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Justine Badin : « à Stade 2, on me regardait les fesses »

Par Rugbyrama
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    Justine Badin : « à Stade 2, on me regardait les fesses » DR - DR
Publié le Mis à jour
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Depuis sa diffusion, le documentaire «Je ne suis pas une salope, je suis une journaliste» de Marie Portolano et Guillaume Priou nourrit le débat sur la place des femmes dans les rédactions de sports et sur les dérives qu’elles ont à subir. Le monde du rugby n’y échappe pas…

L’affaire fait grand bruit. Depuis la diffusion sur Canal + du documentaire « Je ne suis pas une salope, je suis une journaliste », réalisé par Marie Portolano et Guillaume Priou, les réactions sont nombreuses. Le sujet déchaîne les foules. Il y est question de la place des femmes journalistes dans les rédactions de sports, du sexisme latent (ou non), du harcèlement. Une véritable plongée dans cette face cachée du métier qu’ont choisi de dénoncer de nombreuses journalistes. Parmi elles : Estelle Denis (La chaîne L’Equipe), Vanessa Le Moigne (beIN Sports), Isabelle Ithurburu (Canal +), Mary Patrux (beIN Sports), Cécile Grès (France Télévisions), Nathalie Iannetta (TF1) ou encore Clémentine Sarlat, qui avait révélé, en avril 2020, avoir subi des faits de harcèlement moral et de sexisme au service des sports de France Télévisions. Marie Portolano ne l’a pas caché, il s’agit d’un «documentaire délibérément féministe, pour participer à libérer la parole, contribuer à faire tomber les dernières barrières qui demeurent dans ce métier et d’apporter des solutions».

Environ 10 % des 3 000 journalistes

Le documentaire fait donc une large place à des témoignages de journalistes œuvrant dans le monde de la télévision où l’image tient une réelle importance. Mais à Midi Olympique, le sujet n’a pas manqué d’alimenter le débat. A-t-on connu de telles dérives au sein de notre rédaction ? Avons-nous, un jour, nous, journalistes masculins, pu mettre mal à l’aise l’une de nos collègues ?
Le rugby est historiquement un sport d’homme, très conservateur. Pour certains, il est « machiste », pour d’autres c’est « un sport de bonhomme ». Les pratiquantes peinent à s’y faire une place, les femmes journalistes aussi. Doit-on y voir un lien ? Dans une tribune au Monde, cosignée par plus de cent cinquante journalistes et étudiantes en journalisme, le collectif « Femmes journalistes de sport », récemment créé, a annoncé sa détermination à mettre un terme à l’infériorisation des femmes dans les rédactions sportives. « Il suffit de passer le nez dans une tribune de presse lors d’une compétition pour se rendre compte du ratio hommes-femmes : si la profession est à quasi-parité, dans le sport, nous sommes autour de 10 % des 3 000 journalistes », est-il écrit. Justine Badin, ex-rédactrice de Midi Olympique, nous a livré ses impressions.

«J’ai été surprise, choquée et très émue des témoignages de mes ex-consœurs, notamment celui de Laurie Delhostal avec qui j’ai travaillé à Orange Sports. Je ne savais pas du tout qu’elle avait été victime de harcèlement, voire de menaces de mort. C’est très violent. Le reportage est fort mais sincère et ne tombe jamais dans le pathos. Cela a provoqué chez moi une deuxième lecture de ma vie, de mon vécu à Midi Olympique. Soyons clairs : je n’ai jamais été victime de harcèlement. Mais j’ai pu subir, à certains moments, une forme d’intimidation ou de manipulation. La séduction féminine, c’est un atout. La femme a un pouvoir incroyable et je pense que c’est pour cette raison qu’il y a autant de harcèlements contre les femmes : les hommes frustrés ou mal dans leur peau ne trouvent que ce moyen pour répondre. Attention, je ne veux pas diaboliser tous les hommes. Et puis, il faut replacer les choses dans leur contexte car mon passage au journal remonte à vingt ans. On faisait beaucoup d’humour mais on faisait aussi passer beaucoup de choses sur ce compte-là. J’étais un bébé, j’avais 22 ans.

Aujourd’hui, je n’accepterais pas certaines choses. Mais dans l’ensemble, j’ai eu beaucoup de chance. Et j’ai été protégée. Par un double verrou : le premier est qu’on ne touche pas à la fille d’un ancien international (Christian Badin, ancien centre du XV de France, de 1973 à 1975, N.D.L.R.) et on ne touche pas à la compagne d’un rugbyman, en l’occurrence Cédric Heymans. La plupart de mes collègues connaissaient mon père, cela me légitimait et me protégeait. Pour les anciens, j’étais la fille de Christian. Pour les plus jeunes, j’étais la copine de Cédric. à l’époque où je suis entrée à la rédaction, Cédric était encore loin d’être à l’apogée de sa carrière, c’était un espoir du rugby français. Mais d’une façon, cela me protégeait vis-à-vis des autres joueurs : un jour, je me suis accrochée avec Christian Califano qui m’a reproché de parler de mêlée alors que je n’en avais jamais poussé une. Le ton est monté et d’un coup il s’est calmé en disant : «Tu es la femme de mon copain.» Mais c’est à double tranchant : un jour, en conférence de presse à Marcoussis, on m’a dit, devant quinze micros : « Bon, Justine, tu veux qu’il soit titulaire Cédric ou pas ? Il va falloir coucher à un moment donné… » Et là, tout le monde ricane… et moi aussi. Parce que c’était il y a quinze ans. Aujourd’hui, je ne l’aurais pas accepté.

Mais au sein de la rédaction, j’ai eu le sentiment d’être protégée. Un jour, un entraîneur de Top 14 m’a traitée de salope. Ce n’était pas à caractère sexuel. Il était furieux contre moi et aurait certainement traité un confrère de connard. Mais derrière, il a été blacklisté par la rédaction pendant de longs mois. Avant le Midol, j’avais fait des stages à Paris, à Stade 2. J’y ai rencontré Cédric Beaudou, qui était stagiaire comme moi et qui est devenu un ami. Lui, il a toujours été réglo. Mais là-bas, c’était différent. Dès que je me levais, on me regardait les fesses, on ne me croyait pas, on ne m’écoutait pas. à Midol, on m’a assez vite fait confiance, j’ai couvert l’équipe de France. J’ai eu quelques réflexions empreintes de jalousie par rapport à mon ascension rapide. Mais je pense avoir été un cas à part. On ne peut pas m’inclure à ces femmes que j’ai vues dans le reportage. En conclusion, j’ai le sentiment que la société avance, qu’elle change. Nous, on a essuyé les plâtres. Aujourd’hui c’est mieux mais les femmes doivent se faire respecter. Et les femmes doivent se respecter elles-mêmes aussi parce que les salopes, ça existe aussi et que le comportement de certaines a fait du mal à notre condition. Il n’y a que 13 % de femmes dans le journalisme sportif. Ce chiffre doit évoluer. Et pour cela, il faut qu’il y ait davantage de femmes aux postes de dirigeants.»

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