Le grand écart

  • Thierry Emin et Jean-Marc Manducher
    Thierry Emin et Jean-Marc Manducher Jean Paul Thomas / Icon Sport - Jean Paul Thomas / Icon Sport
Publié le Mis à jour
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L'édito du lundi d'Emmanuel Massicard... Il est des hommes dont on pourrait jurer qu’ils ont tout écrit d’avance. Tout prévu. Parce qu’ils savent, d’abord. Et parce qu’ils sont bien entourés. Jean-Marc Manducher faisait partie de ceux-là. Homme de contact, avenant et direct. Déterminé. « C’est le genre de type pour lequel, chaque année, je me suis rendu sans réfléchir aux demi-finales de Top 14. Avec lui, on passait de vrais bons moments », nous confia jeudi un dirigeant de club devenu triste et grave. « C’est une page qui se tourne… »

L’évidence est dite : les élections à la Ligue vont bientôt faire valser les casquettes et le modèle « rugby » qu’y défendait Manducher se trouve plus que jamais menacé. Celui d’une certaine hauteur et du collectif avant tout. Derrière l’engueulade, il y avait toujours une concorde. L’ancien président d’Oyonnax avait été assez fédérateur et déterminé pour réussir à imposer l’USO sur la carte du rugby pro. Son succès et surtout la manière avec laquelle il l’a construit pourraient servir de leçons à tous les pressés de la gloire et autres confits d’orgueil qui oublient l’histoire et n’écrivent jamais que la fin…

Jean-Marc Manducher est décédé le 30 avril alors que ses pairs s’engueulaient encore autour d’à peu près tous les points d’actualité. Comme attendu, l’Etat n’a pas tranché ces sujets. Permettez-nous d’y voir un rappel à l’ordre, la fin de la récréation : il revient à la Ligue et ses clubs d’écrire la suite ; le ministère des Sports validera -ou non- les scénarios proposés à partir d’août et plus sûrement septembre.

Vous l’avez lu, le rugby a ainsi repris ses débats habituels et nous sommes loin de la mesure que pouvait avoir Manducher, de cette forme de sérénité communicative qui semblait l’habiter. Tout est bon pour diviser : on rejoue, d’accord. Mais quand, puis comment ? Et comme si cela ne suffisait pas, certains présidents militent désormais pour décaler la reprise du Top 14 à janvier. Ben voyons…

Avec toute la prudence qu’imposent l’absence de certitudes face au Covid-19 et les difficultés médicales liées à la reprise de l’activité physique, cette tentative de mettre le rugby à l’arrêt nous paraît suicidaire. Peut-on imaginer en effet que l’on pourra laisser le Top 14 et la Pro D2 dans une bulle qui les déconnecterait du monde réel, aux frais de la princesse (l’État) et sans y laisser de plumes ? C’est impossible, clairement. Comme il est également impossible de résister au huis clos, sans aide ni soutien. Les clubs l’ont assez dit. Il faudra bien les entendre, et leur tendre la main.

Pour être honnête, il n’y a pas de solution idéale. Mais, entendez-nous : ce serait une folie de supprimer le rugby pro pendant neuf mois. Parce que la nature a horreur du vide ; parce que World Rugby et les nations du sud -pour qui le Top 14 est un gros caillou dans la chaussure- sauteront sur les cases libres du calendrier et laisseront des miettes aux clubs ; parce que l’équipe de France a besoin du Top 14 pour préparer ses joueurs ; parce qu’enfin, c’est toute l’économie de notre sport qui est menacée.

La mise en pause jusqu’en décembre ne fera qu’accélérer le départ des partenaires qui auront tôt fait de trouver de nouveaux supports de communication sur le terrain de la solidarité ou de l’engagement sociétal. Voilà d’ailleurs, pour notre sport, une idée de révolution qui mériterait d’être saisie au rebond.

Le présent ne nous fait pas de cadeau : il exacerbe les traits de la réalité structurelle d’un rugby pro plus que jamais coupé en deux, entre l’économie réelle (la billetterie, le sponsoring) et virtuelle (l’argent des mécènes). Vous en voulez la preuve ? Si certains clubs vont voir leurs ressources « partenariats » fondre à près de 60 %, onze d’entre eux garderont une masse salariale à niveau, parfois supérieure. Après ça, vous irez demander aux joueurs de s’asseoir sur 30 % de leurs revenus…

Derrière un paravent de valeurs, tout le monde se planque pour mieux « flinguer » sportivement son voisin. Cette semaine n’a rien changé. Hélas si, Jean-Marc n’est plus là pour arrondir les angles.

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