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Urios : « On ne gagne jamais les titres sur le jeu »

  • Pour le manager castrais, la cohérence dans la façon dont les managers et leurs équipes abordent ces matchs couperets est essentielle pour obtenir leur meilleur de chacun.
    Pour le manager castrais, la cohérence dans la façon dont les managers et leurs équipes abordent ces matchs couperets est essentielle pour obtenir leur meilleur de chacun. Photo Midi Olympique - Patrick Derewiany.
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L’ex-boss de Castres, champion de france sortant et qui prendra dans les semaines à venir les commandes de Bordeaux-Bègles, où se joueront les demies nous livre les clés des demi-finale en passant au crible chacun des prétendants au titre. Et nous livre dans le même temps les enseignements qu’il a récolté au gré de sa riche carrière...

Midi Olympique : Êtes-vous surpris de ces affiches de demi-finales ?

Christophe Urios : Pas vraiment, non. Toulouse et Clermont ont suffisamment dominé le Top 14 pour mériter leur place. Ensuite, Lyon est devenue une équipe de haut niveau, tant sur le terrain que sur le recrutement et son parcours confirme sa saison dernière. Le parcours des Rochelais a été un peu plus chaotique, notamment début 2019, mais ils signent une très belle saison avec cette finale de Challenge Cup. La vraie surprise, c’est l’absence du Racing. Mais sur le barrage, le Stade rochelais a mérité la victoire en faisant un vrai match de phase finale avec du réalisme, de la discipline, de l’envie et une conquête solide… La Rochelle n’est donc pas une surprise.

La fatigue générée par la saison européenne peut-elle peser chez les Rochelais ?

C.U. : Cela peut compter, oui… Disons que cela peut compter quand on est encore à un mois ou six semaines de la fin, quand les rencontres s’enchaînent. Mais à deux matchs de la fin, cela ne compte plus. Cette équipe rochelaise est bien préparée, même si elle a souffert en fin de match contre le Racing.

Avec un coup de mou au début de l’année civile et une belle performance en quarts, les Rochelais sont en train de signer un parcours qui ressemble à celui de Castres la saison passée…

C.U. : J’aurais du mal à comparer les deux équipes mais il y a des correspondances, c’est vrai.

Je trouve même que Lyon ressemble à Clermont, de la même façon que Toulouse ressemble à La Rochelle. Cette année, il n’y aura pas d’opposition de style en demie

On va finir par croire qu’être barragiste est un avantage car cela permet de créer une dynamique…

C.U. : Cela dépend des années. Cette année, ce n’était pas le cas, alors que la saison dernière, oui. Pourquoi ? Parce que l’année dernière, la finale européenne était intercalée entre la dernière journée de Top 14 et les barrages. Cela pouvait être problématique car les qualifiés directs en demi-finale de Top 14 pouvaient se retrouver trois semaines sans match. Et ça, c’est le pire. Cette année, c’était différent car les rencontres s’enchaînaient. Donc c’était un avantage d’aller directement en demies, car cela laissait juste une semaine aux équipes pour se régénérer. J’ai cru comprendre que le Stade toulousain est parti en stage en Espagne par exemple… Cette année, la qualification directe était un atout.

Quelles sont les forces du Stade rochelais ?

C.U. : Ils sont très solides en conquête et en défense, comme ils l’ont montré le week-end dernier. Ensuite, ils ont des joueurs décisifs : Atonio, Alldritt ou Gourdon qui revient à un très bon niveau. Derrière, leur champ profond est très dangereux. C’est une équipe de possession, qui a besoin de porter le ballon même si je trouve qu’ils ont beaucoup gagné en alternance cette année avec Ihaia West à l’ouverture et Jono Gibbes à la tête du staff. Les Rochelais me semblent mieux armés que les années précédentes.

Passons à Toulouse. Par le passé, on avait l’impression que cette équipe déjouait quand on lui imposait un combat intense. Mais leur victoire à Castres, au terme d’un match fermé, montre que les choses ont changé…

C.U. : Bien sûr. La grande force de Toulouse ce n’est pas que le jeu puisqu’ils ont toujours bien joué. Mais la grande différence aujourd’hui, et ce que j’admire, ce qui me plaît dans le rugby, c’est l’état d’esprit. Les Toulousains ont gagné à la Rochelle au terme d’un match très défensif, en étant très rudes sur leurs plaquages. Ils sont devenus besogneux, laborieux, durs au mal… Et pour moi, ce sont des compliments. Surtout devant. Ils ont mis la priorité sur le combat et je crois qu’un garçon comme Jerome Kaino leur apporte sa culture du combat, du travail, de la précision… On les sent comme ça. On sent ce très bon esprit qui fait la différence avec les années passées.

Christophe Urios parès la défaite des siens face à Toulon.
Christophe Urios parès la défaite des siens face à Toulon. Icon Sport

Les Toulousains ne se seraient-ils pas qualifiés trop tôt ?

C.U. : Ce n’est pas évident de gérer leur fin de saison, c’est sûr. Après notre match, ils ont mis 80 points à Pau, et ont battu facilement Perpignan pour la dernière journée… Les Toulousains ont eu des matchs faciles, ou du moins dans lesquels ils étaient moins en danger. Et cela s’est vu : leur rugby était un peu moins léché. Cela peut être un problème…

Les 30 points encaissés en première mi-temps à Bordeaux étaient un signe de ce laisser-aller ?

C.U. : Les mecs n’étaient tout simplement pas là… Ils étaient orientés sur la fin de saison. La question, c’est de savoir s’ils seront capables de retrouver leur rugby léché sous la pression d’une équipe dangereuse, dans un match de phase finale. La semaine d’entraînement permet toujours de retrouver du collectif, de l’intensité, mais il y a la vérité d’un match couperet. C’est un match piège pour les Toulousains. On ne comprendrait pas s’ils n’allaient pas en finale, sauf qu’ils vont être confrontés à une équipe solide, en confiance et qui joue autant qu’eux. Cela sera intéressant en tout cas.

L’autre chose qui interpelle côté toulousain, c’est que l’on ne trouve pas de numéro 1 à plusieurs postes importants comme le 10, le 12 ou le 15. Est-ce un avantage ou un handicap ?

C.U. : Le staff toulousain a son XV majeur en tête, et sa grande chance est d’avoir pu gérer son effectif depuis un mois. Après, ce qui me paraît le plus problématique est la gestion de la charnière. Dans un match de phase finale, les dernières minutes sont délicates à gérer, le banc est souvent décisif… Et puis qui mettre entre le petit Bezy et le petit Dupont, et à quelle place ? Mais bon, ils doivent avoir les idées claires. Du moins je l’espère pour eux…

Dans l’autre demi-finale, le fait de retrouver Lyon en demie prouve que cette équipe continue à grandir ?

C.U. : Je suis assez d’accord avec Franck Azéma qui pense qu’il faut arrêter de dire que Lyon grandit. Lyon est déjà un grand. Quand on voit leur recrutement, le travail effectué, leur profondeur d’effectif… Ce n’est pas une équipe de jeunes mecs ! C’est vrai, cette équipe est jeune dans sa construction mais elle dispose de moyens colossaux. Bien sûr, ce n’est pas facile de se qualifier. Ni de retourner en demie l’année d’après. Mais pour moi, ce n’est pas une surprise de voir Lyon à ce niveau. Je trouve même que Lyon ressemble à Clermont, de la même façon que Toulouse ressemble à La Rochelle. Cette année, il n’y aura pas d’opposition de style en demie. Comme Clermont, Lyon est une équipe qui est très bien organisée, structurée, qui aime mener le tempo et qui s’appuie sur une énorme conquête. Clermont a les mêmes bases mais elle est capable de mettre davantage de vitesse dans son jeu. Clermont est l’équipe qui s’approche le plus du très haut niveau, avec cette alternance parfaite entre l’agressivité et la vitesse, comme chez les Toulousains. En revanche, le Lou peut être en difficulté s’il est bousculé sur ses fondamentaux comme ce fut le cas contre Montpellier.

Les Clermontois ont terminé la saison par deux défaites, dont une à domicile. Est-ce dommageable ?

C.U. :(Il réfléchit) Franchement, j’ai trouvé que cette défaite à domicile était un concours de circonstances, même si Montpellier est allé chercher la victoire. Les Clermontois n’ont pas été très heureux sur le match… Après, je ne doute pas une seconde qu’ils seront au rendez-vous. Ce groupe a tellement d’expérience… C’est d’ailleurs son principal avantage sur Lyon. Les Clermontois ont connu une petite décompression après leur titre en Challenge Cup, et la nécessité pour le staff de faire tourner. Ils sauront remettre les pendules à l’heure.

Qu’avez-vous appris au cours de toutes les phases finales que vous avez disputées en tant qu’entraîneur ?

C.U. :Dans des contextes aussi anxiogènes, il ne faut surtout pas essayer de réinventer le rugby. Il faut mettre en place le rugby que l’on pratique toute la saison. Quand on invente des trucs, on perd souvent les joueurs. On peut imaginer un lancement spécial, parce que l’on a vu quelque chose à la vidéo. Mais par expérience, je peux vous dire que ce n’est pas celui-là qui te fait gagner le match. En revanche, tu gagnes si tes joueurs ont les idées claires, que ta conquête est solide, ta défense agressive, ton équipe disciplinée, que ton banc apporte… Les choses simples. Je crois même que l’on ne gagne jamais les titres sur le jeu…

Vraiment ?

C.U. :Oui. J’ai récemment lu l’interview de Graeme Souness, l’ancien milieu de terrain de Liverpool dans les années 70. Il disait que le jeu et le tableau noir ne faisaient pas gagner des titres mais que c’était l’état d’esprit et l’intensité d’une équipe qui donne la victoire. Je suis d’accord avec lui. Et pour mettre cette intensité, chacun doit savoir ce qu’il a à faire, et ce qu’il sait bien faire. On appelle ça l’état de "flow", soit de calme, de fluidité, quand les choses coulent d’elles-mêmes. Pour être capable d’appliquer le plan que l’on a décidé, il faut avoir confiance en ce que l’on fait. L’année dernière, avant la finale contre le MHR, on avait dit qu’il fallait bouger cette équipe, que l’on avait besoin de vitesse dans tous nos lancements. Si nous n’avions pas été sûrs de ce que nous faisions, nous n’aurions jamais été champions. C’est de l’enfumage de penser que le jeu donne les titres. Toulouse ne sera pas champion sur son jeu mais sur son état d’esprit, sur sa défense, sur la qualité de ses ballons portés, de sa mêlée… Et de l’apport de ses joueurs décisifs.

Qu’est ce qui est important dans une semaine avant une demie ?

C.U. :Chacun l’aborde comme il veut. Nous, l’année dernière, on était très ouverts à tout le monde, on n’a jamais fait de huis clos. On est juste partis trois jours comme on le fait avant chaque match ciblé. D’autres équipes font différemment, en fonction de la pression, de la passion, du vécu, de l’expérience… Toulouse est parti en stage pour se couper avec la passion qui les entoure dans la ville par exemple, pour se retrouver. L’important, c’est de rester soi-même. L’ouverture qu’on a eue l’année dernière nous ressemblait. On s’y sentait bien. Si, au dernier moment, j’avais instauré des huis clos dans tous les sens, les joueurs n’auraient pas compris. Cela aurait généré du stress et de l’incompréhension. Pour aborder un match couperet, on a besoin de repères, de maîtrise : quelles sont nos forces ? Comment a-t-on l’habitude de préparer un match ? Je me souviens de la demi-finale entre La Rochelle et Toulon, il y a deux ans, et la titularisation surprise d’Atonio en deuxième ligne… C’est le genre de coup de poker qui m’interroge : cela peut se retourner contre toi car tu vas générer plus de stress chez tes joueurs que chez l’adversaire.

Le manager doit-il prendre du recul dans cette semaine ?

C.U. : Oui, petit à petit. Ce sont les joueurs qui décident. C’est comme nous cette année. Moi, j’ai fait des erreurs. C’est sûr et certain. Mais si les joueurs avaient décidé de se qualifier, ils se seraient qualifiés. Pour décider, ils doivent prendre le truc en main. Il faut donc sentir le moment opportun pour les lâcher, les laisser aller. Mais encore une fois, il faut être cohérent avec tout ce que l’on a fait dans l’année. Sinon, on les fait douter.

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