport - Icon Sport


Pour réussir, ne pensez-vous pas qu’il sera nécessaire de couper le cordon avec votre fidélité et votre attachement à la philosophie toulousaine ?

C’est comme avec les parents, il faut savoir couper le cordon pour s’émanciper (rires). Ugo (Moga) s’est fait le cuir ailleurs et aujourd’hui il est en pleine réussite. Certes il a sous la main une superbe génération mais sa philosophie colle parfaitement à l’identité du club. Et c’est plus facile. Jamais ses joueurs ne se posent la question de savoir s’il a raison ou pas.

Certains vous surnomment « Mini-Novès ». Pensez-vous parfois avoir été cassant dans votre management ?

C’est possible ! Peut-être ai-je été un peu trop dans la défiance vis-à-vis des joueurs ? Si vous en branchez certains, ça les excite. D’autres, ça peut les tuer. Mais j’ai été éduqué ainsi. Au Stade toulousain, tout est une compétition, tous les entraînements sont à 100  %. Une sortie vélo durant un stage, faut se battre et balancer l’autre dans le ravin pour finir premier. Un match de ping-pong perdu, c’est une raquette cassée. Une belote perdue, ce sont les cartes qui volent. Mais aujourd’hui, il y a sûrement des étapes à mettre en place avant d’en arriver là, ce que je n’ai pas fait. Cette leçon, je l’ai retenue. Et j’avance.

Parlons de ces demi-finales. Votre ancien club le Stade rochelais a-t-il beaucoup évolué depuis votre départ ?

Sur le plan offensif, je vois encore les mêmes préceptes autour du déplacement du ballon et du jeu debout. Il y a un peu plus d’occupation sur les sorties de camp, avec des schémas un peu plus propres. Surtout, il y a eu un recrutement qui a apporté une plus-value considérable, aussi bien en termes d’expérience que de puissance. Skelton, ce n’est pas anodin. Et je sens bien, dans la philosophie de Jono (Gibbes) et Ronan (O’Gara), cette volonté d’être dominant dans le combat de devant. Mais dès que le jeu s’accélère, avec des garçons comme West, Kerr-Barlow, Doumayrou, cette équipe a de belles capacités.

Y a-t-il encore un peu de Garbajosa dans le jeu rochelais ?

C’est avant tout l’identité rochelaise, pas la mienne. Quand nous sommes arrivés avec Patrice, j’ai le souvenir d’avoir fait un état des lieux et avoir constaté que, dès l’école de rugby, il y avait cette volonté. Nous n’avons fait que prolonger et développer ce qui existait déjà. Parce que je crois à ce rugby-là. Et c’est celui qui gagne si tout le monde adhère à cette philosophie.

Avec La Rochelle, nous avons eu quelques bons résultats : une finale de Challenge Cup, deux demi-finales de Top 14. Mais le but, c’est de franchir ce cap et de gagner des titres. à la fin, notre réflexion avec Patrice, elle était là. Et c’est ce qui manque à ce club à ce jour.

Vous évoquez la puissance rochelaise. Le Racing 92 est-il en mesure de rivaliser dans ce secteur ?

La Rochelle va garder son fonds de commerce avec son axe fort : Atonio-Skelton-Alldritt. Ce sont des perforateurs qui permettent à des garçons comme West de mettre de la vitesse dans le jeu. Lors du derby de phase régulière, le Racing a souffert sur les phases de conquête mais vendredi dernier ils ont fait plus que rivaliser. Ils ont trouvé des solutions, avec un ballon rapidement dans les pieds du huit, un ballon vite sorti par le demi de mêlée. Ils ont retrouvé un garçon comme Bird en touche, sur des choses simples mais efficaces.

Et sur les ballons portés, pour bien connaître Laurent Travers, je sais qu’il les travaille avec des axes de poussée bien spécifiques. Les Racingmen auront des solutions en demie s’ils font jeu égal avec la puissance des Rochelais.

D’autant plus que le Racing peut compter sur une ligne de trois-quarts de « Galactiques », non ?

Cette ligne, elle fait vraiment peur sur le papier. Mais si devant ils balancent des grenades en reculant, ils ne pourront rien en faire. Je n’invente rien, le rugby débute devant. à chaque fois que j’ai été champion de France avec Toulouse, c’est parce que le pack était dominant. Évidemment, il suffit d’un mauvais jeu au pied ou d’un turnover pour que Teddy Thomas ou Gaël Fickou ne réalisent un exploit. Mais si le Racing veut que sa cavalerie joue sa meilleure symphonie, les gros devront faire le boulot.

« Le principal adversaire du Stade, c’est lui-même »

L’absence de Botia sera-t-elle préjudiciable ?

Quand un garçon comme lui te prend un ballon et concentre l’ouvreur, le premier centre et parfois un troisième ligne, c’est évident que son absence pèse. Et souvent, l’ouvreur, à force de prendre un autobus dans la gueule, perd en lucidité. Après, il aurait été là, il aurait eu Fickou et Vakatawa en face. Ce n’est pas rien. Et puis, La Rochelle a déjà gagné des matchs sans lui. Cette demi-finale sera un gros match, j’en suis convaincu.

La deuxième demi-finale entre Toulouse et l’UBB vous paraît-elle plus déséquilibrée ?

Le danger rôde. Le principal adversaire du Stade, c’est lui-même. Évidemment, il y a Bordeaux en face mais tout dépendra du visage que présentera cette équipe. L’UBB n’a jamais participé aux demi-finales. Pour les Bordelais, le but est atteint. Une satisfaction pour Laurent Marti qui a su prendre le bon manager avec Christophe Urios. Mais aussi le risque d’une décompression si les joueurs se contentent de cette étape, qui est une vraie progression dans l’histoire du club.

Et samedi, ça peut être ouverture des portes, désarmement des toboggans et fin de l’histoire. Ou alors, cette équipe sera animée d’une volonté d’aller plus loin et sera très dangereuse. Mais bon…

Oui ?

Bordeaux a déjà perdu trois fois contre le Stade cette saison, ce n’est pas rien. Les Toulousains sortent d’un stage au cours duquel Ugo a dû redonner un peu d’oxygène, désacraliser l’évènement. Si physiquement, parce que cette équipe a beaucoup joué cette saison, est prête, elle sera au rendez-vous.

Guy Novès déclarait lundi dans nos colonnes : « Tous les managers cherchent la façon de battre le Stade toulousain ». Avez-vous la réponse ?

Je n’ai pas la prétention d’avoir la recette miracle. Les Toulousains ne sont pas imbattables, loin de là. Mais bon…

Quoi ?

La clé, c’est d’être meilleur qu’eux dans tous les secteurs de jeu, dans l’engagement, l’investissement, en mêlée, en touche, devant, derrière… Si tu leur files un jeu au pied un peu miteux, ne serait-ce qu’un, une demi-seconde avant que le défenseur ne se présente au point de contact, c’est fini. Merci, bonsoir. Et en plus, tu les excites. Certains joueurs seront précieux aussi. Marchand, qui a regardé la finale de Champions Cup dans son canapé et le petit Tauzin ont été frustrés ces dernières semaines pour différentes raisons, ils vont amener de l’oxygène.

« Avec Ugo Mola, on parle le même dialecte »

Vous attendez-vous à une opposition de style dans cette demi-finale ?

Christophe (Urios) a sans doute cherché des solutions pour contrecarrer le jeu toulousain. Peut-être a-t-il encore insisté auprès de ses joueurs pour ne pas donner de ballon gratuitement, notamment sur le jeu au pied. Et je suis sûr qu’il a pris ses gros en leur disant : « Si vous voulez battre Toulouse, il faut que vous soyez meilleurs devant ». Quand vous cabossez le Stade devant, ce n’est plus la même équipe. Même s’ils ne sont pas à l’abri d’un exploit de Dupont, Kolbe ou un autre.

Cette demi-finale, c’est tout de même l’opposition de deux managers à la vision du rugby et du management très différente. Vous confirmez ?

Qu’ils ne mettent pas en place le même rugby, c’est certain. Qu’ils soient des hommes différents, je confirme aussi. L’un s’appuie sur une culture, l’autre sur les joueurs et l’environnement qui l’entourent. Ce qui est une forme d’intelligence. Mais ce n’est pas pour cette raison que l’un gagne plus que l’autre ou qu’un des deux est meilleur. Les deux ont leurs qualités : Christophe s’est toujours adapté quel que soit l’endroit où il est passé. Souvent avec une belle réussite. Ugo est revenu dans un club qu’il l’a élevé, éduqué et qu’il connaît sur le bout des doigts. Pour moi, les deux maîtrisent parfaitement leur club.

Avec Ugo, on parle le même dialecte. Pas besoin de se convaincre l’un, l’autre. Christophe, j’ai eu la chance de le côtoyer lors de la tournée des Barbarians en 2018 en Nouvelle-Zélande. J’ai découvert, derrière sa carapace de garçon un peu bourru, bougon, un mec sensible, très à cheval sur la stratégie, qui aime réfléchir, concevoir. Avec lui, il faut que tout soit calé. Se retrouver devant une séance non préparée, ça doit le perturber. Mais vraiment, un mec intéressant.

Est-ce que vous puisez chez les uns ou les autres une source d’inspiration que vous adaptez à votre management ?

Le management, c’est une histoire d’hommes. Le sport, et le rugby encore plus, offre des émotions qu’on ne vit pas ailleurs. Il y a quelque chose de jouissif. Et dans ces histoires, la valeur des hommes est importante. C’est pourquoi je veux devenir une meilleure personne. Parce que tu peux avoir les meilleures idées sur le rugby, le plus beau projet, si tu n’es pas une bonne personne, tu ne peux pas être un bon manager. Moi, je me suis construit dans le défi, la rudesse, le combat, je n’avais pas de talent particulier.

Et, souvent la première impression que peuvent avoir les gens de moi, c’est : « Mais quelle tête de con. » Je le comprends, je ne suis pas le plus affable. J’ai une carapace pour me protéger. Mais quand on gratte un peu, quand je m’ouvre, on me trouve quelques qualités. C’est pourquoi je travaille sur moi pour être plus ouvert aux autres, pour être plus à l’écoute. J’ai commencé à trouver des réponses, c’est pourquoi j’ai accepté d’en parler aujourd’hui. Et si j’ai la chance de retravailler dans un projet, même en étant juste adjoint d’un manager, je sais que je vais me poser des questions sur ma relation avec les joueurs, sur le dialogue, sur ma faculté à déléguer. Je veux repartir à zéro et reconstruire.

Justement, on a parlé de vous pour rejoindre le Stade français. Qu’en est-il ?

J’ai quelques contacts avec différents clubs. J’ai envie de m’inscrire dans un projet qui me parle, un projet en lien avec mes convictions. J’ai été manager, c’était sûrement trop tôt. J’ai fait une erreur, je l’assume pleinement. Mais, je vais vous faire une confidence : depuis trois mois, j’entraîne les U18 de Montpellier. Et franchement, je me régale. J’ai toujours en moi cette petite flamme, cette passion pour ce jeu, cette envie de faire progresser des joueurs, de prendre un mec pour l’emmener en équipe de France, de poser mes c… Sur la table pour lancer des jeunes. Et quel que soit le poste.

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