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Petit poucet, grands exploits : Bagnères de Bigorre (1979-81), un village d'irréductibles

  • Jean-Michel Aguirre, ici ballon en mains, est l’un des visages marquants de le grande époque des « Noirs » du Stade Bagnerais. Leur jeu flamboyant ne leur offrit pas de titre, ils échouèrent à deux reprises en finale.
    Jean-Michel Aguirre, ici ballon en mains, est l’un des visages marquants de le grande époque des « Noirs » du Stade Bagnerais. Leur jeu flamboyant ne leur offrit pas de titre, ils échouèrent à deux reprises en finale. MIDI-OLYMPIQUE - PHOTO ARCHIVES
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Dans les années 70, sans moyens particuliers, Bagnères-de-Bigorre, 7 000 habitants, se hissa deux fois en finale du championnat. En quelques années, le club s’était fabriqué un label d’excellence. À l’époque ça pouvait marcher. Les Aguirre, Betranne, Gachassin en sont les preuves vivantes.

Comme souvent, on s’en voudrait presque de ne pas s’en être vraiment rendu compte sur le moment. Bagnères, une bourgade de 7 000 habitants s’est retrouvé deux fois en finale du championnat de France en 1979 et 1981. Il y eut même une fameuse équipe de France « fantôme » qui compta cinq internationaux bagnérais. On l’appelle « fantôme » car Albert Ferrasse, mécontent, la fit refaire après sa publication (lire Midi Olympique du 3 février). Mais il n’empêche, cinq internationaux simultanés dans un club comme ça, c’est un couronnement en soi. Il s’agissait de Jean-Michel Aguirre, Roland Bertranne, Jean-François Gourdon, Yves Duhard et Adrien Mournet. En 1977, pour le Grand Chelem, ils étaient deux, Aguirre et Bertranne. Ils auraient pu être trois, si Gourdon n’avait pas eu une licence rouge. Spontanément, dans notre mémoire, Bagnères c’est surtout une finale, la première jouée en nocturne, la première présidée par François Mitterrand.

Bagnères l’a perdue face à Béziers, 22-13 mais le spectacle fut magnifique : « Un match superbe, on les avait fait galoper, mais notre pilier Urtizvéréa s’est blessé trop tôt, » nous confia le demi de mêlée international Adrien Mournet en février. Arrière légendaire du XV de France, Jean-Michel Aguirre confirme : « Oui, en 1979, nous étions passés à côté de la finale, mais en 1981, nous nous étions promis de jouer notre jeu, quoi qu’il arrive. Et nous y étions parvenus, même si au final le pragmatisme biterrois avait triomphé. » Les Bigourdans avaient cavalé de partout ce soir-là, avec un premier essai d’enfer : une attaque de 80 mètres derrière une mêlée pourtant en difficulté. Mournet qui démarre, Fourneau qui perce, Bertranne, Rispal pris avec le ballon mais qui le lâche pour Jean-François Gourdon. « Même si nous avons perdu, ça reste peut-être mon meilleur souvenir. On voulait montrer ce qu’on savait faire et nous y sommes arrivés à la différence de la finale de 1979 face à Narbonne qui s’était jouée dans un climat détestable. » Ce jour-làJean -Michel Aguirre avait reçu dans les jambes un énorme pétard de supporteurs narbonnais déchaînés. Et les joueurs audois avaient aussi sévèrement distribué, obsédés par l'idée de ne pas perdre à nouveau en finale après le traumatisme de 74 (drop de Cabrol), en plus sous l'autorité du même arbitre, Francis Palmade .

En 1981 contre Béziers, ce fut finalement plus loyal et moins toxique. C’est vrai que la sortie très précoce de Michel Urtizvéréa continue d’alimenter la machine à regrets : « J’étais blessé aux adducteurs et à la première pression, ça a lâché. J’avais passé un an au bataillon avec Vaquerin et je savais comment faire pour le prendre. Tant pis, on ne refait pas l’histoire », confia-t-il vingt ans plus tard. Pour Jean-Michel Aguirre, l’apogée de l’âge d’or du Stade Bagnérais reste quand même une victoire, cette demi-finale 1979, survolée 25-9 face à Agen à Toulouse. « C’était fabuleux ». Comme toujours, ceux qui se voulaient connaisseurs aimaient mettre en exergue les joueurs méconnus car non internationaux, c’est un classique du rugby. On s’extasiait devant le feu follet Serge Landais en troisième ligne et le centre blond Michel Rispal, très élégant. Certains assénaient que c’était lui le plus fort.

L’influence de Gachassin, l’enfant prodigue

On s’est souvent demandé après coup comment un club comme Bagnères avait pu jouer à ce niveau, 19 ans de première division entre 1970 et 1989. On a longtemps cru que c’était grâce à un gros mécène providentiel comme à Clermont (Michelin) ou à La Voulte (Rhône-Poulenc). On entendait parfois parler de l’entreprise Soulé qui fabriquait du matériel ferroviaire, des wagons. C’est vrai qu’elle a fourni quelques emplois par-ci par-là, mais son influence n’avait rien à voir avec les « mastodontes » précités. « C’était plutôt le système D, poursuit Aguirre. Une adhésion à une certaine identité aussi. »

La montée en puissance de Bagnères dans les années 70 est venue de l’accession à l’élite, sous la direction de François Labazuy, ancien demi de mêlée du grand Lourdes. À cette époque, le fait de jouer en première division restait relatif, 64 clubs pouvaient s’en vanter. Mais à Bagnères « ville », il y avait une star qui ne jouait pas dans l’équipe : Jean Gachassin. « J’avais 28 ans et j’étais installé comme huissier de justice à Bagnères qui était la ville de mon enfance car mon père y était déjà huissier et assureur. » Mais le Peter Pan du rugby français s’était surtout fait connaître sous le maillot lourdais, 32 sélections entre 1961 et 1969. « Mais quand Bagnères est remonté, j’avais tous les matins à la porte de mon étude cinq ou six copains qui me demandaient de revenir au club. Alors j’ai dit oui. J’ai quitté le FC Lourdes et j’ai signé au Stade Bagnérais, mais j’ai dit aux dirigeants. Attention, si on est en première division, il faut tenir la route, il faut un peu de matériel. En clair, il faut recruter. Ils m’ont dit, on te fait confiance. »

Jean Gachassin se lança alors dans une vraie chasse aux jeunes talents avec l’idée d’attirer des joueurs régionaux et les séduire par l’image du rugby qu’il prônait, l’offensive à tout va. En quelques années, il réussit à concurrencer voire à dépasser son ancien club, le prestigieux FC Lourdais. « Oui, ça les a vexés, mais je leur disais ; c’est la vie ! ». Se pencher sur la réussite de Bagnères reste un formidable coup de rétroprojecteur sur le rugby de l’époque. Avec une élite très élargie et des poules de huit, les clubs des petites villes avaient leur chance. La base du succès bagnérais, ce fut donc cet activisme de Gachassin, dont la notoriété était énorme à l’époque. Elle lui servirait à trouver des emplois pour les joueurs, grâce à son réseau de connaissances. S’il y a un facteur décisif dans la réussite des Bigourdans, c’est peut-être celui-là. « Le premier que j’ai fait venir, c’était Roland Bertranne, je l’avais remarqué chez les scolaires, il avait des jambes de feu. Je suis allé voir ses parents, je l’ai fait entrer à l’équipement et je lui ai fait travailler ses passes. »

Bertranne et Aguirre mais aussi Cigagna

Roland Bertranne est peut-être la plus belle réussite de « Gacha », il finira avec deux Grands Chelems dans sa besace et le record de sélections chez les Bleus (69). « C’est exact, il m’a fait signer et il s’est montré intraitable sur la qualité du jeu et des passes. Quand on en manquait une, on l’entendait. Avec François Labazuy, ils essayaient d’exporter le style lourdais. » Roland Bertranne jouait dans un petit club, Ibos, il était passé complètement à travers les mailles du filet des grands clubs, se souvient Aguirre comme un hommage au « pif » de Gachassin et à sa capacité à convaincre les hommes. « Moi, je jouais à peine au rugby à Tarbes, j’avais surtout fait du foot. Je voulais être prof de gym, je me préparais au CREPS et j’aurais pu aller à Albi qui était l’antichambre du TFC. Mais j’ai finalement opté pour Bagnères. » À quoi tenait donc une carrière d’arrière international à l’époque ? Jean Gachassin reprend à peine rigolard : « Oui, j’avais d’abord remarqué Jean-Michel Aguirre pour son jeu au pied, sa frappe de balle, au foot. Quand il est venu chez nous, je l’ai fait jouer à la mêlée et il s’est retrouvé international… Dans l’année, c’était extraordinaire. » C’est vrai, Aguirre a débuté sa carrière en Bleu dès 1971 comme demi de mêlée face à l’Australie avec Jean-Louis Bérot à l’ouverture.

Gachassin rappelle les faits de son palmarès de recruteur, avec autant de passion que s’il parlait de ses matchs internationaux. « J’avais fait venir par exemple le pilier Gérard Chevalier avec qui j’avais joué à Lourdes, tout comme le deuxième ligne Claude Pourtal, gros caractère, que j’avais déjà fait venir de Pézenas à Lourdes dans le passé. J’ai fait aussi obtenir un cabinet d’assurances à Jean-François Gourdon qui venait du Racing. J’ai fait entrer un autre ex-Lourdais André Cazenave à la Compagnie Générale des Eaux. Omar Derghali, nous l’avons d’abord fait travailler dans un magasin puis, nous l’avons fait entrer à l’hôpital. » Parmi les anciens Lourdais, il y eut aussi les Doux, les Barthat, des Bagnérais exilés comme lui qu’il fit rentrer au bercail.

Parmi ses plus belles, on dénote un certain Albert Cigagna, de Mazères sur le Salat, en Haute-Garonne : « Je l’avais repéré en scolaires lui aussi. Il avait le don, du jeu juste. Mais lui était étudiant. Il faisait la navette. »

Grosse émulation dans le 65

Cette réussite bagnéraise, c’est d’abord l’attrait d’un style, ça paraît fou aujourd’hui, mais Roland Bertranne confirme : « On n’allait pas à Bagnères pour l’argent. On venait pour le jeu. On ne fonctionnait que là-dessus. Mais croyez-moi, on travaillait dur pour réussir nos mouvements. Mais sur le moment, ça nous paraissait naturel de se retrouver en finale dans une ville de 7 000 habitants. » Jean Michel Aguirre évoque « un système D » car Jean Gachassin n’était pas seul évidemment, Bagnères a bénéficié du soutien de deux grands présidents, M. Niollet, marchand de meubles local, prototype du dirigeant à l’ancienne puis René Bergalet, un chef d’entreprise de la région parisienne. « Un homme fortuné, mais qui avait vendu son affaire quand il est devenu président. Il était fou du Stage Bagnérais », poursuit Gachassin. Lui ne profita pas trop sportivement de son activisme bagnérais, il arrêta de jouer en 1975, mais la machine était lancée. Les entraîneurs Henri Bedin et Francis Palu étaient sur la même longueur d’onde. On l’a oublié, mais le Stade Bagnérais élimina le grand Béziers en huitième de finale en 1979. Un petit score 9-6, pour un grand exploit.

En 1977, l’arrivée du pilier international palois Marc Etcheverry avait fait progresser la mêlée des « Noirs ». Après son passage, les avants ne se voyaient plus comme de simples pourvoyeurs de ballons pour les gazelles. Ils avaient compris qu’ils pouvaient aussi construire des choses par eux-mêmes.

« Il y avait un entrain général. Nous étions le bras armé de la ville, tout tournait autour de l’équipe. Et puis, nous profitions de l’émulation qui existait entre les trois grands clubs des Hautes-Pyrénées, Tarbes-Lourdes-et nous. Ça jouait beaucoup, ça nous poussait à nous surpasser. » Gachassin ajoute : « Oui, tous ces jeunes que j’ai fait venir, ils auraient sans doute signé à Lourdes ». Le FCL avait l’image d’un club huppé à ce moment-là, Bagnères était un trublion. « On était assez décontractés, et on n’avait pas trop de moyens. Par exemple, on ne portait pas de blazers à la différence de beaucoup de nos adversaires », poursuit Aguirre. Les rencontres étaient parfois heurtées entre les trois bastions, le huitième retour Bagnères — Tarbes de 1977 fut qualifié de « honteux ». Les photos qui subsistent en font foi.

Cette histoire nous dit quelque chose de ce rugby des années soixante-dix, si vivaces. D’une rivalité régionale pouvait sortir un champion de France. Quarante ans après, on ne parle que de fusion quand deux clubs brillent dans le même voisinage. Quel changement !

Mais le plus terrible dans tout ça, c’est qu’en lever de rideau de la finale 1981, le Stade Bagnérais fut bel et bien champion de France, mais en cadets. « Oui, les jeunes venaient jouer chez nous car nous étions devenus une référence. Porter le maillot du Stade Bagnérais jeune, c’était se donner une chance de franchir le cap et d’accéder à l’équipe première. J’avais connu ça du temps du Grand Lourdes. Tout le monde voulait y aller dès les catégories de jeunes. Vous imaginez ma joie quand Jean Prat en personne était venu me chercher alors que j’étais en série, à Vic Bigorre où j’étais en pension, je n’en revenais pas, » narre Gachassin. Comme son maître, il connaîtrait le bonheur d’avoir créé sa propre école, phénomène au moins aussi puissant que les forces de l’argent. Quand on y pense c’est presque aussi fort qu’une carrière de joueur. Mais un jour le numéro de séduction de Jean Gachassin n'a plus suffi : « Je suis allé à Tournay chez les parents d'un jeune prometteur. Ils m'ont dit d'accord, mais en échange il faut nous payer un cochon. J'ai compris que les choses avaient changé . »

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