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Amateurs : le pont des sourires

Par Nicolas Zanardi
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    Amateurs : le pont des sourires
Publié le Mis à jour
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Dans un coin perdu de montagne, à l’ombre rassurante du massif de la chartreuse et d’un monastère célèbre pour sa liqueur, le petit club de Saint-Laurent-du-Pont se reconstruit. Immersion…

Ici, ce n’est pas le bout du monde, non. Mais pour y venir, encore faut-il vraiment le vouloir… À Saint-Laurent-du-Pont, petite bourgade de moins de cinq mille habitants perdue aux confins de l’Isère et de la Savoie, on se résout depuis des années à n’être considéré comme un carrefour, une porte d’accès de la Chartreuse où Saint-Bruno jeta, en 1084, les fondations de l’ordre qui porte le nom du massif et de la célèbre liqueur… Jusqu’au XIIIe siècle et la construction d’un ouvrage en travers de la rivière du Guiers mort, précisément destiné à faciliter la vie des moines, la commune portait d’ailleurs le nom délicieux de « Saint-Laurent-du-Désert »…

Alors depuis, bien sûr, de l’eau a coulé sous le pont de Saint-Laurent. Une forte immigration italienne est également passée par là à l’Entre-deux-guerres, lorsque de rudes paysans et bûcherons des hauteurs de Bergame décidèrent de se chercher un environnement familier, au pied des sapins. Mais la situation géographique du village, elle, n’a pas évolué, le conduisant à un relatif isolement dont les moqueurs de la région estiment le dernier événement d’ampleur nationale à l’incendie du 5-7, en 1970. Vous savez, ce drame qui avait permis au magazine Hara-Kiri de réaliser sa une légendaire à la mort du général du Gaulle : « Bal tragique à Colombey : un mort »…

Seuls au monde

On fait plus gai, bien sûr. Mais, humour noir mis à part, on peut aussi se construire dans ces circonstances. Et nourrir une identité forte évidemment incarnée par le club de rugby local, le RC Vallée du Guiers, dont les rangs se trouvent essentiellement nourris par les villages environnants. « On est entouré de deux bons clubs, Voiron et Chambéry, explique Laurent Dodos, ancien pilier des espoirs du FCG et de Voiron, devenu entraîneur des avants de son club après avoir dû ranger précocement les crampons. Mais la route n’est pas commode et ne facilite pas les échanges… à titre personnel, j’ai eu la c$hance d’évoluer à un certain niveau et je veux rendre quelque chose à Saint-Laurent. L’objectif à moyen terme, c’est de consolider notre formation, afin de mieux alimenter la catégorie senior, qui a connu plusieurs mises en sommeil ces dernières années, faute d’effectif. »

Petits baigneurs et chasseurs de sangliers

N’empêche que celle-ci, bon an mal an, continue de fonctionner. C’est notamment le cas cette saison, où l’arrivée d’un entraîneur et d’une poignée de joueurs venus de Voiron a apporté un nouveau souffle au RCVG, lui offrant de nouveau de jouer les premiers rôles dans le championnat de Troisième Série. « Ces dernières saisons, je faisais six entraînements par an. Cette année, j’en ai manqué six ! rigole Thibaut, deuxième ligne, qui a délaissé cette saison les rallyes pour le rugby. Pourtant, au début, nous étions sceptiques. Les mecs de Voiron, ce n’est pas qu’on ne les aime pas, mais on avait des a priori. Finalement, on les a adoptés… » « C’est Denis Botta, un de mes meilleurs amis, qui m’a convaincu de venir, explique l’entraîneur Jacques Gouillet. J’en ai juste parlé à une poignée d’amis… Il y avait quelque part l’envie de prolonger l’aventure qui nous a amenés au titre de champion de France de Fédérale 3B en 2014, mais aussi de transmettre quelque chose. Même si j’en soupçonne certains d’être surtout venus pour les repas d’après entraînement, sachant qu’ils étaient sacrément copieux… »

Des rendez-vous bihebdomadaires qui sont devenus le centre névralgique du club, chez Mireille, où les repas les plus anodins peuvent prendre des proportions épiques. « J’ai découvert un rugby dont j’imaginais qu’il n’existait plus, rigole Gouillet. Avec des types qui n’ont peut-être pas un talent monstre, mais se couperaient un bras pour leur équipe. Même si parfois, c’est folklorique… »

à l’image de cette troisième mi-temps qui vit un joueur tenter de traverser par pari le Guiers, alors en crue, négligeant le détail selon lequel il ne savait pas nager. « On l’a repêché une cinquantaine de mètres en aval, accroché à une branche, comme dans les films » s’amuse un témoin de la scène. « Des histoires comme ça, il en arrive une par mois, s’esclaffe Gouillet. Cette saison, j’ai quand même eu un joueur qui a raté le car parce qu’il venait de tuer un sanglier… à dix minutes du départ il m’a appelé en me disant : « Je suis désolé, il faut que je le finisse… » C’était avant un long déplacement et pourtant, à quinze heures, il était sur le pré. Il s’était débrouillé pour se faire conduire par sa femme. » Pour les copains…

Bodega et recrutement

Des copains qui sont, au vrai, l’épicentre d’une aventure humaine dont le rugby, s’il n’est qu’un prétexte, n’empêche pas l’ambition. Au contraire… « Samedi, c’était la soirée bodéga annuelle, la principale source de revenus du club, sourit la présidente Alexandra Pellegrini. Environ quatre cents personnes étaient présentes. Cela nous a permis de lancer le recrutement... On ne convainc pas les joueurs de signer ici avec des primes de match, ce serait ridicule ! »

« Tout ce qu’on peut proposer, c’est un club sympa, rempli de gens qui partagent des valeurs un peu désuètes comme l’amitié simple, la parole donnée, souffle Gouillet. Vous savez, cette année, un de nos deuxième ligne a chopé une saloperie, pour laquelle il se fait soigner en ce moment même à Lyon. Ce mec, je suis sûr qu’il va revenir, parce qu’il est très fort et surtout parce que personne ne l’a lâché. Ses copains descendent le voir toutes les semaines. Et comme par hasard, un de ses frères est revenu jouer avec nous depuis quelque temps, alors qu’il n’était pas venu de la saison… » Peut-être parce qu’ici, sur le pont des sourires, le rugby ne constitue rien moins qu’une petite famille. La vraie richesse d’un club. De celles qui ne s’achètent pas.

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