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Élissalde : « Avec Fabien, les gens nous prédisaient une guerre d’ego »

  • Jean-Baptiste élissalde, en charge des trois-quarts de l’équipe de France, livre un regard notamment sur le premier match contre l’Argentine et sur so relation avec les autres membres du staff. Photo Icon Sport
    Jean-Baptiste élissalde, en charge des trois-quarts de l’équipe de France, livre un regard notamment sur le premier match contre l’Argentine et sur so relation avec les autres membres du staff. Photo Icon Sport Icon Sport - Icon Sport
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Enfoncé dans les larges fauteuils moelleux du Nikka hôtel de Kumamoto, l’entraîneur des trois-quarts du XV de France Jean-Baptiste Élissalde a accepté de revenir sur la victoire de samedi dernier face à l’Argentine. Mais pas seulement. Il a aussi spontanément évoqué l’arrivée en Bleu de Fabien Galthié et Laurent Labit. De la façon dont il avait trouvé sa place au milieu de ce nouveau staff. Souriant et affable tout au long de l’entretien, il a offert l’image d’un entraîneur bien dans ses pompes et dans sa tête. Loin de tout ce qu’il se dit.

Après la rencontre face à l’Argentine, vous êtes apparu assez négatif sur le contenu de votre équipe. Qu’en est-il après avoir revu le match ?

D’abord, j’étais tout de même très heureux du résultat. J’ai félicité les joueurs, notamment les trois-quarts sur leurs prises d’initiatives, sur la lecture des situations. Mais je me suis tout de suite dit qu’avec les manques dans certains domaines, notamment en seconde période, nous ne pourrions pas aller beaucoup plus loin dans la compétition. Nous nous sommes trop vite recroquevillés. J’ai été un peu plus dur, plus honnête sur les secteurs qui n’ont pas fonctionné. Avec le staff, nous avions partagé les différents secteurs de jeu pour débriefer. Chacun un thème. On a bien vu qu’il y avait des manques dans le jeu sans ballon pour aider le fond de terrain. Tout comme on a vu qu’on avait rendu quatre ou cinq ballons au pied qui n’avaient aucun sens. Cette équipe est meilleure quand elle tente, qu’elle ose, qu’elle bouge. C’est trop handicapant de rendre autant de ballons, de ne pas maîtriser son rugby sur 80 minutes, de ne pas savoir gérer 20 points d’avance. Et malheureusement, ce n’était pas la première fois que ça arrivait.

Sauf que cette fois, l’issue est heureuse…

Oui parce que les remplaçants ont apporté une plus-value, ce qui ne nous était pas arrivé depuis très longtemps. Et ça, c’est très positif.

Avez-vous aujourd’hui des explications rationnelles à cette défaillance en seconde période ?

Il y a plusieurs facteurs, techniques et mentaux. On a pris des coups sur la tête avec ces deux ballons portés. Ensuite, il y a ces sorties de camp ratées, une chose que l’on avait bien maîtrisée sur les matchs de préparation et sur laquelle on avait bien travaillé. Pour cette phase de jeu, nous avions des circuits préférentiels, qu’on a petit à petit abandonnés. On s’est trop vite débarrassé du ballon, comme si on ne croyait pas en notre force. Cette équipe doit croire en son potentiel, mais aussi dans les systèmes que nous avons validés tous ensemble.

Mais comment cette première période n’a-t-elle pas donné plus de confiance ?

Dans les entretiens individuels que nous avons menés après la rencontre, il est ressorti une forme de fragilité collective. Ces deux essais très vite encaissés ont fait peser une chape de plomb sur l’équipe. Les joueurs ont commencé à cogiter sur ce qui allait se passer et l’équipe a commencé à subir dans différents secteurs.

Lesquels ?

La conquête a été stigmatisée par les observateurs. C’est vrai que nous n’avons pas été dominants sur la mêlée fermée comme on pouvait l’être d’habitude, ni sur les ballons portés défensifs. Mais nous n’avons pas été dominants non plus dans le retour au jeu et le jeu sans ballon. Notre équipe a beaucoup d’aptitudes à vite aller chercher la ligne adverse quand elle est en défense. Mais on n’a pas maîtrisé les ballons de pression et le jeu au pied adverse. La conquête aérienne n’a pas été bonne. La question n’est pas de savoir disputer le duel aérien, ça on sait faire, mais de savoir mieux s’organiser avant ce duel.

C’est-à-dire ?

Ce que l’on met en place sur un duel aérien offensif, on doit aussi savoir le faire sur un duel défensif pour protéger les joueurs qui vont au ballon. Et ça va être prépondérant dans cette Coupe du monde. Il y a en moyenne 40 coups de pied par match. Sur le moment, ça m’a fait réfléchir. Résultat, nous sommes passés à un coup de pied de la défaite alors qu’on maîtrisait pas mal de choses à la mi-temps.

La jeunesse de cette équipe a été très souvent soulignée. Ce changement était-il nécessaire ?

(il souffle longuement) Je vais parler en mon nom, pas en celui du staff : je pense à l’équipe, je ne regarde pas l’âge des joueurs. Je construis une équipe en fonction des affinités, des connexions entre les joueurs, de l’équilibre entre droitiers et gauchers pour le jeu au pied. Voilà par exemple certains paramètres que je prends en considération.

N’aviez-vous aucune appréhension à lancer Romain Ntamack pour ce match ?

Aucune. J’ai confiance en lui, tout comme j’ai confiance en Camille. La preuve, c’est lui qui nous a fait gagner. Avant la rencontre, on pensait qu’il aurait ce rôle-là, même si nous n’avions pas imaginé avoir autant de marge à la pause. Mais on savait que Camille, contrairement à Romain, aurait l’expérience pour gérer une fin de match.

Aviez-vous en tête ce scénario avant la rencontre ?

C’est marrant parce que j’en ai parlé le matin de la rencontre avec Fabien (Galthié). Durant le réveil musculaire, je lui ai dit : "Il y a un scénario qu’on n’a pas envisagé mais qu’on a connu par le passé, c’est de mener largement au score." Ce genre de scénario, quand ça tourne mal, ça marque. Du coup, on en a discuté pour savoir comment on pouvait le gérer à la mi-temps, pour savoir ce que nous pourrions dire aux joueurs. Tout comme on l’avait fait pour tous les scénarios.

Qu’est ce qui a conduit au choix de Pierre-Louis Barassi pour remplacer Wesley Fofana ?

Il y a eu une belle discussion au sein du staff. On a pesé le pour et le contre. C’est un garçon qui devient de plus en plus dominant. Il a beaucoup de connivences avec Romain (Ntamack). Et puis, il a de la fraîcheur. Ça ne peut être que bénéfique pour le groupe et pour l’équipe de France dans les prochains mois et les prochaines années.

Le plan de jeu d’aujourd’hui est-il si différent de ce que vous aviez essayé de mettre en place dans le Tournoi des 6 Nations ou en novembre dernier ?

(Il hésite) Non… Il y avait forcément des points d’amélioration et quelques trucs à mieux définir. Fabien (Galthié) a fait un travail d’observation de nos entraînements. Il s’est appuyé sur ce que nous faisions déjà en y apportant ses connaissances. Ce qui a changé, c’est surtout dans la dimension athlétique, la défense et les repères sur le terrain. On a des zones un peu mieux définies, mieux cadrées pour que les joueurs se situent mieux. En fonction de ces zones, les joueurs savent ce qu’ils doivent faire, quelle circulation avoir, quelle forme de jeu adopter. Mais le plus fondamental, c’était vraiment de mieux préparer les joueurs aux hautes intensités, ce qui est impossible pendant un Tournoi ou une tournée de novembre.

Ce qui semble faire aujourd’hui la différence, ce n’est pas tant le système, mais la capacité des joueurs, individuellement, à faire la différence. Est-ce votre sentiment ?

Je répète : nous avons de vrais joueurs de rugby, des joueurs qui aiment les duels, qui sont doués. La qualité des mecs est indéniable. Fickou, Penaud ou Vakatawa… Sur l’essai de Fickou contre l’Argentine, c’est un trois contre trois avec un peu d’espace. Mais ces ballons, on doit les jouer car nous avons des mecs capables de désarçonner n’importe quel défenseur. Ce système nous permet de les mettre dans de bonnes situations.

On parle beaucoup de vitesse, de perte de poids des joueurs. Ne paie-t-on pas ici le déficit de puissance affiché contre l’Argentine ?

Je ne pense pas. On a essayé de faire en sorte que le pic de forme se situe sur cette phase de poule mais avec les arrivées échelonnées des uns et des autres, on manque homogénéité. Un exemple ? Gaël (Fickou) est arrivé dès le début après une fin de saison moyennasse. Aujourd’hui, il est en pleine bourre. D’autres sont arrivés plus tard et vont monter en puissance. Le problème est que, maintenant, avec l’enchaînement des matchs, on ne va plus beaucoup s’entraîner.

Est-ce si compliqué de gérer deux matchs en quatre jours ?

Non, c’est surtout les trois matchs en dix jours qui sont compliqués à gérer. Deux matchs en quatre jours, s’il n’y a rien après, c’est jouable. Mais là… Je sais bien que les gens qui organisent ont des contraintes, mais c’est bizarre d’évoquer parallèlement la sécurité des joueurs. Mais rassurez-vous, on a anticipé cette problématique depuis longtemps. La planification est prête. Même si on sait que nous aurons des impondérables, des blessés, peut-être des suspensions à gérer. Ce que l’on maîtrise, c’est notre turnover, la façon de faire fonctionner les équipes, ceux qui sont dans le groupe, ceux qui ne le sont pas… On s’est même penché sur des scénarios catastrophes avec des blessures contraignantes sur certains postes. Devant, ça nous paraît plu facilement gérable grâce au coaching. Derrière, c’est aussi pour cette raison que nous avons choisi des joueurs qui ont de la polyvalence. Dupont peut passer à l’ouverture, Penaud au centre, Fickou à l’aile, Médard à l’aile, Ramos à l’ouverture. Des spécialistes au poste, on n’a réellement que Camille Lopez, Alivereti Raka et Pierre-Louis Barassi, arrivé dernièrement. Mais je sais que nous avons cinq ou six joueurs qui seront deux fois de suite sur les feuilles de matchs contre les États-Unis et le Tonga. On essaiera de gérer les temps de jeu au mieux. C’est là où la data prend le dessus sur l’humain. Nous aurons aussi besoin de la franchise des joueurs sur leur état de fatigue.

Les joueurs mettent en avant l’état d’esprit très positif du groupe. Le ressentez-vous réellement ?

Il y a eu une première période où cette notion de groupe et d’entraide était un peu surjouée. On créait des événements pour trouver de la cohésion. Et puis, depuis quelque temps, depuis trois ou quatre semaines, les joueurs n’ont plus besoin d’événements pour se retrouver. On est passé d’un groupe composé de joueurs venant de clubs différents à une notion d’équipe. Il se passe quelque chose entre eux. Le scénario qui tourne en notre faveur, ce n’est pas anodin. C’est un remplaçant, qui aurait pu être déçu, qui a mis le drop victorieux. J’ai vu aussi Romain et Camille après le match se prendre en photo tous les deux. Ne nous leurrons pas, une Coupe du monde, c’est une histoire d’hommes.

Le staff technique savoure-t-il ces moments après avoir été beaucoup critiqué ?

Je suis un peu hermétique à tout ça. J’ai été éduqué dans un club où j’étais plus habitué à jouer le maintien que des titres, où mon père était entraîneur, où je subissais beaucoup de critiques. Ça m’a forgé une petite carapace. Et puis, j’ai joué dans un club habitué à gagner des titres, avec une forte identité. Pendant 13 ans de ma vie, c’était beaucoup de louanges, de superlatifs. Et puis, tout à coup, pour différentes raisons, ça a moins bien fonctionné et les critiques sont arrivées. C’est la fonction qui veut ça. Ce n’est pas très grave. Il y a tout de même des choses plus importantes dans ma vie. Aujourd’hui, je veux juste être heureux.

On a dit que votre position avait été fragilisée après l’arrivée de Fabien Galthié et Laurent Labit. Vrai ou faux ?

J’ai tout entendu là-dessus. Certains pensent que j’ai besoin d’être chaperonné, c’est leur droit le plus entier. J’ai mon petit parcours, je n’entraîne que depuis huit ans. Durant mes deux premières années d’entraîneur, j’ai eu la chance de gagner des titres, mais je ne me suis pas rendu compte des joueurs que j’avais sur le terrain. Je l’ai compris après. Quand le potentiel est moins fort, il faut le sublimer. J’ai appris de Guy Novès, de Yannick Bru qui m’a soutenu à mes débuts, qui m’a donné une méthode de travail avec les joueurs. J’apprends énormément aujourd’hui aussi de Jacques (Brunel), de Fabien (Galthié), de Laurent (Labit). Le soir quand je rentre dans ma chambre, je prends des notes. Je couche sur papier ce que j’ai appris. Fabien et Laurent ont beaucoup gagné dans leur carrière. J’essaie de m’enrichir.

Comment avez-vous fait pour trouver votre place ?

On s’est parlé ! Je suis allé voir Fabien pour savoir ce qu’il attendait de moi. Il m’a donné sa confiance. Je l’ai mis aussi en garde. Je lui ai dit que l’équipe de France, ce n’était pas si simple que ça. J’ai fait pareil avec Laurent. Et puis, Jacques a fait l’entremetteur. Il a été très bon pour faire les connexions. Il les connaît bien, ce sont ses enfants. Et aujourd’hui, je crois que nous sommes assez complémentaires. Entre nous, l’écoute est importante. On sait se dire les choses, aussi, quand on n’est pas d’accord !

Sans accroc ?

Les gens avaient prédit, soi-disant en connaissant le caractère de Fabien et le mien, une guerre des ego… De la même manière que les joueurs, nous avons sûrement surjoué au début pour trouver des connexions. Je ne dis pas qu’on ne se fâchera jamais mais, aujourd’hui, tout se fait naturellement.

Comment vivez-vous le fait qu’ils continueront l’aventure sans vous, après ce Mondial ?

Dernièrement, on a fait une réunion où chacun devait donner ses objectifs. Personnellement, j’ai dit que je terminais mon aventure au mois de novembre, que je ne cherchais pas à me mettre sur le marché avant la fin de cette aventure. Mais j’ai aussi dit que j’avais la prétention d’être heureux avec eux durant cette compétition. Et pour l’instant, c’est le cas. C’est top.

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