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40 ans après, retour sur la « naissance » du phénomène Blanco

  • Blanco évoluant avec le BO lors de ses premiers matchs
    Blanco évoluant avec le BO lors de ses premiers matchs Midi Olympique
Publié le Mis à jour
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En 1981, il y a quarante ans, Serge Blanco découvrait le Tournoi des 5 Nations, la compétition qui mettrait en lumière toute l’étendue de son talent. Il avait 22 ans et commençait à se faire connaître du grand public. Dans le milieu du rugby, sa réputation grossissait depuis quatre ans environ, depuis ses débuts à 18 ans sous le maillot du Biarritz olympique. Retour sur les premiers pas de cet attaquant d’exception. Blanco avant Blanco, en quelque sorte. 

1977 : un quart si cruel

Serge Blanco débute en équipe première de Biarritz en septembre 1976, à l’âge de 18 ans. Il est appelé en catastrophe pour aller à Nice car un Biarrot, par superstition, refuse de prendre l’avion. Serge Blanco se retrouve remplaçant, puis juge de touche en fin de partie. Le BO est battu 15-12, Blanco observe la rudesse des avants niçois du légendaire André Herrero. Serge fait ses vrais débuts le 28 novembre face à Mimizan, Biarritz s’impose 33-6 et il marque deux essais. Sa carrière prend donc son envol au cours de cette saison 76-77 qui se terminera de nouveau face à Nice. Un match épique, le premier grand rendez-vous de Serge Blanco, toujours 18 ans. Il l’a narré dans sa biographie : « Rebonds favorables » (Editions Marabout). « Le BO avait éliminé Le Creusot en seizièmes, puis Brive en huitièmes, et retrouve Nice en quart de finale, et son pack toujours aussi solide (Sappa, Hache, Ballatore, Charpentier…). Le match débute mal. » Le BO est mené 16-3 mais revient au score grâce à trois essais en neuf minutes de Jean-Martin Etchenique, Brian Hegarty et Michel Perez à trois minutes de la fin. 19-17 : « Si je réussis la transformation, les prolongations s’ouvrent à nous. Je la loupe, nous perdons. Au coup de sifflet final, je suis dans tous mes états, dégoûté. Je pleure de colère et de rage. L’entraîneur-joueur niçois, André Herrero (39 ans, suspendu ce jour-là) grand seigneur, vient me consoler : « Allez petit ! Tu es jeune, des demi-finales tu en joueras d’autres, des finales aussi. » Tu parles ! J’ai attendu seize ans pour jouer ma première finale contre Toulon, dont André Herrero était le président… »

Le BO qui perdit de peu le quart de finale 1977 face à Nice avec au premier rang à droite, Michel Celaya, mentor de Serge Blanco.
Le BO qui perdit de peu le quart de finale 1977 face à Nice avec au premier rang à droite, Michel Celaya, mentor de Serge Blanco. Midi Olympique

Blanco reste encore méconnu du grand public, mais on s’en souvient, un article de « Miroir du rugby » jette un premier coup de projecteur sur lui. Du style : « Retenez bien ce nom ! »

1978 : jour de grâce à Aberavon

Ce match Galles B-France B du 2 décembre 1978 est un vrai « must » pour les « Blancologues ». La France s’impose 31-18 à Aberavon, une victoire jugée sur le moment comme un « exploit unique » par la presse. Les Gallois étaient la grande puissance de l’époque et les matchs des équipes B étaient de petits événements, parfois télévisés.

Pour le grand public, ce fut le premier exploit médiatisé de Serge Blanco, 20 ans, car il marqua deux essais pratiquement similaires : deux courses de cinquante mètres avec petits coups de pied par-dessus l’adversaire et ballon pris au rebond devant une défense figée. La presse titra sur ces deux merveilles, que personne n’avait vues en France.

Pierre Salviac y fit pas mal référence sur Antenne 2 en expliquant que la BBC avait largement diffusé ces deux essais, plusieurs fois, comme ça, pour le plaisir. On dit que c’est à ce moment-là qu’un journaliste britannique trouva le surnom de « Pelé du Rugby ». On dit aussi que c’est ce jour-là que cessa d’exister un cliché facile, qui courait sur ce talent naissant : « Ce Blanco est un joueur fantasque, capable du meilleur comme du pire… »

1979 : tournée amère en NZ

On l’oublie souvent, mais Serge Blanco était présent pour le fameux exploit d’Auckland. Mais en tribunes, même pas remplaçant. À 20 ans, il vivait sa première tournée avec le XV de France. Cette expérience fut amère : une blessure d’entrée face aux Fidji (match qui ne donne pas de cape) et une suite médiocre, pour laquelle il ne se cherche pas d’excuses. « Je prends cette sélection comme une récompense pour service rendu. La perspective de voir du pays me satisfaisait amplement. Dès notre arrivée aux Fidji, je suis allé dans la première boîte venue. Je m’ennuyais et je n’ai pas eu la bonne attitude. Rugbystiquement, je passe à côté de quelque chose de fort. » Serge Blanco arrive dans les vestiaires après l’exploit d’Auckland, mais il souffre intérieurement : « La joie des vainqueurs est indescriptible. Elle me frappe au cœur. »

Il prend conscience qu’il ne s’est pas battu et qu’il n’a pas fait les efforts pour bousculer la hiérarchie. Après le banquet, Jean-Pierre Rives le prend à part et lui passe un savon. « Je vais te dire pourquoi tu es un con. Pourquoi tu n’as rien compris. Je vais te faire comprendre ce qu’est l’équipe de France, les sacrifices à faire pour y entrer, le mal à se donner pour y rester. » Serge Blanco reconnaîtra ensuite : « Son monologue est d’une telle puissance que j’en sors sonné. Ce discours fera de moi un autre homme, un autre rugbyman, j’en serai marqué à vie. » (Rebonds favorables)

1980 : débuts peu confortables en « Afsud »

Mine de rien, Serge Blanco attendra l’âge de 22 ans pour faire ses débuts en Bleu. Il vivra cette consécration à l’occasion d’une mini-tournée en Afrique du Sud, curieusement programmée en automne 1980 : quatre matchs seulement. Ce voyage fut une sorte de pied de nez d’Albert Ferrasse au pouvoir politique, réticent aux contacts avec l’Afrique du Sud de l’apartheid. Ce fut aussi une marque d’amitié à l’endroit de Dannie Craven, président de la SARFU.

Évidemment, certains grincheux interprétèrent la présence de Serge Blanco dans le groupe comme une sorte de caution à la diversité… Disons que ça faisait double-emploi, vu le talent de l’arrière du BO. Le 8 novembre, il est titularisé pour le seul test de Pretoria. C’est un calvaire pour les Bleus, châtiés devant, submergés par les offensives des Boks. Blanco manque quelques dégagements, mais réussit une relance somptueuse sur trente mètres qui aboutit au seul essai français de Dintrans. L’Afrique du Sud s’impose 37-15, mais le potentiel de Blanco ne fait plus de doute.

En marge des matchs, il découvre la réalité d’un régime qui l’aurait brimé s’il en avait été un ressortissant. Sur le coup, il resta silencieux et rétif aux approches de la presse locale.

Après coup, il fut plus prolixe : « Il n’y avait pas le même niveau d’information qu’aujourd’hui, pas d’Internet, les journaux ne parlaient pas beaucoup de ça. Ou alors des articles très politiques. J’ai vraiment découvert la situation sur place. Oui. Quand j’étais avec l’équipe de France, ça se passait à peu près bien, même si je voyais bien que les Noirs étaient parqués dans des coins du stade. Mais, quand on se promenait en ville, ces toilettes pour les Blancs, les Noirs… les Blacks qu’on ramenait dans les townships le soir après le boulot alors que les Blancs s’amusaient en ville, c’était révoltant. Je me souviens qu’une fois avec Serge Gabernet (arrière toulousain) on s’était assis sur un banc pour regarder des vieux qui jouaient à une espèce de pétanque sur gazon (lawn bowls). D’un coup, ils se sont tous arrêtés de jouer. Outrés qu’un Noir puisse les regarder comme ça. Serge voulait qu’on parte, mais je lui ai dit : « Non, je ne bouge pas ». Et on est resté là à se regarder dans le blanc des yeux pendant de longues minutes avant qu’ils ne reprennent leur partie. » (L’Équipe, juin 2017).

1981 : enfin le Tournoi

1981, le XV de France aborde le Tournoi après une année 1980 vraiment pénible. À sa tête, a été nommé un vrai entraîneur, Jacques Fouroux (depuis quinze ans, il n’y en avait plus). Sous son autorité, Serge Blanco découvre le Parc des Princes et la compétition reine, mais au poste de trois-quarts aile, avec le numéro 14. C’est le Toulousain Serge Gabernet qui est à l’arrière.
Le déplacement de Blanco à l’aile était le mini-débat du moment. Il se sentait comme un arrière de métier mais déjà, au BO, chez les jeunes, Michel Celaya avait innové en le faisant intervenir à l’extérieur de ses ailiers, en bout de ligne pour finir les coups. La tradition voulait que les numéros 15 interviennent après les centres pour créer le surnombre.

Le match inaugural face à l’écosse est un succès, 16-9 et Serge Blanco marque un essai sur l’aile gauche (à l’extérieur de l’autre ailier Laurent Pardo) alors qu’il était censé jouer à l’aile droite. Ce genre de redoublement était encore assez rare à l’époque. Il est aussi félicité pour une « cuillère » sur le centre Jim Renick qui partait pour l’essai de l’égalisation à la 78e. « Tout était à craindre, cet acrobate a réalisé des prouesses », écrit le journaliste de Midi Olympique qui faisait le « joueur par joueur ».

Serge Blanco pour ses grands débuts dans le Tournoi et son essai contre l’Écosse en 1981
Serge Blanco pour ses grands débuts dans le Tournoi et son essai contre l’Écosse en 1981 Midi Olympique

Dans notre journal, Serge Blanco se confiait sur cette première et sa découverte d’un nouveau mentor : « Jacques Fouroux, ça c’est un monsieur. Il est très proche des jeunes et c’est fou, l’influence qu’il a sur les anciens ! » S’il espérait trouver au niveau international des débats plus apaisés qu’en championnat, il a vite déchanté : « Daniel Revallier, notre deuxième ligne, a pris deux coups de pied devant moi. Si j’avais reçu les mêmes, je serais sorti sur une civière. »

Sur son repositionnement à l’aile, il jouait la carte d’une certaine désinvolture : « Finalement, je me suis bien amusé. Avant, on se disait : on va mettre la « pipe » de l’équipe à l’aile. Et il voyait un ballon tous les vingt ans. Maintenant, ce n’est plus pareil, on participe. Finalement, ce poste ne me déplaît pas. » Ce premier Tournoi débouchera sur un Grand Chelem, première triomphale pour Fouroux et Blanco qui ne quittera plus les Bleus et retrouvera le poste d’arrière à partir d’octobre 1982.

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