La chronique de Villepreux

Par Rugbyrama
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Comme chaque semaine, retrouvez la chronique de l'ancien entraîneur du XV de France Pierre Villepreux. Cette semaine, il revient sur la performance de l'équipe de France contre les Samoa, samedi dernier au Stade de France.

La performance de l’équipe de France contre les Samoans est à analyser dans la continuité de la précédente contre les Sud-Africains, des adversaires certes beaucoup plus redoutés et redoutables. Mais la supériorité française dans toutes les formes de jeu et l’ampleur pris par le score a logiquement conduit les Tricolores à la réalisation d’un rugby qui a permis de fait, d’entreprendre davantage et, dans le choix de l’alternance main - pied, d’accorder au jeu à la main la part importante qui lui revient puisque les potentialités défensives des adversaires le permettent. Pourquoi jouer au pied défensivement à "gagne-terrain", envoyer des up-and-under quand le jeu à la main procure l’avancée déstabilisante utile pour avancer de nouveau en prenant en compte la configuration momentanée et évolutive de la défense. En revanche, le jeu au pied offensif, celui de continuité, judicieux qui vise à profiter de la faiblesse adverse dans la couverture du premier rideau a parfaitement fonctionné coté français. Normal, puisque le collectif samoan a le plus souvent, pour ne pas dire tout le temps, engagé dans ce premier rideau tout le collectif sauf l’arrière; qui sur l’essai de Fall est aussi rentré dans le premier rideau laissant la ligne de but sans couverture.

Ce renforcement défensif massif sur la largeur a laissé de la place à du jeu au pied court qui fut généralement efficace. Il fut exploité au bon moment grâce, au degré d’avancer suffisant, que le jeu précèdent avait créé, et à l’habileté technique utile pour bénéficier de la récupération. La concrétisation justifiant la pertinence de cette passe au pied qui, dans le jeu moderne doit devenir une habileté technique pour tous. Ce n’est pas la première que Bonnaire utilise avec à propos et efficacité.

Coté îlien, c’est leur incapacité à ajuster le "quand" et le "comment" du renforcement défensif sur la largeur relativement à celui de la profondeur qui a fait leur perte. Ceci fut vrai dès le début. Ils ne surent jamais trouver le juste équilibre entre joueurs défendant en avançant dans le premier rideau et joueurs en couverture derrière celui-ci. Les avancées françaises sur tous les mouvements tant individuels que collectifs, créaient du désordre dans le replacement de l’opposition, d’autant plus que la désorganisation générée par l’avancée était accrue par la qualité des libérations de balle quand advenait un plaquage.

Szarzewski fut le premier à profiter avec flair de cette lacune dans la répartition défensive adverse. Il le fit avec la puissance qu’on lui connaît en passant par la porte laissée ouverte sur le point de plaquage, plutôt que de chercher à pénétrer dans les murs, ceux à proximité de cette zone investie à tort par les défenseurs.

Les Français avancèrent toujours quand ils provoquèrent le jeu, que ce soit dans le jeu direct par pénétration individuelle ou collective ou quand l’option du jeu déployé fut utilisée. Justement dans ce jeu déployé et dans la continuité de la circulation laterale du ballon, ils surent créer suffisamment d’avancées pour mobiliser les opposants sur un seul rideau. Situation qui justifiait l’utilisation du jeu au pied dans le dos des défenseurs puisque l’évolution du mouvement défensif collectif et son glissement ne permettaient plus aux français de poursuivre le jeu à la main. La transformation de la forme déployée en jeu au pied offensif s’avérait donc la plus pertinente. Ce fut d’autant plus efficace, tout à la fois, parce qu’il n’y avait pas de couverture potentiellement en place et que la ligne de but était proche (essai de Clerc et de Fall). L’essai de Jauzion fut conçu différemment, puisque programmé grâce à la la bonne perception en début de match des caractéristiques de la forme globale de la défense adverse. Jauzion anticipa le coup de pied donné au départ du déployé et conclut avec conviction. Il partit un peu hors jeu, ce qui n’enlève rien à la parfaite réalisation de ce coup de jeu dans le cadre de la cohérence, choix de jeu- realisation des actions simultanées botteur passeur - coureurs récupérateurs.

Un des principes opérant du jeu de mouvement réside dans la capacité tant individuelle que collective des attaquants à insister dans la poursuite du jeu à la main dans l’alternance au bon moment des deux formes qui le caractérisent (jeu pénétrant et déployé). Cette insistance à enchaîner les actions de jeu balle en main doit se faire tant que le dispositif défensif adverse et momentané l’autorise. Quand ce n’est plus le cas, le principe de transformation du jeu à la main peut se faire soit par le jeu au pied soit en concédant un arrêt de mouvement du ballon encore appelé point de fixation. Le choix successif de la forme est induit à la réaction et à l’évolution de la distribution défensive. La vitesse de libération du ballon prend alors une importance majeure pour préserver le rapport de force favorable. Ce lien - avancée - liberation rapide - jeu ou il devient le plus facile de jouer- a été plutôt bien maîtrisé coté français.

Je pense que le collectif français, ce fut le cas aussi contre les Springboks, mais moins souvent du fait du rapport d’opposition plus contraignant, est sur le bon chemin pour acquérir, les références communes  indispensables pour jouer efficacement un rugby total. Ceci implique pour tous les attaquants, de comprendre ce qui se passe pour savoir y réagir et prendre les initiatives qui s’imposent pour transformer collectivement le mouvement précedent dans la forme la plus juste compte tenu du jeu réactionnel défensif. Dans le rugby actuel, ce jeu juste se construit souvent derrière les nombreux points de fixation. Il incombe souvent aux demi ou à d’autres, dans l’action de continuité, de prendre l’initiative de cette transformation. Ce jeu juste est capital pour conserver ou augmenter l’avantage acquis grace à l’avancée dans le dispositif défensif adverse. Quand on est impliqué dans le plein mouvement, on ne joue pas par "directives", on est à la disposition du jeu sous toutes ses formes. Ce sont les effets que l’on a créé sur la défense qui vont guider le choix de la forme suivante, et des alternances possibles à la main ou en alternance au pied.

Il serait absurde de réclamer à Trinh-Duc de se consacrer à satisfaire les amateurs de jeu au pied quand le jeu situationnel ne le nécessite pas. Son "niveau" dans l’exercice du jeu au pied est largement suffisant pour devenir le demi d’ouverture dont a besoin cette équipe pour encore progresser.

Le poste de demi d’ouverture est à considérer aujourd’hui autrement. Le jeu au pied peut être pris en compte par d’autres moins sous pression, c’est déjà le cas avec le demi de mêlée qui assure aujourd’hui une grande partie de cette option tactique. Il ne nécessite pas pour l’ouvreur d’avoir un coup de pied de mammouth. Trinh-Duc a du talent, des moyens physiques non négligeables au service d’une combativité de tous les instants. Sa compréhension du jeu est encore, sinon optimale, du moins très intéressante et perfectible. Son essai, en choisissant judicieusement de continuer à jouer "dans le même sens" dans le plus petit espace qui soit, est entre autre la preuve d’une belle intelligence. Vouloir l’enfermer à démontrer qu’il est performant dans le jeu de gagne terrain serait une aberration. Continuer de s’améliorer dans le registre de la gestion des mouvements collectifs, là où il va avoir à prendre des initiatives et où il conservera la liberté utile pour le faire, (il le fait de mieux en mieux), apportera au collectif les routines et réponses utiles à la mise en place et œuvre d’un jeu collectif d’une dimension supérieure. C’est aussi dans ce rôle d’animation du jeu collectif et d’une continuelle meilleure modulation de sa gestion qu’il prendra conscience du "pourquoi et du quand" le jeu au pied. Le comment sera plus facile à travailler dans les entraînements. Une ou deux fois dans ce match, il choisit de jouer au pied alors que la situation ne l’imposait pas, mais on apprend aussi à bien jouer en faisant des erreurs. Trop d’ouvreurs- rappelons nous, du procès fait à Michalak ont subi le diktat "du jeu que l’on doit savoir faire" sous peine de rester sur la touche. Dommage de gâcher les talents.

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