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Castets, forte tête

  • En octobre 2018, Clément Castets (Toulouse) se confiait sur les différentes épreuves qu'il avait endurées.
    En octobre 2018, Clément Castets (Toulouse) se confiait sur les différentes épreuves qu'il avait endurées. Manuel Blondeau / Icon Sport
Publié le Mis à jour
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Opéré du cerveau en février 2018 pour lui retirer une malformation, l'ancien capitaine de l'équipe de France des moins de 20 ans, qui fait du sourire sa marque de fabrique, a retrouvé les terrains de Top 14 jusqu'à être appelé chez les Bleus. Un long combat remporté par le joueur, mais la souffrance la plus brutale qu'il ait eue à affronter reste la perte de son ami, Louis Fajfrowski, en août de la même année. 

C’est devenu un rituel : il suffit de débarquer un matin à Ernest-Wallon pour assister à l’arrivée de Clément Castets sur sa trottinette électrique et aux sympathiques railleries de ses partenaires. « Je commence la journée en faisant marrer tout le monde », rigole-t-il. Il est comme ça, le jeune pilier, « un garçon si attachant » selon les mots d’Ugo Mola et Régis Sonnes, qui trimbale son sourire dès qu’il se débarrasse de son casque et de son engin. Un casque, il en portait un autre pour la première fois sur un terrain, à Montpellier. « Ordre du neurochirurgien ! Je déteste ça, j’ai essayé de négocier mais il m’a dit que c’était obligatoire au moins trois à six mois. » Car sa bonne humeur contagieuse ne laissait rien transpirer de l’enfer qu’il avait traversé et dont il était revenu en cette année 2018. Jusqu’à fouler une pelouse de Top 14 dans l’Hérault, huit mois après sa dernière apparition et avec plus de trois mois d’avance sur les prévisions initiales. « Depuis, je suis comme un gamin. Le coup d’envoi fut une libération, il a donné un sens à tous les efforts fournis. Et le premier plaquage, quel bonheur ! Si j’avais été trois-quarts, j’aurais aimé le premier ballon mais ce n’est pas trop mon truc (rires). Cette sensation de contact sur une mêlée ou un plaquage, voilà ce qui m’a le plus manqué. J’en rêvais la nuit. » 

Lui, opéré du cerveau en février pour lui enlever un cavernome cérébral, à savoir une malformation des vaisseaux sanguins. Celle-ci a d’abord été découverte en octobre 2016, à la suite d’un match avec les espoirs toulousains contre Bayonne. Castets se remémore : « Depuis mes 13 ans, dès que je prenais un gros choc sur la tête, j’avais dans la foulée des problèmes de vision. Ça s’estompait une heure après, donc ça ne m’inquiétait pas tellement. J’en avais parlé mais on me répondait : « C’est un coup, c’est normal. » Personne ne s’était jamais alarmé jusqu’à cette rencontre en espoirs. Le docteur m’a dit : « On ne va pas te laisser comme ça. » » L’IRM cérébrale révèle la malformation. Premier frisson pour l’ancien capitaine de l’équipe de France des moins de 20 ans. Vite estompé, après un mois et demi d’arrêt et les délibérations des différents médecins pour l’autoriser à rejouer. « Le chirurgien m’a expliqué que ce n’était vraiment pas grave, que seulement 5 % des gens dans mon cas s’en rendent compte. Les complications sont rares. »

Je ne voyais plus rien de l'oeil gauche

Castets reprend donc, avec succès, le cours de sa saison 2016-2017. À tel point qu’il intègre l’été suivant l’effectif professionnel et, face aux blessures de Baille et de Pointud, débute l’exercice 2017-2018 comme titulaire. Le joueur enchaîne six matchs de Top 14 et trois de Challenge Cup. Carrière lancée… Brutalement freinée le 27 janvier 2018, contre Oyonnax. « J’ai de nouveau eu des troubles de la vision. Au début, je savais ce que c’était, j’étais tranquille. Mais, à la différence des précédentes fois, les symptômes n’ont pas disparu les jours suivants. Jusqu’à un point où je ne voyais plus rien de mon œil gauche. Je me suis fait peur, j’ai appelé le médecin du club, qui m’a envoyé passer une IRM. » La tumeur avait saigné, provoquant une petite hémorragie cérébrale. « C’était le seul risque. » Verdict : intervention chirurgicale trois semaines plus tard et longue indisponibilité.

Un énorme coup dur ? Réponse déroutante : « J’ai l’impression que ça l’a surtout été pour mon entourage. Pauline, ma compagne, en a bavé. Mes parents aussi car on allait toucher au cerveau de leur enfant. Moi, je me suis dit : « Je me fais opérer, c’est un an sans rugby et je reviens. » Je ne réalisais pas, je préférais me projeter sur ma prochaine préparation physique. Quand j’y repense, j’étais perché. » Alors qu’il effectue une des premières séances avec le préparateur mental qui l’a accompagné, ce dernier tend à Castets une liste d’émotions pour connaître les siennes. « Je n’avais coché que des sentiments positifs. J’étais dans le futur, comme si je niais le présent. » Optimisme naturel ou insouciance protectrice ? « C’était de la naïveté. La seule personne à qui j’ai menti, c’est à moi. J’ai réussi à me persuader que ce n’était rien. C’était pour me rassurer mais quand je vois ma cicatrice derrière la tête, je prends conscience que c’est fou ! Récemment, j’étais chez le coiffeur et quand il m’a rasé, il a fait des yeux énormes. »

Migraine, cardio et prolongation

La panique est finalement survenue sur la table d’intervention, le jour fatidique. « Oui, au moment de l’endormissement. On m’avait prévenu qu’il n’y avait aucun risque mais quand on t’opère du cerveau… Lorsque j’ai rouvert les yeux, j’ai respiré un grand coup : « C’est bon, je suis vivant et je me souviens de tout. Le pire est derrière moi. » À cet instant précis, je me suis dit que j’avais fait 51 % du chemin et que le reste serait facile. » Avant d’avouer : « La première semaine a été très dure et la douleur m’a ramené à ma réalité. J’étais dans les limbes, ni réveillé ni endormi, et j’avais ce mal de tête. Une pression constante et immense, comme une énorme migraine qui ne part jamais. » 

Au bout de quelques jours, les douleurs disparaissent et, après plusieurs semaines, le joueur peut reprendre le cardio puis la musculation. « Psychologiquement, c’est le passage le plus simple. Je n’ai qu’à baisser la tête et m’envoyer (sic) avec Zeba (Traoré, l’un des préparateurs physiques du club, N.D.L.R.). L’opération passée, il ne pouvait plus rien m’arriver. J’ai cru le rugby peut-être fini pour la première fois, quand on m’a découvert ce cavernome. Là, c’est comme si je m’étais pété les croisés deux fois d’affilée. La progression était euphorisante même si le retour à l’entraînement a été difficile. Ce n’est pas comme le vélo, il faut réapprendre tous les gestes. » Malgré les attitudes bienveillantes autour de lui. « Le président, les dirigeants et le staff ont tous été ultra-rassurants et m’ont soutenu pour les soins et les délais à respecter. William (Servat), au moment de ma reprise, me répétait : « Si le chirurgien dit d’attendre deux mois de plus, ce n’est pas grave. Pour moi, tu as fait tes preuves et il faut te protéger. » Ces mots n’ont pas de prix. » Des paroles aux actes, le Stade toulousain venait même de prolonger son contrat. « Malgré les obstacles, je ne triche jamais, je ne lâche rien. Le club n’a pas douté de moi. » Les autres joueurs non plus : « La blessure est une aventure assez solitaire mais mes coéquipiers avaient des attentions gentilles. Un mec comme Lucas Pointud, pour qui la notion de concurrence n’existe pas, a été protecteur. Il allait voir William : « Lui, tu le surveilles. » »

Louis ne retrouvera jamais les terrains

Castets évoque alors les leçons tirées de son parcours. Quand, soudain, le débit des paroles ralentissait, le regard se perdait et le ton se faisait plus saccadé. Les yeux posés sur ses genoux, il lâchait : « J’ai deux bras, deux jambes et il y a des gens tellement plus malheureux. Certains, à mon âge, perdent la vie. Je suis un privilégié. » L’évocation était évidente et bouleversante. Le pilier avait envie de rendre hommage à son pote Louis Fajfrowski, disparu tragiquement à 21 ans le 10 août 2018, à l’issue d’un match amical avec Aurillac. « Je relativise tant ce qu’il m’est arrivé, reprend Castets. Moi, j’ai retrouvé le terrain, Louis ne le retrouvera jamais… C’était un de mes meilleurs amis. » Son coéquipier pendant plusieurs saisons dans les équipes jeunes de Montpellier et au pôle Espoirs de Marcoussis. « On était dans la même chambre, ensemble sept jours sur sept, quasiment vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Quand on m’a annoncé son décès, pendant un quart d’heure, je n’y croyais pas : « Non, ce n’est pas vrai, ils se trompent. » Puis le monde s’est écroulé. » Terrible déchirement, l’impuissance qui va avec. Une épreuve, une autre, à surmonter. « Me faire opérer dix fois du cerveau serait moins douloureux que la disparition de Louis. Mon combat le plus dur, c’est de l’accepter. Je n’imagine même pas pour ses parents, son petit frère, sa petite sœur, sa copine » D’où cette promesse : « J’essaye de l’emmener partout. Depuis sa disparition, ce que je suis ou ce que je fais, c’est aussi pour lui. Je veux que Louis continue à jouer à travers moi. Quand j’entre dans un stade, il entre avec moi. » 

Moins de deux mois après le drame, Castets était un homme marqué mais d’autant plus responsable et lucide. « Une fois qu’on a digéré le choc, le seul moyen d’en faire une force est de comprendre qu’il existe des choses si graves qu’on ne peut plus se lamenter sur son sort. Quand je pense à Louis, je sais que je n’ai pas le droit de me plaindre. Mon mentor Didier Sanchez (avec qui il travaille la mêlée depuis l’adolescence) dit qu’on se plaint de tout : « Je n’ai pas d’eau chaude, pas une assez belle voiture. » Mais 95 % des gens marchent. La seule limite, c’est notre tête, ce qu’on a envie de faire ou pas. » Lui veut avancer, vivre et profiter. Dès qu’il descend de sa trottinette au centre d’entraînement. « Moi, je suis d’abord là pour m’amuser. Le rugby est un jeu avant d’être un business. Si on ne me payait pas pour en faire, je m’entraînerais quand même cinq heures par jour. » Et s’il devait imaginer la suite ? « J’ai trop longtemps vécu dans le futur, j’aime être concentré sur le présent. »

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