La chronique de P. Villepreux

Par Rugbyrama
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Notre expert Pierre Villepreux revient sur les récentes interrogations concernant le niveau du Top 14 et les Tournées du XV de France.

CHANGER MAIS POUR QUOI FAIRE?

Je ne sais pas si le rugby français "marche sur la tête" comme le souligne le dernier Midol, mais comme c'est bien souvent le cas quand le XV de France n"est pas à la hauteur, chacun y va de son analyse. La préoccupation concerne le calendrier, la légitimité des tournées, le Top 14. Ce choix ne manque pas de pertinence. Les interviews d'un public impliqué dans le rugby mais appartenant aussi à d'autres sports traduisent l'ambiguïté du thème choisi puisque les opinions sont variables et même quelquefois bien contradictoires. Les réflexions déclenchées tiennent toutes la route et peuvent à terme apporter des solutions aux difficultés de performance de l'équipe nationale, car ce sont bien les mauvais résultats des tricolores en Australie qui ont incité à faire cette enquête. Celle-ci aurait été pareillement justifiée en cas de résultats positifs. Savoir si dans ce cas elle aurait été réalisée relève d"un autre débat.

Pour cerner tous les facteurs limitants qui ont influencé la mauvaise performance (pourtant attendue) de l'équipe nationale dans cette tournée, il convient certainement d'aller plus loin dans le débat et de dépasser les constats, les réflexions et les solutions que les trois thèmes abordés sont à même d'engendrer.

Si l'on accepte aujourd'hui la réalité de notre rugby et les difficultés que nous avons pour le faire évoluer, il me parait difficile de modifier ipso facto cet existant et satisfaire tout le monde, le monde pro comme celui des amateurs ? Les avancées se font lentement et toujours au coup par coup, mais rarement derrière un grand projet fédérateur. Celui-ci aurait le mérite de cibler les priorités pour que le système puisse fonctionner à tous les étages et permettrait de créer les interactions utiles pour que le message passe, que chacun se l'approprie et l'adapte au contexte dans lequel il évolue. Procéder différemment en proposant du changement et des aménagements ici et là peut résoudre certains problèmes mais ne traiterait pas les maux.

Si on accepte aussi que la première priorité est bien d'avoir une équipe de France performante et compétitive qui gagne mais aussi assure un spectacle de qualité (gagner oui mais comment ?) dans les compétitions dans laquelle elle est engagée, il convient qu'elle soit de manière permanente garant d'un jeu identitaire, reconnaissable, joué par des joueurs formés pour le jouer. Il ne convient pas en effet de faire passer la charrette avant les bœufs et de croire qu'il suffit de créer toutes les conditions utiles en terme de calendrier compétitions règles etc pour que notre rugby national (le Top 14) redevienne attractif et prépare les joueurs à se comporter efficacement au plus haut niveau.

Pour évoluer favorablement et atteindre le meilleur niveau de performance il faut, répétons-le, que le joueur soit formé pour le jeu choisi, qu'il acquière le sentiment d'être compétent pour le jouer. Les ingrédients de son évolution tactique- technique - physique vont tout au long de sa carrière renforcer la dynamique mentale indispensable pour obtenir le meilleur rendement possible. Pour acquérir ce type de joueurs, il faut qu'il y ait un consensus national sur le "comment" de la formation du débutant au plus haut niveau. Les formateurs doivent, chacun à leur niveau, se sentir concernés.

Vaste programme dans le cadre d'un rugby qui ne cesse de se mondialiser et qui place les joueurs français (ceux qui jouent au plus haut niveau et plus grave, les autres) face à des cultures de formation différentes (de plus en plus de joueurs et d'entraîneurs étrangers). Le "climat" d'apprentissage et d'entraînement devient forcement perturbant puisque le suivi de formation manque non seulement de permanence mais se réalise au gré du changement des entraîneurs et de bases méthodologiques et conceptions d'enseignement du jeu différentes.

Tout le monde est touché, l'équipe nationale mais aussi les équipes jeunes qui obtiennent maintenant des résultats moyens non seulement face à l'hémisphère sud mais aussi et c'est nouveau contre les équipes européennes que nous dominions facilement il y a encore peu de temps.

Changer de jeu ne se décrète pas, il faut que les joueurs y soient préparés dans une continuité de formation club – équipe de France. Le volume du jeu actuel (quantité et qualité) de notre championnat est globalement insuffisant si l'on veut être en accord avec l'évolution du jeu, des règles, de demande de spectacle et de hausse de fréquentation des stades. La comparaison en terme d'initiatives prises, de volonté à produire du jeu sont particulièrement significatives entre les jeunes de l'hémisphère sud et les Français dans les compétitions mondiales et ne manquent pas d'inquiéter. En tous cas, il y a une explication à ces résultats. On peut ajouter à un degré moindre les îliens (Fidji, Samoa, Tonga) auxquels il faut ajouter l'Argentine qui entreprennent globalement plus. Cette habileté mentale à s'investir sans calcul en positivant les risques n'est pas française alors qu'elle devrait être une arme essentielle. Cette habileté mentale traduite en termes de confiance ne se met pas automatiquement en route. Alors il faut l'imposer pour accéder au jeu recherché. C'est ce que fait avec courage Marc Lievremont. Ce manque de répondant des joueur à tous les niveaux de la pratique est patent sauf rares exceptions. Sans formation adéquate, les entraîneurs de demain (c'est le cas pour le staff actuel des tricolores) devront accepter de devoir convaincre les joueurs et l'opinion.

Nous sommes en retard d'une guerre et condamnés à des exploits.

Tout le monde dit vouloir s'inscrire dans le registre du beau jeu mais entre les contraintes de résultats qui existent en club et le jeu que voudrait faire et voir le staff du XV de France il y a un fossé. Dans ces conditions, d'entraîneur ne sera pas la solution idoine. Le successeur sera confronté aux mêmes problèmes quelque soit ses options de jeu. Les joueurs dans l'instant malgré leur bonne volonté forcement pataugent un peu et c'est logique. Comment fédérer derrière une démarche de travail et des objectifs communs tous les entraîneurs qui sont au cœur du système quand ils n'ont pas les mêmes préoccupations ?

Cette incohérence dans le cadre d'un projet de formation nationale est un frein majeur pour le staff de l'équipe nationale. Demander de jouer un rugby plus volumineux et plus ambitieux et s'y engager totalement sans arrière pensée prend du temps et aujourd'hui on demande des résultats à l'équipe de France. Le décalage existe et les différents remodelages proposés - calendrier - la place des tournées – le Top 14 - ne peuvent dans l'instant résoudre le problème de fond posé par la formation. Tous les facteurs qui conditionnent la bonne santé du jeu ne prendront du sens que par rapport à cette priorité.

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