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Toulouse : Les secrets de la méthode Mola

  • Ugo Mola, entraîneur du Stade toulousain
    Ugo Mola, entraîneur du Stade toulousain Icon Sport
Publié le Mis à jour
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Deux ans après avoir subi de nombreuses critiques, l'entraîneur principal du Stade toulousain Ugo Mola est aujourd'hui le manager en vogue du Top 14. Porté par les résultats de son équipe autant que par le jeu séduisant qu'elle propose, l'intéressé part à l'assaut de son premier titre comme technicien. Plongée dans son mode de fonctionnement. 

S’il est une leçon à retenir de la saison d’Ugo Mola, elle réside dans la prudence requise au moment de juger les hommes et les résultats. Voilà deux ans, et pour son deuxième exercice à la tête de l’équipe toulousaine, le Foyen d’origine était cible de nombreuses critiques après la triste douzième place finale des siens en Top 14. Mais ce club, qui avait trop longtemps oublié de se renouveler, devait sûrement en passer par là pour faire peau neuve. L’héritage de Guy Novès était lourd à porter. Il était aussi rempli d’embûches, même si son successeur ne s’en est jamais plaint. L’effectif était vieillissant, les rouages de l’institution aussi. « Ugo a payé les pots cassés du mauvais travail et des prolongations de Novès sur sa fin de carrière toulousaine, nous confiait récemment Richard Dourthe, un proche de Mola. Il s’est battu avec ça durant deux ans car il n’avait pas le budget pour changer les choses. On lui a tapé dessus après la fin de contrat des historiques mais c’était son seul moyen de remodeler le groupe. » 

Ugo Mola et William Servat dans le staff du Stade toulousain en 2015
Ugo Mola et William Servat dans le staff du Stade toulousain en 2015 Icon Sport

Lui a encaissé, persuadé que l’arrivée des recrues adaptées à sa fibre (Kolbe, Holmes, Dupont, etc.) et l’avènement d’une jeunesse dorée offriraient le rebond salvateur. Porté aussi par l’énergie de Didier Lacroix depuis sa prise de pouvoir à l’été 2017, le club le plus titré de France s’est réinventé. Au point de séduire par son jeu ambitieux et décomplexé l’an passé, malgré l’élimination en barrage, puis carrément de survoler l’actuelle saison avec une demi-finale de Coupe d’Europe et surtout une avalanche de records (de points, d’essais, d’écart avec le deuxième, de remontée, de matchs sans défaite, etc.) pour le vainqueur incontesté de la phase régulière en championnat. Au point aussi de voir la génération des Marchand, Aldegheri, Ntamack ou Ramos débarquer en force à Marcoussis aux côtés des Médard, Dupont ou Huget. Le style ultra offensif de cette bande a forcément placé Mola dans la lumière. Jusqu’à en faire le manager en vogue. Lui en sourit : « Je n’étais pas le plus mauvais il y a deux ans, je ne suis pas le meilleur aujourd’hui. » Son nom est d’ailleurs revenu à l’heure de choisir le futur sélectionneur, pas spécialement dans les plans de Bernard Laporte mais dans les souhaits de quelques acteurs de ce jeu. À commencer par son pote Dourthe, avant la nomination de Fabien Galthié : « Je lui ai dit : « Il faut que t’y ailles. » Si je suis président de la Fédération, je demande tout de suite au Stade toulousain de libérer Ugo Mola. C’est la logique. Économique vu que ce serait le seul entraîneur de gros club mieux payé en sélection, mais aussi stratégique et humaine. Pour le rugby français, ce serait quelque chose de porteur. Chez les Bleus, il faut prendre le meilleur. Pour l’instant, c’est lui. » Sauf que l’intéressé a vite écarté l’éventualité, conscient du chemin qu’il lui reste à parcourir à Ernest-Wallon, où il devrait bientôt prolonger : « Je suis très bien ici. Pour ceux qui laissent planer le doute, ne vous embêtez pas avec ça. Je porte beaucoup trop d’estime à la fonction de sélectionneur pour m’estimer prêt. Je ne le suis pas. » Lui est focalisé sur les Rouge et Noir, avec qui il espère décrocher son premier titre en tant que technicien dans une dizaine de jours. Après avoir réveillé une institution en sommeil, Mola a l’occasion d’installer sa méthode au sommet. La voici résumée en trois points.

Les convictions de jeu :

Une chose, chez le technicien Mola, le caractérise avant toute autre : sa foi en un rugby différent, à la fois ambitieux et entreprenant. Surtout à Toulouse. « À mon sens, on pratique un rugby au Stade toulousain qui demande de s'adapter, de prendre des initiatives et de se mouiller collectivement, nous avait-il un jour assuré. Toutes les générations qui ont gagné ici ont su créer de l'émotion. On doit séduire. Si s'adapter, c'est taper dix fois au pied, nous ne sommes pas complètement idiots. Mais la première intention doit être de tenter et de déplacer les hommes avec le ballon, d’opposer le rapide au lent, le fort au faible. » Un jeu qui réclame des risques et une haute intensité. Mais Mola est un obstiné et sa croyance est profondément ancrée, parfois à contre-courant d’un milieu rassuré par un rugby frileux dans lequel il ne se reconnaît pas. « Tant pis, je me planterai peut-être avec ça mais réciter sans vie, ce n’est pas ma manière de faire, jure-t-il. Ramasser, j’y suis prêt mais à condition que ce soit avec mes idées. »

Mola dirige la séance avant d'affronter le Leinster en demie de Champions Cup
Mola dirige la séance avant d'affronter le Leinster en demie de Champions Cup Icon Sport

Et ceux qui le côtoient depuis longtemps, comme Mauricio Reggiardo qui est devenu son frère d’âme, savent à quel point ses convictions sont profondes : « Il a toujours eu l’obsession d’un rugby audacieux. Lorsqu’on jouait ensemble à Castres, où l’identité repose davantage sur la force du paquet d’avants, ça le rendait fou. Il râlait, voulait qu’on sorte les ballons pour proposer un jeu ambitieux. Il est resté fidèle à ce qu’il a forgé comme joueur au Stade toulousain. » Car Ugo Mola, s’il a vécu d'autres expériences à Dax, Castres, Brive ou Albi, est avant tout un enfant de ce club. « Ugo, c’est une philosophie avant d’être un contenu, explique son président Didier Lacroix. Le mec est toujours en réflexion. Il y a quinze ans, je lui avais dit : « Si tu dois être un entraîneur normal, tu ne feras pas mieux que les autres. Mais si tu es un entraîneur différent, en rupture avec ce qui est fait, tu peux réussir. » Aussi prétentieux que cela puisse paraître, je savais Ugo capable de raconter une façon de jouer totalement nouvelle mais il devait le faire sous la maison du Stade toulousain. Elle permet d’être prétentieux car des gens ont passé ce cap avant. Ugo ne pouvait être qu’un entraîneur en disruption, comme l’ont Villepreux ou Novès. L’envie de résultats est énorme chez lui mais l’objectif de moyens pour y parvenir l’est encore plus. […] On pratique un jeu différent, avec des garçons différents et une approche différente. Cette fameuse rupture est visible et il en est à l’origine. »

Le rapport direct :

Au moment d’évoquer sa personnalité, la franchise revient quasiment dans toutes les bouches. Parfois même à l’excès, ce qui vire à l’intransigeance, comme le souffle Didier Lacroix : « Ugo est dur avec lui-même et peut l’être avec son entourage. Il a un côté écorché vif, a besoin d’être apaisé mais ne l’est pas tout le temps. Il est rongé parce qui n’est pas clair ou touche à l’injustice. Il est exigeant, direct, ne prend pas beaucoup de gant. Il avoue qu’il aimerait par instants mettre un peu plus de sagesse dans ses collaborations mais il est toujours cohérent. Rien n’est gratuit avec lui. » Parce que Mola est aussi spontané que réfléchi, ce qui peut apparaître paradoxal.

Le président Lacroix et son entraîneur côte à côte
Le président Lacroix et son entraîneur côte à côte Icon Sport

Reste que le portrait dressé par Lacroix est éloigné de la réputation de mec trop gentil à qui certains ont intenté un procès en manque d’autorité ces dernières années. « L’autorité ne se révèle pas obligatoirement en tapant du poing sur la table, note René Bouscatel, le président qui l’a fait revenir à Ernest-Wallon. Ce n’est pas son style. Lui est dans l’échange. C’est une main de fer dans un gant de velours, il sait dialoguer et fédérer autour de lui. Il est le manager d’aujourd’hui par excellence. On ne manage plus des joueurs de vingt ans comme ses prédécesseurs le faisaient. Ugo est brillant, il a des qualités humaines et un tempérament en adéquation avec l’ère du temps. » Un tempérament de feu, qu’il a appris à maîtriser avec le temps. « Il est droit, honnête et n’a pas peur de dire les vérités, certifie Dourthe. Mais il a pris des gifles qui l’ont amené à être plus diplomate. » Un point sur lequel il a grandement évolué, ce qui se ressent désormais dans sa communication avec son groupe. Mola peut se montrer cassant et hausser le ton à bon escient mais sait aussi être plus mesuré quand la situation l’impose. « Il a beaucoup de caractère, confirme Reggiardo, mais, avant, il était peut-être moins politique au moment de dire les choses, parlait sans filtre. Maintenant, il tâche d’y mettre les formes. C’est là-dessus qu’il a le plus progressé. » C’est notamment pendant ses deux années sabbatiques, entre ses aventures briviste et albigeoise, que Mola a su prendre du recul. Donc de la maturité.

Le coaching participatif :

Autre marqueur fort chez Ugo Mola dans son management : la composition de son staff. L’ancien Briviste fait partie des coachs qui se plaisent à travailler avec un encadrement élargi et donc à responsabiliser ses adjoints. Ainsi, à Toulouse, il bosse avec de nombreuses compétences autour de lui. Au départ de la saison, le tout partait du binôme qu’il formait avec Régis Sonnes mais les répartitions ont rapidement évolué, dans un souci d’harmonie et d’efficacité. Mola, selon la volonté de tous et avec l'accord des dirigeants, a repris le rôle de numéro un. « Ugo est un entraîneur précis, qui a de grandes qualités intellectuelles et qui va très vite, justifie Sonnes. Dans notre fonctionnement, nous avons su trouver un équilibre. Ugo prend naturellement le leadership. » En clair, c’est Mola qui a le dernier mot en cas d’interrogation mais lui préfère insister sur la cohésion collective : « On fonctionne réellement à six entraîneurs car le terme même d’assistant coach me gêne. Bien évidemment, je tranche quand je suis amené à le faire mais on arrive très souvent à avoir une pensée commune. » Sonnes s’est donc recentré sur la touche et tout ce qui touche au secteur aérien. Fonction dans laquelle il est épaulé par Jean Bouilhou, lequel est aussi en charge du « lab » (laboratoire pour dénicher des méthodes innovantes). Sonnes s’est éloigné de la défense fin octobre pour en laisser la responsabilité à Laurent Thuéry et William Servat, qui travaille aussi sur le mêlée fermée et les rucks. Enfin, Clément Poitrenaud s’occupe des trois-quarts sachant que lui, comme Bouilhou et Thuery, est également à la tête des Espoirs. Mola qui chapeaute l’ensemble et s’occupe du mouvement général. Ainsi, il est fréquent de le retrouver au centre de la symphonie, lors de séances parfois courtes mais toujours intenses, quand le jeu avec ballon et la vitesse d’exécution sont au cœur des débats. Là où la fameuse expertise dans le désordre, prôné et réclamée par Mola, prend tout son sens.

Même si les départs de Bouilhou (à Montauban) et de Servat (pour le XV de France) vont la chambouler lors de la prochaine intersaison, la symbiose est à ce jour évidente. Ceci grâce notamment à un mode de fonctionnement inédit, que présente Mola : « On a pris le parti de gérer plus de soixante joueurs à l’entraînement en intégrant les Espoirs. Je pense que nous sommes quasiment les seuls à le faire. C’est pour avoir une vision claire de ce que sera l’effectif de demain. La philosophie est de mettre en couveuse le plus rapidement possible des garçons à fort potentiel. » Peut-être le secret de l’éclosion de tant de jeunes talents.   

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