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Les grandes bagarres : Lavelanet-Nice, l’apothéose du rugby-western

  • 1972 : Lavelanet - Nice, un après-midi de chiens !
    1972 : Lavelanet - Nice, un après-midi de chiens ! DR
Publié le Mis à jour
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Un match ? Un combat de rue plutôt qui, en plus, fut relayé par la télévision. Se repencher sur cette rencontre qui fit scandale, c’est revisiter l’histoire de notre sport, zone de non droit ou espace de liberté selon les points de vue. Ce texte est une version allongée de l'article paru dans Midi Olympique du 6 avril. 
 

On peut dire que Sports Dimanche avait fait le bon choix… L’émission de l’ORTF avait envoyé des caméras pour faire de ce Lavelanet — Nice son match du jour. C’est pourquoi la France entière avait vu les images, en différé. Quelques minutes avec des commentaires consternés de Loys Van Lee, ponte du journalisme. L’arbitre, M. Comte, avait arrêté le match à la 58e minute. Événement exceptionnel.
« On a tout de suite compris qu’on allait passer pour des méchants », se souvient Jean-Claude Ballatore, pilier de Nice. « Si j’avais dû jouer un second match comme celui-là dans ma vie, j’aurais arrêté immédiatement le rugby. Ce jour-là, ça a été très… très dangereux. Mais, avec le recul, je pense que ce combat de rue, car ce fut cela, a été fondateur. Nous avons été exemplaires dans la solidarité et le courage. Des vertus qui susciteront l’admiration de la génération des jeunes Niçois qui nous succédera… » Le journaliste Jean-Pierre François était un témoin direct de cet après-midi de chien : « La télé a servi de caisse de résonance. Elle en a fait une sorte d’étalon dans l’échelle de Richter des matchs violents, même s’il y en a eu bien d’autres. » Il ajoute : « J'ai même failli être pris à partie en fin de match, car des supporteurs lavelanétiens m'avaient pris pour un dirigeant niçois. J'avais les cheveux longs, un blazer avec un écusson à l'anglaise. Ca me donnait un côté dandy qui les surprenait. Le correspondant du Midi-Olympique a calmé tout le monde en disant : « Non, c'est un Ariègeois.... ». L'un des multiples événements de cet après-midi de chien, énorme règlement de compte entre deux bandes prêtes à en découdre.Nice était une équipe spéciale qui venait d’accéder à l’élite, bâtie par le président Méarelli autour d’une escouade de transfuges toulonnais. Ils avaient migré vers l’Est dans le sillage d’André Herrero. C’était de vrais corsaires, qui n’avaient peur de rien : Daniel Herrero, Jean-Claude Ballatore, Daniel Hache, Michel Sappa, Nono Vadela (que ceux qu’on a oubliés nous pardonnent). Méarelli essayait d’implanter le rugby dans une grande ville tournée vers le foot. Un peu comme le Stade Français vingt-cinq ans plus tard. A noter que André Herrero, 34 ans, ne jouaient pas dans cette période, mais entraînait.
En face, Lavelanet incarnait ces fiefs typiques, petite cité innervée par l’industrie du textile, dont le club tirait tout son dynamisme. Il avait sa petite réputation avec les André Lannes, une vraie terreur, Christian Taffine, Jean-Louis Vedel, Roger Marquis, Louis Mounié et même un international anglais Roger Shakleton, recruté par l'entreprise Thierry. Les frères de la Côte contre les Tisserands. « Il y avait l'idée que personne ne venait gagner à Lavelanet à ce moment-là. On avait une de ces mêléees.... Même Raoul Barrière était venu nous voir par cusriosité à l'entraînement. » dit Christian Taffines, « patron » de ce pack.

Mais pourquoi cette animosité ? « C’est une longue histoire, rappelle André Lannes. Deux ans plus tôt, juste avant un Toulon — Lavelanet, j’ai eu le malheur de répondre à un journaliste du Sud-Est qui me demandait ce que je pensais du Toulonnais Gruarin par rapport au Bayonnais Iraçabal, en concurrence pour l’équipe de France. J’avais rencontré les deux alors, honnêtement, j’avais dit que Gruarin était meilleur au ballon et que Iraçabal était plus fort en mêlée. Pas plus… Qu’est-ce que je n’avais pas dit… Arrivé à Toulon, j’avais été harcelé dans ma chambre d’hôtel, des menaces, des insultes… J’avais débranché l’appareil. Sur le terrain, le public m’avait hué. Les Toulonnais ne m’avaient pas touché. Mais à la gueule, ils m’avaient dégonflé. Je n’avais pas été moi-même et j’avais eu honte. J’avais envie d’une revanche. » André Lannes, deuxième ligne à la force terrible et au tempérament de justicier, s’était promis des choses à lui-même. Quand il recroiserait ces Toulonnais au regard d’acier et au verbe fleuri, il leur montrerait de quel bois il se chauffait. « C’est arrivé une première fois en septembre 1972 en challenge de l’Espérance, même s’ils portaient cette fois un maillot niçois. Ce fut déjà très chaud. Je suis sorti sur civière et… j’ai pris des cailloux. Je n’ai pas su s’ils venaient du public ou des joueurs. C’est vous dire si j’étais remonté pour le match de championnat qui suivait, chez nous, quinze jours plus tard… »

Un expulsé qui revient pour se battre

Évidemment, les Ariégeois avaient donné rendez-vous aux Niçois : « Tu viendrrraas, toi, à Paul-Bergère… » Chrstian Taffines poursuit :  « Ils avaient ouvert la pommette à Andre Lannes. Sur la touche, André Herrero en avait fait des tonnes. Je l'avais prévenu  que ce serait chaud au retour et je l'avais défié de mettre le maillot et de venir en personne sur le terrain. »

Le public, 3 000 personnes environ, était chauffé à blanc. « Ils étaient surexcités à l’image d’une dame de 80 ans, Élise, supportrice emblématique… » reprend Jean-Pierre François. Jean-Claude Ballatore ajoute : « Aucun hôtel du coin ne nous avait acceptés. On avait dormi à Carcassonne. Le midi, le restaurateur nous avait mis en garde. Dans les vestiaires, notre capitaine Hache nous avait dit : « Je viens de faire le toss, je vous préviens, ils sont très chauds… » Ces mots résonnent encore dans ma tête avec l’odeur de vaseline. Notre coéquipier, Roger Fabien, régional de l’étape, a dit soudain : « Je nous trouve un peu mous, les gars. » Je lui ai répondu : « Tu vas voir si on sera mous. ». »
Nice entre en premier et subit les insultes de la foule. Les Lavelanétiens entrent à leur tour. André Lannes croise le regard de ses adversaires, déjà dans le match, comme dans un état second. Ballatore commente : « C’était un plaisir d’aller dehors avec cette équipe. Nous avions une confiance éperdue les uns dans les autres. L’intensité est montée naturellement. Quand le public nous a sifflés, notre pacte de solidarité s’en est trouvé raffermi. »

À partir de là, les récits épiques se croisent et s’entrecroisent : « Nous avions appris deux heures avant que la télé était là. Ça nous a un peu retenus, j’ai toujours pensé que les Niçois ne le savaient pas », commente Louis Monié, ouvreur de cette équipe. Taffines ajoute : « C'est vrai, quand on a appris que la télévision était là, j'ai décidé un changement de tactique. J'ai demandé à ce qu'on les excite verbalement sans les agresser les premiers. On voulait leur faire perdre les pédales. Je crois que c'est ce qui s'est passé.  J'ai su plus tard, par le restaurateur de Larroque d'Olmes chez qui je m'étais marié qu'ils s'étaient préparés comme des fous dès le repas de midi et que André Herrero tournait autour de la table en leur disant : ça va être la guerre.»

Ballatore narre : « Pénalité pour nous. Je demande à Claude Lacaze de taper une chandelle. Pour apaiser les choses, il a préféré taper en touche. Alors on y est allé pour choper chacun le sien. Je ne sais plus pourquoi, notre sauteur Michel Sappa s’est trouvé à l’écart de la bagarre, peut-être avait-il été lobé (ou alors il avait vraiment pris le ballon, N.D.L.R.). Il est arrivé en courant pour rattraper le temps perdu. Et là, l’arbitre le sort. Nous sommes allés lui dire : « Fais attention, tu déséquilibres les débats, on va être obligés d’en sortir un nous-mêmes. » Il nous a menacés d’une nouvelle expulsion. On lui a répondu : « On va en sortir deux alors… ». » L’heure n’était pas aux débats tactico-techniques. André Lannes, déjà chaud, assiste alors à un spectacle inédit : « Jamais on a pu faire rentrer Sappa aux vestiaires. Il est resté sur le bord de la touche, très excité et il est revenu sur le terrain pour se mêler à chaque bagarre. » Monié poursuit : « Shackelton a balancé une chandelle, personne n’était à la réception de leur côté. Le ballon a rebondi, Maratuech a marqué. C’est bien la preuve qu’ils n’étaient pas trop tranquilles. » Ainsi fut marqué le seul essai de cette petite campagne militaire avec ses escarmouches, des charges, des affrontements massifs, des corps-à-corps. Christian Taffines confirme : « Je me souviens de cette essai, on les avait provoqués, insultés. J'ai compris que personne ne voulait trop se risquer sous la chandelle. »

Jean-Pierre François évoque « un souvenir saisissant : une bagarre générale, 28 gars qui s’expliquent à coups de poing et derrière, deux gars au pied des poteaux, Claude Lacaze et Roger Shackleton qui discutent en attendant que ça se termine. » Deux intellos pacifistes, comme des généraux qui observent le combat à la jumelle.

La légende du flingue

De ce règlement de compte magistral, une idée émerge. Les Lavelanétiens ne s’attendaient pas à une telle détermination des Niçois à l’extérieur. Une figure surnage dans les récits : Daniel Hache, international B, Chevalier Bayard du baston. Virilité portée en sautoir. « Sur les sorties de mêlée, il esquissait un départ avec son numéro 9, avant d’aller directement distribuer des coups de pompes à nos joueurs… » évoque André Lannes, lui aussi au four et au moulin. « Fallait les entendre, les insultes : conn…, enc… Je n’ai pas eu souvent peur dans ma carrière, ce n’était pas dans mes gênes. Disons deux ou trois fois, dont ce jour-là, en fin de match. Je me suis vraiment demandé où on allait. » Il faut faire confiance à ce témoin privilégié, à la peur si rare. S’il s’est posé des questions, c’est que la situation avait vraiment dégénéré : « Vous imaginez, des joueurs qui en plein terrain vont chercher une chaîne qui d’ordinaire fermait un portail du stade… » Visiblement, ça tournait salement au vinaigre sous les horions d’une foule surexcitée. D’ailleurs la gendarmerie avait dépêché une patrouille sur place.
Au comble de la tension, un geste sidérant, point d’orgue d’une journée de folie. Un joueur niçois s’approche d’un pandore* et lui réclame son flingue… Lannes l’assure : « J’ai vu la main sur la sacoche. J’ai entendu sa voix qui disait : « P…, passe-moi ton soufflant. Je vais les faire reculer à ces c… ards. ». » Les récits ne sont pas clairs. Trois ou quatre avants niçois sont suspectés de cette initiative inouïe. A-t-elle vraiment eu lieu ? « Oui » jure encore Lannes. « En plus, le flic, je le connaissais. Il s’appelait Sabatier, il était de Puisvert. Il vient de nous quitter. » On a raconté ensuite que le joueur avait tenu en respect la foule des supporters et des joueurs avec le pistolet Pamac 50. Certains nous ont servi une variante : ça se serait passé devant le bus, un peu plus tard. « Vous imaginez ça ? Un gendarme se laissant dérober son arme ? Ce n’est pas sérieux », tranche Ballatore. On opte donc pour un acte de dissuasion, juste une main sur la sacoche. Mais avec assez de détermination pour lancer une onde de choc dans tout le stade.
On comprend que l’arbitre ait préféré siffler une fin prématurée. Ballatore : « Oui, on est sortis assez fiers d’avoir répondu à la demande des Lavelanétiens. J’ai le souvenir de les voir rentrer en courant dans les vestiaires. Je me souviens d’un pilier nous disant : « Arrêtez de ne frapper que moi. » On lui avait répondu : « Il n’y a que toi qu’on arrive à attraper. ». » Pour les Niçois il fallait ensuite sortir des vestiaires et retrouver le bus. « On s’est placés comme une armée romaine, pour fendre la foule qui nous attendait près de notre bus. » Chaque Niçois avait un sac, bien sûr,. La vox populi affirma qu’il y avait une chaîne ou un nerf de bœuf à l’intérieur. Moment de tension suprême. « Les gendarmes étaient toujours là. Il y a eu une bousculade. Des képis ont volé », reprend Jean-Pierre François. Des pierres aussi. « On avait mis nos sacs contre la vitre arrière pour ne pas qu’elle explose », continue Ballatore. 
Le troisième ligne Gérard Verdoulet avait donné sa version dans les années 90 à un confrère : « La sortie des vestiaires aussi avait été épique. Nous étions restés en short nous avions juste passé nos chaussures de ville. Nos crampons, inous les avions noués ... aux mains! Les dirigeants étaient derrière nous , façon tortue romaine. Et en avant pour affronter le public qui nous attendait massivement. on couche le premier rang, puis le deuxième. Ça a commencé à s'éclaircir et on a pu arriver au bus. Mais le bus, il n'avait plus de vitres! Toutes cassées! On n'a pas eu chaud pour revenir chez nous !"

Les Niçois prirent le chemin du retour sans trop s’en faire, habitués aux accrochages de ce rugby « zone de non-droit ». Mais l’effet loupe dévastateur de la télé avait agi. « Les images nous ont sauvés, elles ont montré que les Niçois avaient exagéré. Nous n’avons pas été trop sanctionnés », poursuit Lannes. Oui, c’est Nice qui a chargé. Cinq points en moins, des suspensions en rafale. Côté Lavelanet, victoire 9-6 acceptée et petite suspension de terrain. Les Niçois ont sans doute été privés d'une possible première place de la poule et d'une qualification. Et qui sait ? Cette saison 1972-73 était une année à surprises, Tarbes s'est retrouvé champion.et les Niçois auraient eu tout à fait leur chance. Dans Midi Olympique, Raymond Sautet signa un article au vitriol resté célèbre, pointant du doigt une sainte trinité : Sappa « à la conduite scandaleuse », Vadella mais aussi Hache, tout en lui reconnaissant une forme de courage à combattre à un contre quatre. Le centre Carreras n’avait pas donné sa part au chien non plus. Louis Monié conclut : « Sportivement, ils étaient plus forts que nous. Dans des conditions normales, on aurait sans doute perdu. Au niveau de la bagarre, on ne s’est pas dégonflés, mais ils nous ont impressionnés, c’est vrai. Ceci dit, nous n’étions pas au complet, il nous manquait quelques éléments très chauds. »

André Lannes avait tenu son rang bien sûr, dans cette bastonnade. Il conserve de cet affrontement homérique un petit regret : « La FFR avait les images, que sont-elles devenues ? Personne ne les a vraiment revues depuis. » L’hydre You Tube en restitue quelques secondes au cœur d'un documentaire d'information de l'époque sur les brutalités du rugby. Effectivement, ça déménage. Le climat de peur est renforcé par la vitesse à laquelle l'arbitre court directement vers les vestiaires après le coup de sifflet final. On rappelle que c'était un match de première division.

La cassette ou le rouleau de pellicule dort peut-être dans un carton, s’ils ne se sont pas perdus dans un déménagement. Faut-il les exhumer ou laisser courir la légende noire et les récits canailles ?

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