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Pichot : « Cette lutte pour son petit pouvoir, c’est l’histoire du rugby… »

  • Tournoi des 6 Nations 2019 - Bernard Laporte (président de France Rugby) et Agustin Pichot (vice-président de World Rugby)
    Tournoi des 6 Nations 2019 - Bernard Laporte (président de France Rugby) et Agustin Pichot (vice-président de World Rugby) Icon Sport - Icon Sport
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Samedi matin, en amont du match entre l’Argentine et le Tonga, l’Argentin, Agustin Pichot, et vice-président de World Rugby nous a reçus. L’occasion pour lui de répondre à ses détracteurs, de détruire le concept de "project player" et d’évoquer son avenir à moyen terme.

Il y a quelques mois, vous lanciez le projet de Ligue des Nations, qui a depuis capoté. Pourquoi jugiez-vous alors que ce projet était le bon ?

L’idée est très ambitieuse. Mais elle allait à l’encontre de beaucoup trop d’intérêts dans le monde du rugby ; certains pays se sont alors élevés contre. Mais moi, je suis là pour faire grandir et développer le rugby, pas pour protéger les six nations les plus fortes.

Concrètement, qu’avez-vous fait pour aider les petites nations depuis votre entrée à World Rugby en 2016 ?

Mon combat de dirigeant, il a d’abord commencé avec l’Argentine après le Mondial 2007. Nous n’apparaissions dans aucun calendrier, tout le monde se foutait de nous. Nous avons intégré le Four-Nations puis j’ai constaté que le problème était le même pour les États-Unis, le Canada ou l’Uruguay. J’ai alors créé l’America Rugby Championship. Et ainsi de suite… Derrière ça, j’ai essayé, avec la Ligue des Nations, de monter quelque chose de plus ambitieux. Mais les pays du Nord ont dit non. Il va falloir se revoir et trouver une solution dans les mois à venir.

Vous n’avez pas entièrement répondu à la question : en quoi la Ligue des Nations était-elle profitable au rugby ?

Déjà, elle aurait permis de sauver des fédérations en danger. Je ne vous apprendrai rien en vous disant que celles du Sud (Australie, Nouvelle-Zélande, Argentine et Afrique du Sud, N.D.L.R.) sont en grande souffrance, d’un point de vue économique. Mais surtout, la Ligue permettait d’être en accord avec ce qui avait été convenu au congrès de San Francisco au sujet de l’harmonisation d’un calendrier mondial. La clé est là : le rugby manquera toujours de lisibilité et de crédibilité aux yeux du grand public sans un calendrier réellement cohérent.

Pourquoi cette opposition des nations du Nord ?

Certaines fédérations craignaient une relégation, au profit de la Géorgie, l’Espagne ou la Roumanie. Mais les relégations, les risques et le danger, c’est l’essence même du sport ! (il marque une pause, soupire) Mais cette lutte pour contrôler son petit pouvoir, c’est toute l’histoire du rugby…

Vous parlez de promotion et relégation. Pourtant, quand le projet a été présenté, on vous avait reproché de vouloir laisser les petites nations à la porte…

Là-dessus, c’est Dan Leo (le représentant syndical des joueurs du Pacifique) qui s’est lourdement trompé et derrière, on s’en est expliqué. […] Il a toujours été question de relégations et de promotions dans mon projet. Et si l’Argentine avait dû descendre pour laisser sa place au Tonga, je l’aurais accepté. Parce que c’est ça, le sport.

Certes…

Vous me croyez assez bête pour dire d’un côté au Brésil, aux Fidji ou à la Géorgie que je veux qu’ils grandissent et d’un autre côté, faire le contraire ? Vous croyez que j’aurais pu dire aux Samoans ou aux Espagnols : "Ok, les gars. Vous êtes sympa mais on va faire une Ligue entre nous, on se revoit dans douze ans !" Le procès qu’on m’a fait est ridicule. Dans ma vie, j’ai toujours voulu que le rugby grandisse.

Y a-t-il un plan B ?

(il sourit) J’y travaille. Il me reste sept mois en tant que vice-président de World Rugby. Je vais continuer à batailler. Car la crise que traverse le rugby international n’a pas disparu en six mois. Je le répète, les nations du Sud sont en danger et ne peuvent plus retenir leurs joueurs au pays. Le Super Rugby aura-t-il un intérêt sans Beauden Barrett, Emiliano Boffelli et tous les autres ? Qui pourra-t-il intéresser ?

Cet échec provisoire pourrait conduire à une concentration des talents vers le Nord et les pays les plus riches, comme c’est le cas au football. Vous êtes-vous préparé à ce que l’Angleterre, la France, les États-Unis, le Canada ou le Japon aspirent un jour tous les meilleurs rugbymen de la planète ?

Mais ce ne serait pas comme au foot, ce serait bien pire ! Au foot, il y a six ou sept championnats très forts au Nord : l’Espagne, l’Angleterre, l’Allemagne, la France - depuis l’arrivée des Qatari au PSG - l’Italie et même les États-Unis, où l’on peut aussi très bien gagner sa vie. Où en est-on au rugby ? Sortis du Premiership et du Top 14, qui sont très forts, il n’y a rien. Si tous les meilleurs signent dans les cinq prochaines années en France et Angleterre, l’équilibre sera brisé. Le rugby ne voudra plus rien dire.

C’est inquiétant…

Oui, très. Tout le pouvoir sera alors concentré dans deux pays, les clubs contrôleront tout et surtout la libération des internationaux. L’Argentine, le Tonga et beaucoup d’autres ne verront plus leurs joueurs. a, c’est dangereux.

Que vous inspire la pression qu’exercent certains clubs sur les Polynésiens, au moment des grandes compétitions ? Comment éviter ce chantage au contrat ?

Moi, je comprends qu’un mec quitte les Samoa ou le Tonga pour rejoindre l’Europe et avoir une vie meilleure. Mais la loi n’est pas encore assez forte pour aider ces rugbymen-là à jouer aussi pour leur pays quand celui-ci a besoin d’eux. Ce règlement, il faut le durcir.

Concernant la Ligue des Nations, on aurait pu craindre néanmoins qu’elle n’ôte tout son intérêt à la Coupe du monde…

Je ne suis pas d’accord. Le Mondial est un événement disputé dans un seul pays et sur sept semaines. Cela n’a rien à voir avec ce que nous proposions et qui s’étalait sur toute une saison.

Ces dernières années ont vu la multiplication des "project players", des joueurs recrutés très jeunes et élevés dans le but de défendre, trois ans plus tard, les couleurs de leur nouveau pays. C’est par exemple le cas de l’Irlandais CJ Stander. Quel est votre avis là-dessus ?

Je n’aime pas ça. Déjà, ça fragilise le pays d’origine. Et puis, les gens s’identifient-ils vraiment à ces "project players" ? Je ne sais pas. Je pose la question. Moi, je ne connais pas Devin Toner (le deuxième ligne irlandais). Mais quand j’ai vu qu’il avait perdu sa place en Coupe du monde parce qu’il fallait en faire une à un "project player" (le natif d’Afrique du Sud Jean Klein), j’ai eu de la peine pour lui. Et je me fous de ne pas être populaire en Irlande ou auprès de Joe Schmidt (le sélectionneur irlandais). Il est payé pour gagner, alors il défend son système.

Jusqu’ici, la Coupe du monde a été quelque peu hachée par des décisions arbitrales sur la régularité de tel ou tel plaquage. N’en fait-on pas trop ?

Non, la sécurité des joueurs est la priorité des priorités. On n’en fera jamais trop. Et tant pis si l’on nous reproche d’aseptiser le jeu. Les terribles accidents qui se sont produits en France l’an passé ont réveillé tout le monde.

Allez-vous vous présenter à la présidence de World Rugby en 2020 ?

Je n’ai pas encore pris de décision. Vous savez, je ne fais pas tout ça pour moi. La gloire et les titres, je les ai eus. J’ai joué pour l’Argentine, j’ai été champion de France. Lorsque j’ai arrêté ma carrière de joueur en 2008, j’ai basculé vers une vie de dirigeant. J’étais toujours dans l’avion, j’ai pris dix kilos en deux ans et je ne voyais plus ma famille. Ce n’est pas pour moi que j’ai fait tout ça. C’est pour le rugby.

Un Mondial en Argentine est-il un jour envisageable ?

Aujourd’hui, c’est utopique. Le pays traverse une crise très sévère. Le gouvernement ne mettra jamais 6 millions d’euros dans un dossier de candidature. Ce n’est pas sa priorité et je le comprends. Moi, j’avais pourtant rêvé de l’organiser au pays en 2027…

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