La chronique de Pierre Villepreux

Par Rugbyrama
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Dans sa chronique hebdomadaire, notre expert Pierre Villepreux évoque le rugby féminin, qu'il juge trop... masculin dans son évolution actuelle.

Je rentre de Stockholm où j'ai assisté à la compétition de rugby féminin qualificative pour la Coupe du monde à XV qui aura lieu à Londres en 2010.

Les meilleures nations (Angleterre, France, Irlande et Galles) étant qualifiées d'office compte tenu de leurs résultats dans les 6 Nations, l'intérêt résidait dans le comportement des nations appelées émergentes face à l'Italie et l'Ecosse. Si l'Ecosse a passé le cap avec difficulté devant les Pays-Bas, il n'en a pas été de même de l'Italie, battue par la Suède.

Globalement les résultats semblent montrer que les meilleurs pays émergents sont à même aujourd'hui de mieux rivaliser avec les meilleures nations. Ce constat est forcément encourageant pour l'avenir si l'on veut créer une dynamique compétitive qui vise à terme de ne pas faire des 6 Nations la seule compétition référentielle.

Pour être un adepte sans condition du rugby féminin, je mettrais cependant un bémol. Il concerne l'évolution de la qualité du jeu produit. J'espérais que progressivement le rugby produit par l'élite allait se conjuguer de plus en plus au féminin et développer une spécificité discernable. Ce n'est pas le cas bien au contraire, le jeu actuel tend de plus en plus à se calquer sur le rugby masculin. Si on accepte, et pas seulement dans le discours, que l'un des objectifs aujourd'hui est bien de donner au rugby féminin une place visible dans le monde du sport et ainsi d'obtenir une logique et véritable reconnaissance, je crois que c'est plutôt mal parti.

Pour que ce jeu soit validé par le public, et reçoive demain comme pour les autres sports collectifs un accueil favorable qui n'est encore que bienveillant voire de circonstance, il convient d'entrer dans la pensée de ceux qui font l'effort de venir le voir. Pour modifier leur regard, il est capital de vouloir et savoir proposer un autre style, plus attractif, plus vivant, simplement plus en mouvement. Il me semble que l'on se trompe de style et d'esprit de jeu.

Certes le rugby, de par les règles, peut être joué et compris de la même manière par les garçons et les filles. Mais en épousant le jeu des hommes et en faisant de l'affrontement la priorité tactique pour gagner, on déféminise le rugby. Il devient urgent de se préoccuper du "comment on le joue" et de le faire avec un autre esprit... Pour le coup, la balle est dans le camp des filles. La prépotence du jeu entrevu - je fonce – je rentre dedans - je vais au so l- favorise le un jeu structuré à outrance, statique, sans incertitude et multiplie les phases de ruck pick and go. On s'ennuie d'autant plus qu'il n'y a comme chez les hommes, ni la puissance ni l'engagement violent, quelquefois attirant, dans le combat qui est proposé dans le haut niveau masculin. Les femmes ont largement les moyens de jouer un jeu beaucoup plus adaptatif avec un minimum de structuration. Il suffirait de donner à la formation tactique une place plus grande, de déclencher un état d'esprit plus ludique, ce qui n'est pas contradictoire avec l'obtention de résultats. En revanche, le spectacle en serait favorisé.

Le choix d'un jeu structuré mobilise le collectif autour de la performance dans la conservation du ballon sur les points de fixation. Pour performer dans ce jeu et créer les conditions d'avancer, le renforcement du travail physique et la recherche de l'excellence dans la répétition de bouts de rugby bien ciblés devient la priorité du travail réalisé, ceci au détriment de la formation tactique source de créativité et d'adaptabilité.

En outre, cette sollicitation du corps féminin, via la multiplication des phases de contact, n'est pas en terme de sécurité sans danger.

Quelles solutions pour éviter la dérive qu'impose le jeu masculin ? L'aménagement de quelques règles serait nécessaire :

- la mêlée certainement où l'on constate un grand investissement et où les différences en terme de rapport de force sont particulièrement importantes.

- le déplacement de la ligne de hors jeu à 5 m comme pour la mêlée pour ceux qui ne participent pas au maul ou ruck. En effet, les libérations régulièrement trop lentes des ballons favorisent la défense et compte tenu de l'approximation constatée dans le jeu au pied, celui-ci n'est que très rarement utilisé, ou mal. La défense prend régulièrement le pas sur une ligne d'attaque qui se déploie en conséquence très en profondeur quand le jeu au large est choisi. Les utilisateurs qui devraient logiquement avoir sinon les meilleures, du moins de bonnes conditions pour avancer dans le camp adverse sont placés, face à la montée défensive, en situation très défavorable traduite en perte de terrain. Ce choix de jeu devenant régulièrement négatif et comme le jeu au pied reste un recours peu fiable, il est plus facile de passer par les pick and go pour trouver la faille et avancer.

- la technicité. Elle est limitée par la grosseur et le poids du ballon, difficile à manipuler avec des mains de cousettes. Un ballon de taille inférieure permettrait d'améliorer cette dimension essentielle dans la performance que ce soit dans le jeu à la main ou au pied.

Rien n'est perdu, il faut simplement avoir conscience de la dérive. Certes, changer de point de vue n'est pas évident. Pas plus que de s'accorder sur un consensus.

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