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Un jour, une histoire : Agen, un champion contre le sort

  • Le 29 mai 1982 au Parc des Princes, les Agenais Lacroix, Dupont, Dubroca et Gratton brandissent le Bouclier de Brennus, tandis que François Mitterrand, Edwige Avice et Albert Ferrasse les applaudissent.
    Le 29 mai 1982 au Parc des Princes, les Agenais Lacroix, Dupont, Dubroca et Gratton brandissent le Bouclier de Brennus, tandis que François Mitterrand, Edwige Avice et Albert Ferrasse les applaudissent. Archives SUA / Midi olympique.
Publié le Mis à jour
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Le 29 Mai 1982, le SUA des Dubroca, Erbani, Sella est sacré aux dépens de Bayonne. Au second plan, un homme poursuivi par la poisse, le troisième ligne, Christian Béguerie, héros malheureux de la soirée. Récit.

Il y a toujours plusieurs prismes pour mémoriser un match. C’est sûr, la finale 1982 est d’abord restée dans nos souvenirs comme un triomphe du SU Agen, riche d’un jeune centre d’une classe étincelante, Philippe Sella. Ce 29 mai, les Lot-et Garonnais, hyper offensifs en principe, avaient plutôt joué le contre, en profitant des attaques trop généreuses et des bourdes des Bayonnais. Mais en ce jour attristé par la mort de Romy Schneider, tout avait réussi aux Lot-et-Garonnais. Leurs contres, ils les avaient menés avec panache pour finir par un 18-9 avec quatre essais à zéro. « Nous avions été très opportunistes et c’est vrai, le désir de jeu de nos adversaires ne leur avait pas rendu service, explique Bernard Viviès, ouvreur international.

Les entraîneurs avaient bouleversé la ligne de trois-quarts en plaçant Delage à l’ouverture, Sella au centre et moi à l’arrière. Si ça avait été pour jouer gardien de but, j’aurais été réticent, mais dans notre système de jeu, je me suis éclaté. Avec des centres aussi rapides que Sella et Mothe, j’avais intérêt à anticiper pour m’intercaler eux faisaient 10, 07 ou 10, 08 aux cent mètres, moi je faisais 17, mais de tension. » Bernard Viviès est sans doute trop modeste, l’essai du talonneur JeanLouis Dupont, entre aperçu sur la toile, nous donne un aperçu de ce rugby plus délié que celui d’aujourd’hui (quel une-deux Mothe-Lavigne avec coup de pied de recentrage du premier…).

Fauché par une péritonite 

Mais derrière l’image euphorique, nous avons souvent pensé à ce match par un autre prisme, celui du destin cruel du troisième ligne Christian Béguerie, l’un des joueurs les plus malchanceux de sa génération. Quarante ans après, l’homme que nous voulions tant interroger précise d’entrée de jeu, comme pour balayer l’idée qu’il pourrait être aigri. « Vous savez, je ne retiens que le positif, et puis je ne suis pas très bavard. » Christian Béguerie a au moins vécu cette finale 1982 dans la peau d’un titulaire, en troisième ligne aux côtés de Dominique Erbani (48 sélections) et de Jacques Gratton (10 sélections) : sommet d’un parcours marqué par la poisse. Bernard Viviès se souvient : « Je l’ai connu au Bataillon de Joinville, car nous avons le même âge. Il avait fait un match énorme en demi-finale 1975 contre Narbonne, dans un rôle de puncheur, il mettait de ces percussions… »

À 20 ans, vieilli par une moustache insolente, le voilà qualifiée pour une finale. Première borne d’un parcours impressionnant : « Je venais de Layrac, d’une famille modeste de sept enfants. J’avais démarré le rugby tard, en cadets. Tout ça à cause d’une partie de pétanque perdue. Jusque-là, je faisais du hand-ball, j’avais des possibilités et quand mon entraîneur a su que je signais au rugby, il ne m’a plus reparlé. » Son potentiel éclata tout de suite, sélections chez les jeunes et cette finale 76 face à Béziers… qui ne vint jamais. « Le soir de la demi-finale, j’ai ressenti des douleurs. J’ai appelé le médecin, il m’a fait hospitaliser tout de suite à la clinique Esquirol. C’était une péritonite et j’ai vécu l’enfer et j’ai été opéré dans la foulée. Évidemment, j’ai compris que la finale s’en allait pour moi. Mais pendant la semaine, tous les dirigeants et les joueurs sont venus me voir. » Il a vécu la finale victorieuse allongé sur un lit médical, sans acrimonie : « J’étais content puisque nous avions gagné. Et puis j’étais jeune, alors et j’étais aussi heureux pour celui qui m’a remplacé, « Doudou » Conte car lui était en fin de carrière. » Le coup est dur mais supportable.

Blessé par son propre sélectionneur 

En 1979, Christian Béguerie est appelé pour la tournée en Nouvelle-Zélande : « J’avais des étoiles dans les yeux. » À Christchurch, il fait ses grands débuts, le même jour que les Codorniou, Colomine, Dintrans, Salas et Mesny. Sèche défaite 23-9. « On n’a pas cru en nous. Mais je m’étais fait marcher sur la main, entre le pouce et l’index, avec des crampons de 20 millimètres. J’ai eu la main perforée. » Le mercredi, il joue pourtant contre le Southland, il est ensuite choisi pour le second test, il vit la préparation terrible de JeanPierre Rives pour éviter le ridicule. Sans doute que sa plaie ne fut pas recousue et désinfectée comme elle le serait maintenant. Et puis la veille du match, il dit bonjour à son sélectionneur, Toto Desclaux. Il m’a dit : « Fais voir ta main. » Celuici lui serre la patte blessée, une paume en dessus, une paume en dessous, et aggrave illico la blessure. Le lendemain, la douleur était trop forte, la plaie réouverte. Il fallut prendre une décision.

Cet épisode tragi-comique est difficile à comprendre. Desclaux a-t-il voulu tester le joueur ? Faire une sorte de farce ? A-t-il été seulement imprudent ? « Je n’ai jamais su, commente Christian Béguerie, laconique. Mais sans ça, j’aurais au moins commencé le match. » C’est comme ça que Patrick Salas, pilier ou deuxième ligne, s’est retrouvé numéro 8 pour la première fois de sa vie pour affronter les All Blacks à Auckland et participer au plus grand exploit du XV de France. « Je l’ai vécu en tribune, mais j’ai été très content, je me sentais tellement bien dans le groupe, mon remplaçant a fait un super match et j’en fus heureux pour lui. J’ai loupé ça, mais c’est la dure loi du sport. Sur le moment, Jean-Pierre Rives et JeanLuc Joinel ont été extraordinaires avec moi par leur réconfort. Jean-Pierre avait une influence terrible, même quand il ne parlait pas d’ailleurs. »

Deux occasions manquées de cette taille, il faut déjà s’en remettre. Mais Christian Béguerie poursuivit sa carrière de serviteur du SUA, forcément dans l’ombre des « premiers de cordée ». « C’était un vaillant, avec lui pas besoin de se retourner pour savoir s’il était au soutien. On pouvait aller au feu », ajoute Daniel Dubroca. En 1982, à 27 ans, le voilà donc en finale du championnat : « J’étais plutôt un plaqueur, pour chasser les attaquants adverses. Mais attention, je participais aux départs en troisième ligne, on en faisait beaucoup à l’époque, plus que maintenant. Je suis frappé d’un truc, on voulait faire vivre la balle au maximum, les gars d’aujourd’hui veulent la sécuriser. Le style de René Bénésis et de Jean-Michel Mazas, c’était de tout relancer et puis Coco Delage était un tel lanceur d’attaque. Je veux aussi rappeler l’influence de Bernard Deyres, notre préparateur physique, souvent oublié, alors qu’il fut très précieux. »

Re-blessé par un coéquipier 

Cette finale survolée, on l’avait imaginée comme une revanche pour le poissard d’Auckland, sorti après 43 minutes. Naïvement, on lui demanda s’il avait participé à la victoire du Du-Manoir 1983, pour compenser encore un peu plus sa guigne et étoffer son palmarès. « Mais non, je ne jouais pas. Je me suis blessé en finale 82, vous ne ne le saviez pas ? » C’est terrible, on aurait dû s’en douter. À l’époque, on sortait rarement sur des choix tactiques. Christian Bèguerie a donc bu trois fois le calice jusqu’à la lie dans sa carrière. Quelle potion amère. « Dominique Erbani a récupéré un coup de pied adverse, j’ai couru à son soutien. Il a été plaqué et sa tête a heurté mon genou. Je me suis rompu les ligaments en quatre endroits. » Il put néanmoins faire la fête avec des béquilles : « Un motard de la police m’a même transporté jusqu’au restaurant de Montmartre où on célébrait le titre. » La soirée de libation lui fit oublier sa douleur, elle se rappela à lui les jours suivants : « Je me revois allant me faire opérer à Lyon dans la voiture d’Alain Plantefol, mon ancien capitaine. Nous étions comme des frères entre joueurs. J’ai vécu ensuite une rééducation très dure pendant un an, des exercices de souplesse et de puissance avec les kinés du club. » Un travail d’autant plus dur qu’il ne déboucha pas sur l’objectif escompté. La carrière de Christian Béguerie ne serait plus jamais la même, il ne retrouva jmais son niveau d’avant-82 : « J’ai repris en Nationale B, j’ai dépanné quelquefois en première, parfois au poste de pilier. Puis j’ai fini à Moissac pendant quatre ans. Un super souvenir. »

Son récit émouvant et modeste a tous les accents du fatalisme. « Mais vous savez, le rugby m’a tellement apporté, moi qui venais d’un milieu de travailleurs agricoles. Et qui a perdu mon père à 19 ans. Je faisais des bêtises et le père d’un copain m’a fait passer le concours d’employé de mairie. J’ai commencé par les abattoirs, j’ai pas voulu être maître-nageur, pas mon truc. Je me suis retrouvé moniteur de sports dans les écoles primaires de la ville. J’ai connu Ferrasse et Basquet des mecs francs et directs qui faisaient tout pour le club et qui ne cherchaient pas à en tirer parti pour eux-mêmes. » Au début de notre conversation, on aurait voulu l’entendre dire que ce titre de 1982 avait été son plus beau souvenir. On a compris pourquoi ce n’était pas possible. « Ma plus grande fierté, ce fut d’avoir été accepté par le groupe en 1975-1976 et par Alain Plantefol et Alain Buzzighin, de vrais dieux à l’époque. Il ne fallait pas leur prendre leur place dans les vestiaires, ils nous le disaient tout de suite, sans dureté mais sur le terrain, fallait pas qu’on me touche. »

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