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Petit Poucet, grands exploits : et la tango renversa la tortue

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    Petit Poucet, grands exploits : et la tango renversa la tortue Midi Olympique
Publié le Mis à jour
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C'est un véritable coup de Trafalgar qui se joua sur la pelouse de Tulle, le 26 avril 1992. Lequel vit le CABBG, champion de France en titre, se faire éliminer dès les seizièmes de finale par la modeste équipe de Charlon-sur-Saône par l'entremise d'une pénalité de plus de soixante mètres, à la dernière minute.

C’était il y a bientôt trente ans, il y a un siècle, une éternité. Un temps béni où la Première Division comptait quatrevingts clubs répartis entre Groupe A et Groupe B, un championnat ronronnant au possible durant l’hiver avant de provoquer des ascenseurs émotionnels hors-normes à la montée de sève du printemps, servie par une formule alambiquée au possible. Ancien entraîneur (entre autres) d’Oyonnax et de Bourgoin, l’ancien arrière des Tango, Eric Catinot, se souvient. « Le championnat était constitué de telle façon qu’il nous avait fallu gagner un match pour nous maintenir en Groupe A, contre Angoulême de Fabrice Landreau à Chateauroux (21- 9), avant d’entrer en lice pour les seizièmes de finale du championnat de France. Comme nous étions soulagés, nous nous étions déplacés à Tulle sans pression, avec la satisfaction du devoir déjà accompli. Ça ne pouvait être que du bonus, d’autant plus que nous devions affronter le CA Bègles-Bordeaux Gironde, champion de France en titre… » Devenu médecin de l’équipe de France puis président de l’Association du Lou, l’ancien troisième ligne Jean-Philippe Hager ne dit pas autre chose : « On n’avait pas réalisé une très bonne saison, mais on avait quand même gagné des gros matchs à la maison, notamment contre le futur champion de France, Toulon (21-7) et on sentait qu’on montait en puissance. » « Après avoir fêté le maintien, c’était l’euphorie, on ne s’était pratiquement pas entraîné, prolonge Catinot. Et puis, dans la semaine, on a commencé à entendre que le RC Chalon avait déjà réalisé un exploit de la sorte, en 1963, lorsqu’il avait sorti le grand Agen champion de France en titre (12-3). On s’est donc mis en tête que c’était possible. On ne peut pas parler d’analyse de leur jeu, mais en regardant attentivement leur finale contre Toulouse la saison précédente, on s’était rendu compte que les Toulousains s’étaient un peu sortis face au jeu d’intimidation des Béglais. Ce qu’on s’était promis, c’était simplement de ne pas s’échapper face à leurs provocations dont ils jouaient beaucoup… »

Un gueuleton la veille du match

Voici donc comment fut préparé l’un des plus grands exploits de l’histoire du rugby français. Pas autrement que par la simple promesse de combattre ensemble, matérialisée par une bamboche le samedi soir. « La veille du match, l’entraîneur Michel Genevois nous avait réservé un véritable gueuleton, ça m’avait marqué, sourit Hager. On avait mis les petits plats dans les grands, bu pas mal de vin rouge… » Le dernier repas du condamné ? Il y avait peut-être un peu de ça, allez, quand bien même les Chalonnais savaient très bien que le contexte du match pouvait jouer en leur faveur, ainsi que l’exprime l’ancien ouvreur Thierry Ponel. « Les Béglais déploraient des absences ce jourlà : Moscato, Frentzel, Courtiols, Geneste… Ils n’avaient pas joué depuis trois semaines et c’étaient les premières chaleurs. Cela a donné un match très haché, avec dix minutes de temps de jeu effectif au maximum. Et ça nous allait très bien… » À cette évocation, Eric Catinot se marre. « Juste avant la mi-temps, après une longue période de domination béglaise, notre troisième ligne Picamelot était ressorti d’un regroupement, disons le, bien touché. Je le revois encore regarder tous les Béglais en leur disant « attention les gars, vous m’avez chauffé ! » Je me souviens aussi que sur une des rares occasions d’essai des Béglais, Bernard Laporte avait été retourné dans l’en-but. Il n’avait pas pu aplatir… » « Les Béglais nous ont pris un peu de haut et se sont acharnés à essayer de nous martyriser devant, sur ce qui était notre point fort, signale Hager, qui croisait pour l’anecdote le fer avec un compagnon de l’équipe de France U, étudiant en médecine comme lui, un certain Serge Simon… D’entrée de jeu, il y a eu une bagarre générale, de l’intimidation, quelques mêlées relevées… Mais à ce jeu-là, on ne craignait pas grandmonde. S’ils avaient écarté quelques ballons, je pense qu’ils seraient passés sans problème. Mais leur péché d’orgueil nous a permis de coller au score grâce au jeu au pied, jusqu’à la dernière minute. »

Ponel : « Ce ballon qui monte, droit dans le ciel... »

Cette dernière minute ? Il faut évidemment en parler avec celui qui en fut le héros, à savoir l’ouvreur Thierry Ponel. « On venait de recoller à 18-16 à cinq minutes de la fin grâce à un essai de notre ailier Mallartre. On jouait aux abords de nos 22 mètres quand Berthozat a commis un en-avant volontaire. On a vite joué la pénalité, ce qui nous a amené sur nos quarante mètres. Et là, les mecs m’ont dit : « Vas-y, Thierry. » Alors j’y suis allé… » Coup de poker ? Même pas, puisque Ponel avait déjà inscrit au préalable trois buts longue distance de jour-là. « Notre buteur numéro 1 était Eric Catinot, mais il avait un coup de pied de moineau ! Se marre Ponel. Au-delà des quarante mètres, c’était moi qui m’y collais. Ce jour-là, d’entrée de jeu, j’avais eu de bonnes sensations sur ma première tentative au milieu du terrain. Le ballon était passé avec dix mètres de marge… Je crois qu’une bonne étoile brillait au-dessus de nous ce jour-là. Je me rappelle avoir posé le ballon sur mon petit tas de sable, pile au croisement des lignes des quarante et des quinze mètres. Ça faisait donc un coup de pied de plus de soixante mètres… Mais lorsque le temps était sec, les ballons en cuir de l’époque allaient plus loin que ceux d’aujourd’hui, ils avaient une résonance fabuleuse. J’ai pris ce coup de pied comme n’importe quel autre, sans plus de pression que ça. » Presque décevant, pour une frappe appelée à rester dans les annales du rugby français… « Le souvenir que j’en ai ? C’est ce ballon qui monte tout droit, dans le ciel, jure Thierry Ponel. Je me rappelle aussi m’être retourné, bien avant que le ballon passe entre les poteaux. Je savais qu’elle y était. Tous les buteurs savent, à la frappe, si le coup de pied est bon ou pas… » Au plus près de l’action, Eric Catinot rembobine le fil. « Je me rappelle m’être placé dans l’axe de son coup de pied, pour savoir tout de suite. Mais rien qu’au son du ballon, j’ai compris que les Béglais étaient éliminés… »

Chant du cygne

Ce cataclysme de Tulle ? Tout le monde n’en prit pas, sur le coup, la pleine mesure. Le correspondant de Midi Olympique en premier lieu, tiré de son sommeil par le rédacteur en chef Henri Nayrou lui demandant de « faire plus long » sur la chute du champion de France. Mais surtout, les Bourguignons qui, pour tout dire, ne parvinrent pas à flasher sur leur exploit. Un comble, dans la cité de Nièpce… « On n’a pas pris le temps de savourer, et le huitième de finale qui a suivi, la semaine suivante à Valence contre Castres, reste un immense regret, ravale Catinot. Sur le coup d’envoi botté directement en touche, il y a une bagarre générale, et l’arbitre sort deux joueurs. Chez eux, un deuxième ligne, chez nous notre pilier Deljick… Sauf qu’à l’époque, on ne pouvait pas coacher comme c’est le cas maintenant. Nous avions souffert en mêlée tout le match pour finalement ne perdre que 9-3… C’était une opportunité unique pour le club d’aller le plus loin possible, qui ne s’est d’ailleurs jamais représentée. » « La saison suivante, plusieurs joueurs ont arrêté, d’autres sont partis, moi-même j’ai rejoint l’ASM, rappelle JeanPhilippe Hager. Nous venions de passer trois belles saisons mais nous étions quelques-uns à rêver d’un jeu un peu plus ouvert qu’on ne pratiquait pas à Chalonsur-Saône. C’était un crève-cœur de partir pour moi qui étais l’enfant du pays. C’était la fin d’une histoire. » Un double constat partagé par Thierry Ponel, qui allait lui aussi partir pour Orléans, où il réside encore presque trente ans plus tard. « L’erreur qui a été commise par Chalon, c’est justement de ne pas avoir su profiter de cet exploit. Le club ne s’est jamais posé pour se poser la question de l’après, il a vécu sur ses acquis. La saison suivante a été catastrophique. Les Béglais sont d’ailleurs venus nous battre pour le premier match à la maison, en nocturne (34-39). On n’a pas gagné un match est on est descendus en Groupe B. À partir de là, ça a été la déconfiture. Il y a eu des problèmes de dirigeants, des problèmes financiers… » Eric Catinot en rage encore. « La période de présidence de JeanYves Aubert fut l’âge d’or du club, à partir de sa montée en Groupe A en 1988. Mais ce match de 1992 a aussi été le chant du cygne du rugby ici mais aussi dans le département… Dans les années 90, Chalon, Le Creusot et Montchanin jouaient tous en Groupe A. Aujourd’hui, Mâcon est le seul club de Saône-et-Loire installé en Fédérale 1, pas même en Nationale… Il devrait y avoir au moins un club de Pro D2 dans ce département qui est une vraie terre de rugby mais la politique de territoire n’a jamais suivi. C’est comme ça… »

Tous les 26 avril, le texte de Catinot à Laporte

La consolation des Tango ? Elle est au moins que leur exploit, minimisé par beaucoup à l’époque, n’a pas été sans conséquences, de par un drôle d’effet papillon… « Dans son premier bouquin, Bernard Laporte me surnomme l’assassin, s’amuse Thierry Ponel. Le terme est exagéré, mais on est intimement convaincus que ce match a précipité la chute du CABBG, qui allait suivre en même temps que la nôtre. Après le match, on avait ressenti de la tension, les joueurs n’étaient pas venus à la réception au grand dam du président M. Moga. Il y avait des querelles internes, et ce match a quelque peu précipité l’explosion de l’équipe, dont beaucoup ont rejoint le Sbuc. » Dont un certain Bernard Laporte justement. Qui, sans cet immense échec, n’aurait peut-être jamais quitté Bordeaux-Bègles ni connu les succès que l’on sait au Stade français, puis en tant que sélectionneur, ministre et président de la FFR… « En fait, il nous doit une fière chandelle ! Ironise Eric Catinot. D’ailleurs, au fond de lui, il en est peutêtre conscient. Tous les ans, le 26 avril, je lui envoie un texto pour lui rappeler « l’anniversaire de la tortue sur le dos ». Et il me répond toujours ! » De là à conclure que, à l’instar du nez de Cléopâtre, la face du monde ovale en aurait été changée si le coup de pied de Thierry Ponel avait été un peu plus court ? Allez savoir, après tout…

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Les commentaires (1)
jipreb Il y a 3 années Le 30/06/2020 à 20:00

Les Tango sans S au pluriel