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Petit Poucet, grand exploit - À Argelès (1996), une épopée comme épitaphe

  • Le groupe de l’étoile Sportive Argelésienne 1995-1996, une formation de Groupe A2, qui se paya le luxe d’éliminer une équipe d’élite (Nice) avant de résister avec bravoure au Stade toulousain. Elle était entrainée par une figure mythique du rugby catalan, Pierre Aylagas. En bas, la première ligne qui fit face aux Niçois et aux Toulousians : Larfi, Bertrand et Ph. Amalric.
    Le groupe de l’étoile Sportive Argelésienne 1995-1996, une formation de Groupe A2, qui se paya le luxe d’éliminer une équipe d’élite (Nice) avant de résister avec bravoure au Stade toulousain. Elle était entrainée par une figure mythique du rugby catalan, Pierre Aylagas. En bas, la première ligne qui fit face aux Niçois et aux Toulousians : Larfi, Bertrand et Ph. Amalric. DR
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Un an après le professionnalisme, L’E. S. Argelesienne, club de groupe A2, réussit à se hisser parmi les seize meilleurs clubs français. Une épopée aussi magnifique que cruelle car elle fut sans lendemain. L’époque était déjà impitoyable. Mais personne n’enlèvera le souvenir des deux duels face à Nice et Toulouse.

Allez, jetons-nous à l’eau : s’il y a bien une vraie histoire de « petit Poucet », c’est celle-là. L’une des plus belles aventures du rugby français. Argelès-sur-Mer, 10 000 habitants, qui se retrouve en huitième de finale du championnat de France, soit dans une sorte de Top 16 informel. Le tout sans l’appui d’un mécène, comme c’est aujourd’hui la « mode ». Ça avait vraiment de la gueule, car on ne parle pas ici d’un temps si éloigné, 1996, et déjà le professionnalisme. Et l’on ne parle pas non plus d’une équipe de gloires en fin de parcours, bâtie par un président ultra-ambitieux (style Stade Français 97-98), mais d’une vraie équipe de terroir, avec une majorité de gars formés sur place.

À leur tête, une figure des Pyrénées-Orientales : Pierre Aylagas, l’homme au CV à faire pâlir d’envie Emmnuel Macron. Il fut tour à tour professeur de mathématiques, joueur (modeste), entraîneur, cadre technique, maire, président du comité de commune, député, sélectionneur national champion du monde (avec l’équipe de France Universitaires). À l’époque, il était adjoint aux sports et à l’enseignement, et son maire s’appelait Jean Carrère, ancien troisième ligne du XV de France puis entraîneur de Narbonne et de l’USAP. Le plus fascinant, c’est que l’Etoile Sportive Argelésienne s’est retrouvée en huitième sans avoir jamais joué dans l’Elite, car elle avait profité d’une formule assez baroque. Elle offrait aux meilleurs clubs du Groupe A2 l’opportunité de jouer un barrage face à des pensionnaires de l’Elite, alors appelée A1. Voilà comment l’Etoile Sportive Catalane réussit à battre Nice, 12-9 après prolongation (drop final de Pascal Amalric) pour se retrouver face… au Stade toulousain, l’ogre du rugby français. Le barrage eut lieu à Chateaurenard, sous une pluie faite parait-il pour niveler les valeurs. Mais l’envoyé spécial de Midi Olympique précisa bien dans son reportage : « Il ne fallait pas se fier aux apparences des étiquettes et de la hiérarchie… Argelès a su renverser les valeurs pour faire figure de vainqueur incontestable. Nice n’a jamais été en position de marquer un essai. Qui était David ? Et qui était Goliath ? »

Trois Lièvremont dans le groupe

Pierre Aylagas en parle avec son cœur et en roulant les « R ». « Il faut savoir que le vainqueur de ce barrage montait en Groupe A1, ce n’était pas rien pour nous. Pour le discours d’avant-match. J’avais dit : « Écoutez, tout le monde nous bade, nos femmes, nos maîtresses, nos enfants, les supporters. On va jouer ce match en sachant qu’on va prendre des points mais avec l’ambition d’être fiers de nous. » Et là, j’entends des voix : « Non pas question ! On est là pour gagner. » Je me souviens particulièrement de Sylvain Deroeux qui a dit fermement : « Je ne suis pas d’accord ! » Alors, comme je suis un élu de la République, j’ai demandé un vote. » La motion de la victoire l’emporte à l’unanimité. « J’avais obtenu la réaction que j’attendais. J’étais heureux d’avoir trouvé la motivation adéquate. Je ne voulais pas d’un discours neutre. »

L’odyssée d’Argelès n’en finit pas de nous toucher, elle est l’une des dernières à avoir exalté les bienfaits d’une formation hyperlocale (depuis, seul Auch l’a, à notre sens, égalé). « Nous étions une équipe qui associait des vieux briscards passés par l’USAP et de jeunes produits de la formation locale. Pierre Aylagas avait mis sur pied un staff d’éducateurs hors pair. Notre formation était hyperperformante » explique le numéro 8 de cette équipe, nommé Thomas Lièvremont. Oui, car la station balnéaire, c’est aussi le berceau de la famille le plus prolixe du rugby français. En 1996, Marc était déjà parti. Sur les sept frères, dans cette équipe jouaient Thomas en 8 et François à l’arrière, plus Mathieu jeune flanker (qui ne jouait pas contre Nice mais qui entra en jeu face à Toulouse). « De cette équipe, sont sortis quand même quatre futurs capitaines d’équipes de première division, reprend Pierre Aylagas. Thomas Lièvremont à Biarritz, Jean-Luc Bartoli à Montpellier, Sylvain Deroeux à l’USAP et Mathieu Lièvremont à Agen. C’est quand même incroyable, non ? » Cet exploit fut donc une ode parfaite au rugby d’autrefois, qui n’allait pas chercher ses talents en Océanie, ni même en Angleterre. Très peu d’Argelésiens de 96 étaient nés au-delà d’un rayon de cent kilomètres autour du Stade Gaston-Pams, c’est ce qui fait la beauté de cet exploit. « L’état d’esprit était formidable. Il y avait pourtant de fortes personnalités, Henri Mascardo, le seconde ligne, Philippe Amalric le pilier, Pascal Amalric le demi d’ouverture. Je n’ai jamais eu un problème d’autorité. Il y avait des joueurs moyens, il faut appeler un chat un chat, mais dans ce contexte, ils se surpassaient. Jean Dunyach, qui est un ami, m’avait fait un beau compliment en me disant que j’avais su en tirer le maximum. »

Thomas Lièvremont donne un aperçu de cette aventure : « Je suis parti d’Argelès à 23 ans, à la fin de cette saison-là. D’habitude, ceux qui avaient un certain avenir quittaient le club pour l’USAP au niveau des Reichel. Nous, nous avions préféré rester au club. C’était si bon. Tout le monde travaillait par ailleurs, on s’entraînait trois fois par semaine, tout était simple humainement. Contre Nice, ce fut la victoire de l’abnégation. Mais mon meilleur souvenir sportif figure un match de la saison précédente, face à Boulogne-Billancourt entraîné par Nick Mallett. Un match magnifique. » Pierre Aylagas évoque plutôt un 21-3 face à Béziers : « Ils nous avaient toujours battus et Richard Astre me disait chaque fois que j’avais une équipe sympathique. Ce jour-là, tout, absolument tout nous avait réussi. À la fin du match, je n’avais pas pu lui rendre la pareille. » Il avait pris quelques libertés avec les règlements car, en théorie, un cadre technique n’avait pas le droit d’entraîner. Mais Jean Dunyach, admiratif, le protégeait à la FFR.

La combinaison qui portait le nom du coach !

Une formation impeccable, dans un des viviers les plus fertiles du rugby français, ça suffisait encore à propulser un club aux marches de l’Elite : « Nous progressions, nous jouions bien, l’appétit venait en mangeant » poursuit Pierre Aylagas passé comme dans un songe de la deuxième division de l’époque à un face-à-face avec Toulouse. « C’était à Carcassonne, et le Stade nous a pris un peu à la légère. Ils ont tenté de nous déborder par du jeu déployé. Mais avec notre troisième ligne magnifique, ils ont eu affaire à forte partie. On a rivalisé pendant 40minutes, même si Ntamack a marqué un essai sans opposition sur une grosse erreur de dégagement. Et en plus, on a marqué un essai sur une combinaison en touche. Une combine qu’on répétait à l’entraînement mais qui n’avait jamais marché en match. Pour me chambrer les joueurs l’avaient appelé « Aylagas ». Ils ont eu le cran de la tenter, j’ai entendu la consigne et là… Paf ! Elle réussit. Je revois encore le regard de Thomas Lièvremont juste après. Il me cherchait des yeux, avec fierté pour partager ce moment. » À la pause, Toulouse ne menait que d’un point : 11-10. On se souvient des deux groupes réunis au centre du terrain dans une atmosphère survoltée. « Je donnais mes directives et en même temps j’écoutais ce que disait le camp adverse. Et j’ai vu Deylaud, qui ne jouait pas ce jour-là, prendre la parole : « Vous êtes fous ou quoi ? Prenez-les devant. » C’était la bonne option, notre première ligne n’était pas au niveau de celle du Stade. En deuxième période, on a souffert ; on a pris un essai sur mêlée enfoncée. Mais s’ils avaient continué dans l’erreur du jeu déployé. Tout était possible. » Le score final laisse rêveur, le Stade des Castaignède, Carboneau, Califano n’a gagné que 27-16, deux essais à un. Et dans la foulée, Thomas Lièvremont partit en tournée argentine avec le XV de France.

« Nous n’avions pas une mêlée extraordinaire, une touche passable avec Mascardo en courte et Bartoli en longue. Mais sur les ballons portés, on était très forts, parce que mes avants étaient intelligents. Je le reconnais, on ne faisait pas trop de jeu déployé. Les trois quarts râlaient parfois un peu. Peut-être que nous n’avions pas de talents extraordinaires, c’est vrai, mais nos deux centres par exemple Mallejac et Caulo, savaient se mettre au service du collectif. Ils se donnaient à fond en défense » enchaîne Aylagas. « Pierrot était aussi un peu fou. Il montait sur le joug pendant les séances, il nous marchait même carrément dessus, sur certains exercices » poursuit Thomas Lièvremont. Cette équipe témoigne forcément d’un autre rugby, avec d’autres règles, d’autres profils de joueurs. Tout une série de choses qui permettaient aux petits Poucet de défendre chèrement leur peau.

Derrière l’exploit, des caisses vides

Personnellement, on regrette un peu cette époque. Les scores étaient plus étriqués, mais la vraie bravoure avait encore sa place. L’épopée d’Argelès en fut sans doute le chant du cygne. La face sombre de cette histoire, c’est qu’elle fut aussi le chant du cygne du club tout court. Après ce match, Argelès retomba brutalement sur terre, déjà en refusant la montée en Groupe A1. Un choc. Le club disposait d’un budget de 2,5 millions de francs alors que l’accession nécessitait une rallonge d’au moins 1,5 million. Le maire ne pouvait pas faire plus qu’une subvention de 600 000 francs. « Avec Jean Carrère, nous avions convenu que nous n’avions rien à faire à ce niveau. Mais il faut savoir une chose, cette épopée, nous l’avons réalisé alors que notre président Hervé Lleonci avait démissionné en plein milieu de saison. Il n’y avait plus d’argent. Plus rien. Il avait fallu réunir les joueurs pour les avertir qu’on ne toucherait plus de primes et de défraiements. Et que j’entraînais pour pas un rond. Et que ceux qui n’appréciaient pas, pouvaient partir tout de suite. Tout le monde est resté, par fierté. Ça a donné une sorte d’autogestion. Ils me respectaient, je les respectais. »

À l’heure de ses plus grands exploits, le club vivait d’expédients. Chose incroyable, tout de suite après le huitième perdu, Argelès décida de fusionner avec un club qui venait de monter en Deuxième Division (équivalent fédérale 2), Latour-Bas-Elne Saint-Cyprien pour devenir l‘Etoile Sportive Catalane. Et donc reculer dans la hiérarchie, jusqu’à la D2. Ça paraît terrible, presque tragique, avec le recul. « Oui, beaucoup de gens n’ont pas compris à Argelès. Nous avions refusé la montée et certains m’ont dit : « Pierrot ! Tu es foutu. Tu ne seras jamais maire d’Argelès. J’ai été élu en 2001 et j’ai fait trois mandats. Et on a continué à former des joueurs chez nous. »

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