La chronique de Villepreux

Par Rugbyrama
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Dans sa chronique hebdomadaire, Pierre Villepreux, l'ancien entraîneur du XV de France, revient sur la santé actuelle du rugby anglais. Après un week-end européen marquée par l'avantage pris par les clubs français, il explique que cela vient en partie de la mutation du jeu entrepris outre-manche.

Dans la confrontation franco-anglaise de ce dernier week-end de Coupe d’Europe, les clubs anglais ont été mis en échec. On savait que les difficultés financières rencontrées du fait de la baisse cruciale de la livre et en conséquence le départ vers l’hexagone de pas mal de joueurs de très haut niveau pouvaient les affaiblir. Cette explication est bien évidemment insuffisante et ne peut en aucun cas nous satisfaire. On est bien obligé de chercher des explications ailleurs et d’abord dans le jeu produit.

Les anglais dispensent aujourd’hui un rugby qui est une rupture avec celui qu’ils pratiquaient par le passé. Le jeu anglais était jugé particulièrement ennuyeux ("boring" comme ils disent) avec peu d’intentions, ce qui contrastait, il y a encore peu de temps avec le jeu français fait de plus d’initiatives, plus enlevé, plus créatif, plus réactif. Le jeu juste des frenchies s’exprimait mieux dans des mouvements complexes et efficaces essentiellement par une meilleure qualité de lecture de jeu qui implique les joueurs dans des comportements et attitudes en relation avec des indices et repères pris dans les actions développées au même moment par les partenaires et par les adversaires. En contre-partie, les Anglais y opposaient un jeu programmé qui distribue les joueurs dans des actions (caractérisées par un positionnement préétabli) liées aux obligations qu’imposent le système offensif ou défensif choisi par l’entraîneur.

Si le jeu français est devenu dans le temps beaucoup plus organisé, et a perdu un peu de son identité, on est bien obligé, à contrario, de constater que le jeu anglais dans les confrontations actuelles de cette coupe 2009 , est en train d’évoluer vers un rugby plus adaptatif. En effet, leur désir d’envoyer du jeu, de le provoquer, donc d’entreprendre, est réel. La multiplication des initiatives et des successions de séquences de jeu rapides créait forcement un désordre qu’il ne s’agit plus et qu’il n’est plus possible de gérer en terme d’organisation programmée mais bien en terme d’appréciation du jeu situationnel, donc d’adaptabilité. C’est le rapport de force mouvant attaque-défense qui guide beaucoup plus dans le volume produit le comportement des joueurs. On entre dans le cadre d’un système "tactiquement ouvert" qui laisse la place à des choix.

De là à dire que le jeu programmé "game plan" est abandonné par les Anglais, il n’y a qu’un pas que je me garderai bien de franchir. Ce qui conduit à cette mutation, c’est justement cette volonté "d’envoyer du jeu" qui en se généralisant amène, pour ne pas dire oblige, les joueurs à sortir du cadre établi, donc à ne plus être tributaires du schéma choisi et et ainsi des déplacements attendus des uns et des autres. Ce sont, bien au contraire, les effets successifs produits sur la défense dans le mouvement collectif en cours et à venir qui assurent dans la logique des décisions la continuité du jeu. La pertinence des prises de décision individuelles et collectives ne sont pas encore ni maîtrisées, ni accomplies, mais une telle production si elle ne se dément pas, va dans le temps non seulement gommer les carences mais va entraîner l’émergence, qui ne sera pas fortuite, de joueurs de plus en plus talentueux et un collectif de plus en plus à l’aise dans le rugby de mouvement.

On avait constaté cette tendance lors de la tournée des Lions en Afrique du sud et il ne fait aucun doute que leur jeu a eu une influence majeure sur le jeu des british toutes nations confondues.

Si les Anglais poursuivent dans cette modernité et sortent de leur traditions, il leur faudra des convictions. Ce n’est pas un rugby au départ forcément gagnant. Mais leur chance, c’est que les défaites, outre-manche, ne sont pas vécues mentalement comme en France. Dans cette recomposition du rugby, on ne s’attache pas à recoller les morceaux qui sans cesse se dispersent davantage en cas d’échec. Ils continueront malgré les difficultés à aller vers un rugby de plus en plus dégagé de toutes entraves en forcissant les prises de risque même si dans l’instant, cela se retourne contre eux. Choisir d’oser jouer en dépassant les contraintes que cela impose n’est pas une promenade de santé. C’est un processus long, y compris parfois douloureux.

Ce week-end, toutes les équipes anglaises se sont lâchées. Certes, elles n’ont pas gagné mais il n’est pas inintéressant de suivre leur trajectoire dans cette Coupe d’Europe, pas seulement les résultats mais bien de voir si la permanence dans ce style de rugby peut transformer l’échec en réussite.

Bath est certainement l’équipe la plus représentative de cet état d’esprit. C’est certainement ce club qui peut avoir le plus de regrets. Gloucester est tombé sur un excellent Biarritz et n’a pu contester la victoire même si, en début de match, ce collectif a pu apporter une touche de rugby très positive. Les Harlequins ont fait trembler Toulouse. En deuxième mi-temps, les rouge et noir ont su se reconstruire un rugby digne de son standing. Northampton s’est plutôt bien comporté devant l’Usap et a contesté le résultat jusqu’au bout .

Il manque à tous quelques ingrédients dans la maîtrise de ce jeu pour y performer complètement. Ingrédients qui aujourd’hui leur fait filer les résultats entre les doigts. Il ne s’agit pas pour autant d’enterrer ce rugby mais bien de vouloir continuer à le conquérir et cette conquête se réalisera en acceptant que la quantité de jeu et les déchets qu’elle génère, les porteront progressivement à aller vers la qualité.

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