La chronique d'Henry Broncan

Par Rugbyrama
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Comme chaque semaine, retrouvez "les pas perdus d'un coach", la chronique d'Henry Broncan, l'entraîneur du SU Agen.

Vendredi 25 janvier

Entraînement à Séméac dans le club cher à Dinguidard encore un Gersois exilé, dans la proche banlieue tarbaise. Terrain impeccable, équipe attentive. Luc Lafforgue est presque dans son pays d'Odos. Pierre Wolczack, le vieux lutteur, le meilleur co-équipier que j'ai connu, a tenu à venir à ma rencontre : il poursuit son combat avec dignité, s'amuse du mal avec le même sourire que celui qu'il adressait à ses adversaires quand les plus audacieux d'entre eux l'avaient ressemelé alors qu'il était au sol. Goûter préparé avec amour par les cuisinières de la maison du rugby.

Tout le SUA s'est assis sagement devant le grand écran du restaurant Coustet. On sent la bataille inégale : le Stade toulousain n'a peut-être jamais été aussi fort ! Le FCAG se jette dans une résistance bien dans la tradition gersoise ; à l'heure de jeu, après trois essais refusés logiquement car les Auscitains ont su se glisser sous les porteurs, les pensionnaires du Moulias relèvent le museau, s'enhardissent et prennent Du Toit sur la tête : le nouvel ouvreur sud-af' donne l'offrande à son compatriote du Cap de Bonne Espérance. Il est vrai que le banc stadiste a ébranlé les convictions locales. Après ce match qui fut une fête, le commentateur bon chic bon genre de Canal +, se croit obligé d'annoncer une accusation de racisme de la part d'un joueur gersois. Des images doivent être communiquées dans la soirée...

Je dors très mal : Auch sera toujours mon pays, ses joueurs seront toujours mes enfants.

Samedi 29 janvier

Ce matin, avant le réveil musculaire, Thys Stoltz m'a demandé de l'accompagner visiter la Chapelle de Bétharram. Il m'explique que leurs églises ont été transformées à l'américaine : de vastes salles de conférence ultramodernes servant de lieu de culte mais aussi de salles de réunion, d'auditorium etc... Nous parlons de guerres de religion, des départs des Huguenots pour l'Afrique du Sud, de l'importance de la Bible dans le rugby springbok avec souvent, dans les préparations d'avant match une forte connotation spirituelle. Nous nous arrêtons devant les riches scènes picturales de l'église ; il lit avec attention la biographie de St-Michel Garicoïx, le moine fondateur de l'établissement, constate avec bonheur que des missionnaires formés ici exercent dans son pays et finit par me demander si je suis croyant.

Maurice Trelut, chaque fois que je rentre dans ce stade par la porte Nord, je ressens la même émotion : c'est un des plus beaux sites de France avec, dans le prolongement des poteaux, la majesté altière du Pic du Midi, aujourd'hui recouvert de neige. Malgré – à cause - des derbies de l'Armagnac-Bigorre, j'ai beaucoup d'amis dans les rangs tarbais et nous nous retrouvons avec un plaisir évident : Hubert Couget, Driss Van Herdeen, les présidents Turenne et Ducasa etc... Le président du Conseil Général 65 a joué avec moi au TUC et j'ai été son capitaine à l'USAM ; Jacques Barré, mon entraîneur de cette époque est venu en voisin d'Orleix. J'ai toujours reconnu la qualité de la formation en pays bigourdan : aujourd'hui les Hurou, Bernad, Dasque, Bourgeois, Lacrampe en témoignent sur le terrain. En lever de rideau, les Partenaires du SUA souffrent devant les Anciens du Stado : le Stadoceste ! Hier, pour nous rendre à Séméac, nous sommes passés devant Jules-Soulé tristement noyé sous les herbes folles. Comment 10 000 personnes pouvaient-elles contenir dans ce stade ? J'ai le souvenir d'un terrible Mont de Marsan-Tarbes dans les années 60, un match très violent qui avait du se terminer à 13 à 13, Manterola finissant la rencontre, l'épaule en bandoulière. Dans le bus Pascal, je raconte à mon voisin la magie d'André Boniface interceptant dans ses 22 mètres et conduisant l'arrière international Cazaux jusqu'à son propre en-but par un jeu d'esquives et de feintes de passe. Je crois bien que c'est l'image la plus merveilleuse qui me restera d'un match de rugby.

C'est une toute petite victoire que nous offrons à nos supporters venus en car nombreux malgré nos défaites et nos pâles productions. Notre match ne vaut guère plus d'un clou : une échappée belle de la "mobylette bleue" Max Carabignac nous rassure d'entrée mais la suite ne génèrera qu'inquiétudes tant nous avons du mal à rester dans des schémas efficaces. Renaud Dullin, encore un ex-Agenais, nous traverse comme à toucher. Le jeune Bourgeois manque à la dernière minute de nous renvoyer en enfer sur une pénalité de 50 mètres qui meurt sous la barre.

C'est une belle nuit que nous vivons, à Rabastens de Bigorre, chez le plus célèbre maquignon de cette terre à boeufs. Il a réuni ses meilleurs amis pour accueillir les Présidents Dubroca et Tingaud ainsi que votre "serviteur" : la table est conforme à la réputation du pays avec du très bon Madiran venu en voisin. Les langues et les rires se délient : le chanteur Jean-Michel Zanotti nous fait du Mariano et j'aime beaucoup son hymne à la Garonne, ce fleuve qui me fascine de plus en plus. Vers la fin du repas, l'hôte conteur nous relate un match de "légende", une finale de séries régionales jouée à Maubourguet entre Mirande et Rabastens sans doute en 1960. Son récit, je le connais par coeur car, cadet de l'USAM à l'époque, il faisait déjà le bonheur des veillées paysannes et de nos 3èmes mi-temps.

Je raccourcis et j'écoute J.L. : ..."Mon président m'a dit : "on ne peut pas perdre ; je connais bien l'arbitre, le boulanger de T., installé à mi-chemin entre les deux bourgades... Je lui ai promis un camion de farine...". "Je jouais demi de mêlée, poursuit notre rugbyman marchand de bestiaux, et je me suis dit que j'allais pouvoir, une fois n'est pas coutume, introduire en deuxième ligne... Et pan, une pénalité, pan, deux pénalités, – on disait coup franc à l'époque - trois pénalités !! A la mi-temps, je rabroue mon président : Tu es sûr qu'en face, ils ne lui ont pas donné deux camions de farine ? Nous perdons 6-3 et le coup de sifflet final est donné à l'opposé des vestiaires. Pour nos corps fatigués et énervés, la distance est trop longue et une terrible bagarre générale éclate. Avec le temps, elle me paraît encore plus éternelle : 3 pages dans le journal "Détective" avec beaucoup de photos nous seront consacrés... pourtant il n'y a pas eu de morts !"

De mon côté, je sais aussi que le sous préfet de Mirande était le meilleur supporter de l'USAM et que deux gendarmes assistaient à la rencontre et se contentaient prudemment d'observer le pugilat. Injonction du cadre administratif en civil : "Vous n'intervenez pas ?" Sourires narquois de nos pandores "Et pourquoi tu n'y vas pas toi-même ?" Ils seront convoqués une heure plus tard dans leur propre gendarmerie : ils auraient dû être en faction dans un carrefour voisin et avaient déserté leur poste pour assister au derby.

J'ai aussi le souvenir des 3 pages de "Détective". Un de nos hôtes me garantit qu'il en possède un exemplaire. Un demi-siècle plus tard je serais très heureux d'en parcourir les pages.

Dimanche 27 janvier

Le petit Toucher sacré avec les copains du dimanche matin sur le modeste terrain de Pistre. Hier au soir à Tarbes, j'ai reçu les encouragements de ceux d'Auch, E.M. Ph. B. et P.V. Parfois, j'ai quelques messages des anciens de Toulouse. Rive droite, les joueurs pros du FCAG qui avaient peu joué la veille, venaient nous retrouver sans réticence ; ici, c'est plus difficile mais ça viendra peut-être.

A midi, je suis invité à la table de Laroque-Timbaut qui reçoit le premier de la poule Promotion Honneur : Condat Le Lardin. Le président Mencel et son épouse m'aiment bien et je suis heureux au milieu de gens simples et passionnés. Au dessert, le capitaine Garens vient nous présenter son équipe motivée avant le choc de 15 heures. Du monde autour des barrières et dans les petites tribunes, de la passion, parfois un peu trop – le numéro 8 visiteur en fait les frais – des essais, le bonus offensif, 31-13 pour les Roquentins plus vifs, plus réalistes que les visiteurs étouffés par l'enthousiasme local et par l'omniprésence de son meneur de jeu.

Retour rapide sur Agen pour assister au choc Racing-Métro-Rugby-Club Toulonnais. Les parisiens à l'image d'Auradou et de Tournaire me semblent émoussés par leur voyage en Lot-et-Garonne. Côte rade, Matfield absent dans les regroupements, survole la touche et dans le mouvement général, nous régale par sa technique individuelle et son intelligence de placement. La victoire déclenche une joie presque impudique chez le Président toulonnais. En voilà au moins un qui ne cache pas ses sentiments !...

Lundi 28 janvier

Promenade à Villeneuve sur Lot dont je ne connaissais que le boulevard extérieur ; je découvre une bien belle bastide, création, encore une d'Alphonse de Poitiers. J'apprécie la chapelle du Bout du Pont près du Pont ancien, les cornières de la place centrale, les deux portes. Beaucoup de commerces, des rues pour nous seuls passants : c'est bien agréable.

Nous montons à Pujols dont le château fort même en ruines, continue de veiller sur Villeneuve. On me raconte que c'était le pays d'Elias, un troubadour qui était le meilleur chanteur de son époque (XIIème siècle). C'est à Penne que s'achève mon lundi ; je connaissais déjà cette cité pour l'avoir visitée cet été mais c'est avec plaisir que je la parcours quasiment déserte. En grimpant jusqu'à la basilique de Peyragudes, je m'extasie encore une fois, devant la magnifique vallée du Lot. C'est assis paisiblement sur un banc de pierre que je reçois plusieurs coups de fil sur "l'affaire d'Auch" dont quelques journaux et quelques chaînes télé ont fait des gorges chaudes. L'un des appels vient de l'accusé, écoeuré, prêt à lâcher prise devant les attaques dont il est l'objet. C'est en 1993 que j'avais recruté ce joueur pour le LSC ; à 16 ans et demi, il avait débuté – on avait le droit à l'époque - en équipe une. Nous nous sommes quittés à la fin du printemps 2007 mais, pas une semaine ne s'est terminée sans que nous nous appelions longuement. Je sais : il a mauvais caractère, enquiquine les arbitres, "branche" ses vis-à-vis et le banc adverse est souvent sa cible privilégiée. Par contre, quelle envie de vaincre, quelle connaissance du jeu, quelle multiplicité aux quatre coins du pré, quelle efficacité offensive ! Jamais battu, jamais à genoux, le verbe rebelle, un insoumis ! Pour la première fois, je le trouve meurtri, accablé, prêt à lâcher le sport qui l'a construit. Je rappelle que son meilleur ami est Mickaël Lebel, mon leader noir, mon capitaine d'avant Raphaël : ils sont inséparables. Alors, du racisme chez Raphaël ! Dans le M.O de lundi, Didier Faugeron en remet une couche. Nous Auscitains, avons-nous "pleuré" une seule fois quand Mike faisait l'objet d'insultes racistes ? Par contre, le coup de poing d'un troisième ligne toulousain sur Antoine Battut, qui l'a relevé ?

Pour clore la polémique, je souligne quand même le formidable jeu développé par le Stade toulousain à l'heure actuelle. C'est un fantastique plaisir que de voir évoluer cette équipe. Alors, que son excellent entraîneur par des crises paranoïaques ne nous gâche pas la fête qu'il sait nous procurer.

De Stéphane Prieur, chez Atlantica, 160 pages d'amour et d'humour pour notre pays : "Mon Gers"

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