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Bagarre de légende : Narbonne - Béziers 1968, querelle de voisinage

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Ce simple match automnal de challenge Cadenat fut le théâtre d’un des plus violents épisodes de la rivalité entre Narbonne et Béziers. Aujourd’hui, le scandale serait terrible.

Cette bagarre du 17 novembre 1968, on est allé la chercher loin, dans une France gaulliste et un rugby français fascinant, si tatillon par certains côtés et si laxiste par d’autres. Le RCN recevait son voisin biterrois pour le compte de feu le Challenge Jules-Cadenat Il s’était trouvé quand même 4 000 personnes pour assister à cette affiche car un Narbonne - Béziers c’était un duel de clochers par excellence et en même temps, presque un match de sélection car il y avait douze internationaux sur le terrain et encore, Walter Spanghéro n’était pas là. Narbonne vivait sa meilleure période, dans la foulée de son premier Du-Manoir. En face, ce n’était pas encore le « Grand Béziers », mais son ancêtre. Le club était entre deux générations avec des jeunes nommés Saïsset (19 ans), Martin, Astre et Cantoni (20 ans), Cabrol (21 ans) Estève (22 ans). Ce terrible match représente pour les spécialistes ce que la rivalité des deux cités a produit de pire ou de plus malsain. On en a souvent entendu parler aux Halles de Narbonne, récits épiques qui se terminaient presque toujours par la même conclusion confiée sur un ton de mélodrame : « L’anecdote du fusil. » Claude Spanghéro, acteur de la pièce diagnostique en vétéran d’une époque révolue : « J’ai déjà vécu plus violent que ça, mais c’est vrai, ce fut une partie houleuse. »

63e minute : on arrête le massacre 

Ce fut une heure de combat de rue, méchant et dangereux. 63 minutes très exactement. Pas 80, car l’arbitre catalan M. Domenjo préféra arrêter le match purement et simplement après une dernière mêlée relevée. Les plus fins analystes ont salué son petit stratagème, interrompre le débat à proximité de l’entrée des vestiaires, pour pouvoir y filer illico, tant il sentait la pression populaire monter autour du carré vert. M. Domenjo est maintenant décédé, mais en 2004, il avait expliqué sa décision dans les colonnes de La Dépêche du Midi. « J’ai senti que ce match était pollué avant même qu’il ne démarre… J’ai surtout cherché à protéger les joueurs, sous les chandelles notamment. J’ai même été blessé tandis que je tentais de séparer les belligérants. Mais ce n’est pas pour ça que j’ai décidé d’arrêter la rencontre. Non, mais c’était devenu trop dangereux. On ne peut pas jouer avec la vie des gens. Lorsque j’ai vu des joueurs si raisonnables d’ordinaire disjoncter, j’ai pris mes responsabilités. » Gérard Viard, numéro 8 international de Narbonne, maugrée : « C’est sûr que ce n’est pas lui qui aurait pu tenir les débats, il en était incapable. Je le trouvais nul, il m’avait déjà enfariné en finale de quatrième série en 1963 quand j’étais à Sigean. »
Malgré ce souvenir cuisant, on n’a pas envie d’accabler M. Domenjo car ce dimanche-là, le petit stade Cassayet s’était transformé en chaudière surchauffée mais l’atmosphère s’était viciée dès les douze coups de midi. Avant le choc Narbonne - Béziers, se déroulait un match entre les deux réserves (ou Nationale B). Cette partie-là non plus n’avait pas pu aller jusqu’à son terme. Si l’on devait comparer ce match désormais lointain à un autre « classique » du rugby western, on se tournerait vers le célèbre Toulon - Bègles de 1991. Vingt-trois ans avant, ce fut aussi un long continuum, pas le théâtre d’une grosse bagarre bien nette pour solde de tout compte, mais une vraie guérilla avec une série d’embuscades vicieuses, organisées pour blesser peut-être plus si l’on prend les propos de M. Domenjo au pied de la lettre. Viard poursuit : « Je n’aimais pas ça, mais on était bien obligés de se battre. Je n’allais pas regarder les autres, vous pensez bien. Souvent, ça partait de rien. Mais j’ai fini, déçu et pas fier de mon après-midi. Un match qui s’arrête, c’est toujours triste. »
 

Pourquoi ?  Mystère !  

Mais pourquoi ce rendez-vous a priori décontracté de Challenge Cadenat fut à ce point gouverné par la violence et la contre violence ? On a évoqué un quart de finale de Du-Manoir trop facilement gagné par les Audois (22-6) qui avait suscité un désir de revanche ? D’autres ont mis ça sur le compte d’une ambiance lourde provoquée par le retour d’Estève à Narbonne, le club qui l’avait révélé sous le parrainage des Spanghéro. Ils avaient été ses bienfaiteurs puis s’étaient plus ou moins brouillés avec lui. Les rapports étaient devenus tendus. Aux Halles de Narbonne combien de fois a-t-on entendu des regrets à ce sujet. Avec Estève dans ses rangs, Narbonne serait devenu une vraie machine de guerre. Mais les acteurs interrogés sont plus évasifs. « Non, je crois que c’est parti de pas grand-chose, comme souvent et ça s’est envenimé », poursuit Viard. Yvan Bunomo, numéro 8 de Béziers croit se souvenir que c’était parti de son coéquipier Jean Salas : « Il s’est embrouillé avec un autre et c’est parti comme ça. Mais je vais vous dire, les bagarres naissaient souvent d’un sentiment d’injustice. Les arbitres ne voyaient pas tout, la preuve ceux d’aujourd’hui font appel sans arrêt à la vidéo. C’est bien la preuve qu’ils manquent beaucoup de choses. »

Un arbitre frappé… qui continue 

Apparemment, les échanges furent très vifs d’entrée de jeu. Soyons les avocats du pauvre M. Domenjo, il fit ce qu’il put pour endiguer la vague de violence qui montait, il joua du sifflet prestement pour éviter l’embrasement redouté. Les Narbonnais, supérieurs en termes de rugby pur, jurent qu’ils ont essayé de jouer au ballon. Les Biterrois avaient plutôt choisi l’option « chandelles toutes » pour éprouver notamment Jo Maso, l’artiste, souvent objet de toutes les provocations. Un ou deux chocs à retardement et les coups commencent à se multiplier. Viard réussit à marquer un essai, mais la marmite continue à bouillir, ça bastonne vraiment. « Remarquez, sur les bagarres, on s’enrhumait plus qu’autre chose. Mais je craignais plus les mêlées ouvertes. Là, oui, je le reconnais, ça distribuait, on pouvait talonner le ballon. Les coups de pied, les coups de genou, ça arrivait vite », poursuit Buonomo. De ce magma de violence, on croit voir émerger la figure du pilier gauche de l’ASB, André Lubrano, originaire de Sète, aujourd’hui Conseiller régional. On le décrit particulièrement déchaîné en cet après-midi de novembre. « Oui, il a mis la pagaille, il a beaucoup aboyé. Il savait qu’il avait Salas derrière lui. Salas, c’était l’ancien, le gars qui était là pour sécuriser, une sorte de shérif. Il avait 32 ou 33 ans, il avait connu les premières finales de Béziers », narre Claude Spanghéro, deuxième ligne du RCN. Il doit y avoir un peu de vrai car André Lubrano fut finalement expulsé à la 38e. Et Yvan Buonomo monta aux fauteuils d’orchestre pour le remplacer. « Une photo me montre en train de donner un grand coup de pied. Elle a fait le tour des journaux, mais ce n’était que pour me protéger, je le précise. » Même les plus endurcis des spectateurs, qui en avaient vu pourtant d’autres, commencent à se dire que ce match dépasse les bornes. Les plus jeunes, yeux écarquillés, se forgent des souvenirs qui ne s’effaceront jamais. Juste avant la pause, nouvelle bagarre, et nouvelle extrémité. Raymond Canaguier, pilier de Narbonne, se relève surexcité et veut s’empoigner avec un adversaire. « C’est sûr, qu’à lui, il ne fallait pas le chatouiller », poursuit Viard. Canaguier veut en découdre. « Il a voulu balancer un coup de poing et le Biterrois s’est baissé et c’est M. Domenjo qui a tout pris, ses lunettes ont volé, je le revois en train de les ramasser sur la pelouse », poursuit Claude Spanghéro. M. Domenjo affirma qu’il avait voulu s’interposer. Midi Olympique écrivit : « Il a été sournoisement et sauvagement agressé mais il n’en continua pas moins à diriger la partie. » Imaginons la scène actuellement, les images et l’information feraient le tour du monde. Le correspondant de Midi Olympique explique ensuite que Jo Maso a été « frappé au visage » par Jean Salas. Apparemment, cette agression du centre vedette a au moins permis à Goar de porter le score à 12-3 (score final).

La légende du fusil

Le second acte n’avait bénéficié d’aucune accalmie, ce fut au contraire comme si on avait jeté du poivre dans les vestiaires de Cassayet. « Au contraire, le degré de violence est alors monté de plusieurs crans », raconte Jean-Pierre Oyarsabal, témoin du match, il avait alors 13 ans. Ça distribue tant et plus jusqu’à ce regroupement vraiment volcanique. Raymond Canaguier, alors au sol, est victime de deux coups de pied. Les 4 000 l’ont vu et la clameur de colère explose, le public vient de basculer dans l’hystérie. Groggy, le visage en sang, Canaguier sort du terrain porté par ses coéquipiers Jo Maso, Bénésis et André Belzons. Les Narbonnais (public compris bien sûr) ont identifié les coupables. Alain Estève et Jean Salas sont désignés à la vindicte et les Orange et Noir, enflammés par la sortie spectaculaire de leur ami, partent franchement en représailles. Les effusions brutales se multiplient devant un public sans filtre. Benacloi aussi est sorti sur blessure (mais pas agressé) ce qui fait que les Narbonnais sont à treize contre quatorze, les Audois poussent sur la ligne adverse. Une mêlée est sifflée tout proche de la sortie du terrain. Elle se relève encore, derniers échanges sauvages. Monsieur Domenjo, découragé, mais bon tacticien a repéré le tunnel des vestiaires tout proches siffle donc la fin. « Nous avions largement gagné, mais à partir de là, on ne les a presque plus battus. Nous étions plus forts individuellement, mais collectivement, ils deviendraient vite meilleurs que nous. Le grand Béziers était en marche », reconnaît sportivement Gérard Viard. Le match est fini, pas la corrida. Le public est en fusion. Les Biterrois… se déchaussent et prennent leurs crampons à pleines mains dans un désir d’autodéfense. Puis ils s’engouffrent dans les vestiaires. Ils en ressortiront bien plus tard. Une heure ? Deux heures ? Une chose est sûre : vingt-cinq policiers avaient été appelés en renfort pour éviter l’irréparable. Quinze CRS et dix policiers forment une haie républicaine, les Biterrois sont obligés de traverser la pelouse pour retrouver leurs bus. Malgré les uniformes, des pierres volent, les ultras Narbonnais n’ont pas encore évacué l’adrénaline qui leur est montée au cerveau. Pendant ce temps, Canaguier souffre mille maux à la clinique des Docteurs Métreau et Privat, on lui diagnostique une sérieuse déviation nasale et on lui fait des points de suture… entre les deux yeux. « Le public était remonté, ils en voulaient surtout à Salas, ils hurlaient son nom. Ils n’étaient pas plus coupables que les autres, mais vu son âge et son expérience, ils le connaissaient depuis longtemps. Je suis venu avec lui, je l’ai pris par l’épaule pour le protéger », poursuit Claude Spanghéro, en bon frère d’armes. Les Biterrois, en se protégeant le crâne, retrouvent leur véhicule lui aussi arrosé par des cailloux. Pour paître tranquille, il leur fallait atteindre « le pas du loup », zone de partage d’influence entre les deux cités. Tous les joueurs étaient montés dans ce bus assiégé sauf un apparemment, l’arrière de Béziers, Jack Cantoni, roi de la contre-attaque et futur international. Son père, Vincent ancien international treiziste, l’avait ramené en voiture. Jack confiera ensuite que le paternel avait un fusil de chasse dans son coffre. La confidence se répandit comme une traînée de poudre pour donner une touche finale à cette après-midi de folie. Touche vraiment finale, car il n’y eut absolument aucune suite à cet atroce match de Challenge Cadenat même avec un arbitre frappé. Charme vénéneux du rugby de la France des trente glorieuses. 

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