« Une » du 15 juin 1987 : le prix d’une photo

  • La Une du Midol du 15 juin 1987
    La Une du Midol du 15 juin 1987
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Pour la première Coupe du monde, Midi Olympique avait envoyé trois personnes aux antipodes, les transmissions relevaient encore du safari, surtout pour les photos. Qui se souvient des charmes du « belin » ?

La première Coupe du monde de rugby en juin 1987 en Nouvelle-Zélande et en Australie, l’essai de Blanco en demi-finale… Sacré chantier évidemment pour Midi Olympique. Henri Gatineau alors rédacteur en chef se souvient très bien : « Nous y avions envoyé trois personnes, deux rédacteurs et un photographe. Ça représentait un investissement énorme, que j’avais dû faire accepter par la direction. Nous avions pu y arriver en jouant sur des partenariats commerciaux, des offres de publicité à des compagnies aériennes ou hôtelières par exemple. »

Il lui fallut aussi trancher entre les diverses candidatures, choix classique d’un capitaine de rédaction et assurance de créer des frustrations. « J’avais envoyé Henri Nayrou et Thierry Magnol comme reporters. J’avais dû trancher entre ce dernier et Jacques Verdier (futur directeur de la rédaction entre 1997 et 2017, N.D.L.R.). J’avais préféré le journalisme de terrain et de réseau à la qualité d’écriture. Ce fut mon critère et je l’ai expliqué à celui qui n’est pas parti, en lui disant : tu as le droit de penser que je me trompe, mais tu n’as pas le droit de penser que ma décision n’est pas honnête. » L’idée que Jacques Fouroux, sélectionneur des Bleus avait fait pression à cause d’une fâcherie, plana un temps sur ce choix, ce qu’Henri Gatineau dément totalement. Il arbitra entre le style et l’info : les deux mamelles d’un journal de qualité.

Évidemment, en trente-trois ans, les moyens de communication et de transmission ont été révolutionnés. Pour les photographes, faire parvenir une image relevait presque du safari ou du sacerdoce. Le numérique et l’informatique n’avaient pas encore fait leur entrée dans le monde des médias, ni les téléphones portables d’ailleurs. « D’abord, je travaillais avec des bobines, des 36 poses, j’en avais toujours sur moi dans des sortes de cartouchière. J’étais au bord du terrain avec deux boîtiers : un pour la longue portée, un pour la courte portée. Le truc, c’était qu’il ne fallait jamais arriver à la fin d’une bobine, pour être sûr de ne pas se faire surprendre par une action. Ensuite, après le match, je partais pour toute expédition. J’étais allé à Sydney dans les locaux de l’agence AP avec qui nous avions de bonnes relations. Dans ces cas-là, il faut savoir qu’on ne s’occupait de rien soi-même. On confiait notre bobine au personnel de AP qui les développaient, j’étais dans une sorte de salle d’attente. On venait me chercher, je choisissais trois ou quatre négatifs. On me les tirait sur papier. Et je pouvais enfin les transmettre. »


« Les joueurs n’avaient pas la langue de bois »

Pour les envoyer aux antipodes, il fallait utiliser un appareil aujourd’hui dépassé, à l’époque providentiel. Le belinographe dit « belin », invention géniale des années 1900. Cette machine permettait à l’image de passer, point par point, par les lignes du téléphone, tout ça en faisant tourner un rouleau : « Mais il fallait attendre d’avoir la ligne, ça pouvait prendre une heure et demie, il y avait du monde avant moi. Ensuite, il fallait compter un quart d’heure de transmission par photo. C’était cher, mais je ne payais pas la communication, on fonctionnait par PCV. Mais je ne pouvais pas en envoyer plus de deux ou trois. Entre la fin du match et le moment où la photo arrivait, il s’écoulait quatre heures environ, en comptant le temps du trajet en taxi ou dans la voiture d’un collègue. » Voilà à quel prix fut transmise la photo du fameux essai de Serge Blanco : « J’étais à quatre mètres de lui. » Le décalage horaire était alors favorable à Alain Lafay, surtout pour une demi-finale jouée un samedi. « Mais nous arrivions toujours après l’AFP. Son photographe regagnait sa chambre d’hôtel dont il avait transformé la salle de bains en laboratoire. Il s’y livrait à quatre opérations : révélateur, fixateur, lavage et séchage. Un quart d’heure de boulot par photo. Mais il avait son propre belin pour transmettre. »

Serge Blanco ballon en mains lors de cette Coupe du monde 1987
Serge Blanco ballon en mains lors de cette Coupe du monde 1987

Les joueurs étaient-ils accessibles en ces temps de rugby amateur ? « Oui, on faisait à peu près ce qu’on voulait avec l’équipe de France, tout le monde était très abordable, même si Fouroux m’a beaucoup impressionné et beaucoup marqué. Je me souviens que les Ecossais aussi avaient été très sympathiques, à l’entraînement, je leur avais demandé quelques trucs particuliers et ils l’avaient accepté. »

Et les All Blacks alors ? « Non, ils étaient durs d’accès et je me souviens qu’ils demandaient très vite de l’argent. Mais pour toutes les équipes, il y avait une fenêtre qui s’ouvrait juste avant les matchs, à la fin de l’échauffement. On pouvait leur demander de poser, et même d’avoir une photo d’équipe vite fait, même s’ils n’avaient pas encore le maillot. »

Et les rédacteurs, comment transmettaient-ils ? Pas d’ordinateurs, pas de wi-fi, pas d’internet… Le moyen principal c’était le téléphone. Thierry Magnol témoigne : « Il fallait dicter ses articles à une secrétaire, tout simplement. Mais 1987 avait aussi marqué l’arrivée du fax, qu’on utilisait de façon modérée. » Henri Nayrou avait connu la période des « câbles » en 78 et 84 ; « Quand je courais à la poste centrale d’Osaka ou d’Auckland. Mais je pense qu’en 1987, c’était fini. Mais les communications téléphoniques coûtaient cher évidemment, je pense qu’il y avait aussi un système qui me permettait de relier ma machine à écrire aux lignes téléphoniques et que le journal recevait des télex. »

Pour les deux plumitifs, la proximité avec l’équipe de France était énorme : Thierry Magnol reprend : « On les approchait facilement, on montait même dans leur bus, on logeait très près d’eux. Les joueurs n’avaient pas la langue de bois, on assistait aux entraînements entrait dans les vestiaires. Mais 1987 a marqué un tournant : après certains matchs, l’organisation néo-zélandaise nous a empêchés d’aller dans les vestiaires. Scandale. À Wellington, ça s’est terminé à coups de poing. »

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