La révérence de la référence
Guy Novès, le plus titré des entraîneurs français vient d’annoncer sa retraite. Retour sur un parcours exceptionnel et une personnalité hors norme.
Apprendre que Guy Novès arrête sa carrière, c’est d’abord voir sa propre vie défiler, depuis ce 5 février 1977 où pour la première fois, nous avions entendu son nom, dans la bouche de Roger Couderc. C’était juste avant le France — Galles, première levée du grand chelem. Un match qu’il aurait dû jouer avant qu’une blessure le crucifie. Le grand héraut d’Antenne 2 avait tenu à lui rendre hommage : "Le jour de son anniversaire…" La date nous est toujours restée en mémoire. La dernière fois que nous l’avons croisé, c’était toujours en février, le 14, quarante-deux ans plus tard. Dans cette salle du conseil des prud’hommes de Toulouse où il faisait valoir ses droits après avoir été "débarqué" de son poste de sélectionneur par les caciques de la FFR.
Sa silhouette n’avait pas tellement changé au fond, quasiment toujours aussi noueuse, comme un cep de vigne. Ce corps d’ancien demi-fondeur sans laisser-aller apparent, incarnation physique d’une personnalité hors-norme. En costume cravate, comme il l’avait si souvent fait en survêtement, Guy Novès exprimait alors via son avocat, ce qui l’a toujours porté : cette détermination en acier trempé, cette obsession de ne rien lâcher, et de rendre coup pour coup. Un mantra clairement formulé lors de son entretien à France 3 : "Je serai apaisé lorsque les gens qui m’ont fait souffrir souffriront à leur tour."
Entre ces deux dates, le Toulousain a vécu tellement de choses, douze Boucliers de Brennus (dont dix comme entraîneur), quatre Coupes d’Europe, record du Biterrois Raoul Barrière enfoncé. Évoquer ce parcours sans précédent, c’est se poser la question de la définition même du métier d’entraîneur, entre la part réservée au technicien et au meneur d’hommes. On a souvent expliqué que Guy Novès donnait la pleine mesure de son talent dans la deuxième fonction, mais bien sûr il n’aimait pas trop qu’on sous-entende qu’il avait délaissé la première.
Une emprise incroyable
Pour avoir évoqué à plusieurs reprises son règne avec des Toulousains, on reste fasciné par son aura. Même ceux qui ne se sont pas toujours entendus avec lui rendent hommage à cette force, ce charisme si particulier de celui qui, quoi qu’il arrive, ne reculera pas. Beaucoup avouent qu’il leur serait impossible de s’opposer frontalement à lui. Question de respect, de crainte, de reconnaissance aussi vis-à-vis de celui qui les avait tirés vers le haut. C’est l’avantage des entraîneurs aussi longtemps attachés à un club. à Toulouse, Guy Novès avait de l’influence, de l’emprise même sur ses troupes. Il savait pénétrer dans les cerveaux pour y toucher les points sensibles. Dans notre mémoire, ne défilent pas des scènes de harangues magistrales à l’ensemble du groupe, mais des conciliabules à voix basse avec tel ou tel joueur : des arguments précis, référencés, forcément préparés très à l’avance : "Tu as vu ce qu’il a dit sur toi ? Tu te souviens de ce moment ? De ce crochet qu’il t’a infligé ?" Guy Novès actionnait les ressorts les plus intimes de l’orgueil humain. Nous l’avions compris à la mi-temps d’un quart de finale du championnat de 1988 perdu face à Toulon (21-9). Les joueurs restaient sur la pelouse à la pause et la télé laissait traîner ses micros. Au milieu des discussions enfiévrées pour redresser la barre, il avait asséné d’une voix claire, faite déjà pour aiguillonner : "Ils en veulent plus que nous." C’était sa dernière saison en tant que joueur.
L’art de marteler les messages
Nous avons apprécié le verbe "novèsien". Il n’avait sans doute pas la verve naturelle d’un Fouroux ou d’un Etcheto, mais le boss des Toulousains savait comme personne marteler ses messages, avec un sens de l’obstination et un soupçon de mauvaise foi assez inégalable. "Nous ne sommes pas favoris. On ne peut pas lutter avec les autres, on a trop d’internationaux français." Au final, ça produisait des discours d’après-match dépourvus de fadeur, sur lesquels on pouvait construire et raisonner. Il nous avait bluffé un après-midi d’été 2013, à Bordeaux après une courte défaite face à l’UBB quand il avait ouvert son ordinateur portable pour nous détailler image par image quelques errements de l’arbitre. Pour finir par un adjectif bien ciselé : "À ce moment, là, ça devient… risible." Canal + avait zoomé la scène, inoubliable. Le staff adverse n’avait pas apprécié, mais ce jour-là, Guy Novès, faisait son boulot, à fond, et la communication en faisait partie. Un bon théâtre pour sa rouerie.
Au fil des années, il avait d’ailleurs acquis son propre sens de la formule ainsi qu’une certaine facilité de répartie dopée par l’assurance conférée par le succès. Avec les médias, il savait varier les angles pour se rendre séduisant, même s’il ne refusait pas le duel avec les organes de presse qui l’avaient égratigné. Avec certains, dont Midol, il y eut parfois de vrais orages et quelques psychodrames, comme des matchs qui se joueraient en coulisse.
Entre ses débuts de coach (1988) et la fin (2017), il dut s’adapter à un nouveau rugby. L’évolution fut surtout prégnante à Toulouse, il lui fallut gérer des équipes avec moins de gars formés au club, beaucoup plus d’étrangers, plus de joueurs de passage soumis aux aléas du professionnalisme, de ses contrats, de ses plafonds salariaux. Mais envers et contre tout, Guy Novès sut toujours maintenir cette effervescence, cette ébullition pour tirer tout le suc de ses groupes. Certains assimilent ça à de la paranoïa, sur le ton du "seul contre tous", cette antienne qu’il parvenait si souvent à transmettre à ses joueurs avant les matchs les plus importants. C’est une interprétation et elle n’a rien de négatif, au contraire. On l’imagine bien reprendre les propos de Phlip K. Dick, l’écrivain américain de science-fiction : "Dans la vie, on est trop souvent parano ; mais quand on vérifie, on se rend compte que, neuf fois sur dix, on a eu raison de l’être."
Mais si l’on devait donner un dernier coup de projecteur, au parcours de Guy Novès, on éclairerait sa phase la moins médiatique, presque comme dans un univers parallèle à la P.K. Dick d’ailleurs. Malgré ses obligations au Stade toulousain, il a longtemps continué à exercer les fonctions de professeur de sports au collège de Pibrac, dont il patronnait l’équipe de rugby. Avec des élèves non sélectionnés, il y gagna aussi des titres de champions de France, scolaires, sans ramdam médiatique, avec toujours cette même volonté chevillée au corps, alors que rien ne l’y obligeait vraiment. Son rôle le plus touchant.
819
C’est le nombre de match coachés par Guy Novès avec le Stade toulousain.
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