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Requiem pour Attila

Par MARGOT Olivier
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    Requiem pour Attila
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Michel Crauste fut l’âme d’un vaste pays, celui du rugby des années cinquante et soixante. Pour tous ceux de mon âge, il fut un modèle de droiture et de courage en un temps où le Tournoi des 5 Nations, opposant des mineurs gallois à des fermiers basques, relevait d’une chevalerie populaire. Maintenant que ce croyant fervent a rejoint l’autre rive, il reste une certitude : avec Crauste, le paradis est bien gardé.

Il me faudrait un recueil, en ce temps de recueillement, pour raconter Michel Crauste, alias "Attila" ou "Le Mongol". Le plus grand bonheur que m’a donné Walter Spanghero est de m’avoir convié à célébrer le cinquantième anniversaire de la victoire de l’équipe de France sur les Springboks (6-8) le 25 juillet 1964, à Springs. Car j’eus la bonne fortune d’être à la table de Michel Crauste. Cet homme de peu de mots avait un don : lorsqu’il parlait, le silence se faisait naturellement.

Son visage s’est creusé d’ombre, mais le joueur qu’il fut ne sera jamais dévoré par l’oubli, ni le capitaine. Vingt-deux fois il commanda le XV de France, ne concédant que deux défaites. Et s’il reçut la Légion d’Honneur, ce fut des mains mêmes du général de Gaulle. L’époque était rude et les "cravates" de Crauste, tolérées bien que pénalisées, ne faisaient pas de prisonniers. "On a eu une chance inouïe, souriait-il, on pouvait plaquer haut. Qu’est-ce qu’on s’est amusés !"

En 2006, à l’occasion du centenaire de l’équipe de France, j’avais réuni au siège du Stade toulousain, Henri Fourès, Michel Celaya, Pierre Villepreux, Jean-Claude Skrela et Pierre Berbizier. Le but : choisir le XV du siècle. Dans cet exercice périlleux, le choix des avants-aile fut le plus acharné, Celaya et Skrela s’écriant d’emblée : "Le meilleur, c’est Crauste !" Au final, Michel Crauste fut choisi aux détriments de Jean Prat et de Jean-Pierre Rives. Quand on lui annonça la nouvelle, il dit : "Je viens juste de terminer mes conserves de canard…" L’humilité.

Là où il est, Michel doit penser à l’immense peine d’André Boniface. Ces deux-là ont passé bien des pèlerinages à Lourdes à être brancardiers. Michel doit songer aussi à François Moncla, l’autre héros du Racing, rencontré à seize ans à l’École nationale d’Électricité de Gurcy-le-Châtel. Moncla étant le fils d’un secrétaire du syndicat CGT des ouvriers des fours à chaux, tout aurait pu les opposer. La fraternité les a soudés. "François se comporta avec moi, avoua Michel Crauste, comme un frère de plus que m’aurait donné la vie."

Nous parlons d’un homme qui, né au bord de l’Adour, vécut le jour de gloire de l’équipe de France au bord de la Seine. Le 4 avril 1959, à Colombes, la grande équipe de Lucien Mias dominait les Gallois 11-3, grâce à deux essais de François Moncla servi par Mias, lui-même recevant le ballon de Crauste. Pour la première fois, le XV de France remportait le Tournoi enfin seul, après 49 ans, deux guerres et 168 matches.

Nous parlons d’un homme qui, le 24 février 1962 à Colombes, marqua trois essais à l’Angleterre (13-0). Jamais un avant n’avait réussi pareil exploit. La vérité est qu’il en avait inscrit un quatrième en devançant Richard Sharp dans l’en-but. La soirée s’annonçait triomphale. Mais Michel le modeste choisit le train de nuit pour Lourdes. Il avait promis à sa femme et à sa fille de skier le dimanche à La Mongie.

Nous parlons d’un capitaine qui, contraint et forcé, joua son dernier match en équipe de France le 9 avril 1966 à Naples contre l’Italie (0-21). Dans les derniers instants, il eut l’occasion de prendre une petite revanche sur les mal élevés de la Fédération. À quelques mètres de l’en-but, Crauste choisit de donner ce ballon d’essai à Christian Darrouy. Au vestiaire, il déclara simplement : "J’ai joué le jeu."

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