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"Bleu pacifique" : la famille Tolofua, une véritable dynastie

  • Abraham Tolofua, ancien pilier passé par Grenoble, Clermont ou encore Béziers.
    Abraham Tolofua, ancien pilier passé par Grenoble, Clermont ou encore Béziers. DR
Publié le Mis à jour
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Les Tolofua, de la Nouvelle-Calédonie aux clubs les plus huppés de l’hexagone ont fondé une véritable dynastie depuis le tonton jusqu’au dernier des neveux... Mais pas seulement.

C’était devenu une famille incontournable du rugby français. À la base, en Nouvelle-Calédonie, les Tolofua n’avaient pourtant rien à voir avec ce sport. La tradition à la maison, c’était plutôt l’armée. Militaire de carrière, le papa avait été imité par deux de deux fils, Petelo et Jean-Luc. Mais le troisième, Abraham, a vu sa vie changer quand il a eu un ballon ovale entre les mains. Lui, passé par Nice, Grenoble, Clermont ou Béziers, a donné le goût de ce jeu à ses neveux : Christopher évolue aujourd’hui à Montpellier, Selevasio à Toulon, et le petit dernier Sialevailea est déjà international moins de 20 ans… Abraham Tolofua, qui a découvert et accueilli chez lui Peato Mauvaka, revient sur toute cette histoire incroyable.

  • Sa découverte du rugby

« Quand il fallait partir au champ, je déviais pour aller au rugby »

« J’ai commencé le rugby à l’âge de huit ans en Nouvelle-Calédonie, par l’intermédiaire de Sotele Puleoto (ancien joueur de Brive et Biarritz, NDLR) qui était une sorte de grand frère dans le quartier. Il s’occupait de récupérer tous les gamins pour aller pratiquer ce sport et je ne croyais pas que j’allais l’aimer autant. Mes parents ne voulaient pas car mon père préférait que j’aille planter les bananiers et le manioc. Je me suis pris de passion et, quand il fallait prendre le chemin du champ, je déviais pour aller au rugby. J’ai toujours été surclassé dans ma catégorie et j’ai même fêté ma première avec la sélection de Calédonie à 16 ans. J’avais fait les jeux du Pacifique en Papouasie-Nouvelle-Guinée et il me fallait une autorisation de mes parents pour partir. Le sélectionneur avait dû venir leur expliquer, j’avais marqué le seul essai du match contre les Samoa. Je suis arrivé en métropole en 1990 par l’intermédiaire d’un pote métropolitain, Richard Bill, qui avait fait son service militaire en Nouvelle-Calédonie. J’ai souvent joué contre lui et, avant qu’il reparte en métropole, il m’avait dit : « Tu as le niveau pour jouer au-dessus et j’espère que tu viendras un jour. » Un an plus tard, il est revenu voir ses enfants. J’étais maçon et je travaillais sur un chantier quand un collègue m’a prévenu qu’un gars me cherchait. C’était lui. Il m’a lancé : « Tu te rappelles que je voulais faire en sorte que tu viennes en métropole ? Il y a un club qui cherche un pilier gauche. » J’étais heureux, mon rêve se réalisait. Il a fallu convaincre mes parents, cela a été compliqué. Ma maman a écouté attentivement et a dit : « Ce ne sera pas possible, il n’a que seize ans et demi. Qui s’occuperait de lui ? » Mon papa travaillait dans les mines et finissait à 19 heures. Je faisais les mille pas pour réfléchir et trouver comment convaincre ma maman, qui voulait que je parte au service militaire à ma majorité. Je suis allé chercher mon papa et je lui ai expliqué que seul lui pouvait changer la donne. Je lui ai même dit qu’on m’avait promis que, si ça n’allait pas, j’aurais un billet retour. On est arrivé à la maison, mon père a fini de manger et rassemblé toute la famille. Maman s’est mise à pleurer : « Notre enfant est trop jeune pour partir. » Mon père a répondu : « Il part à chaque fois en cachette au terrain, alors qu’on lui dit non. Il y a une opportunité pour lui aujourd’hui, c’est peut-être son destin. » Cela s’est décidé ainsi. »

  • Son arrivée en métropole

« Jacques Fouroux avait fait le déplacement jusqu’à mon studio »

« Dans notre famille, tout tournait autour de l’armée car mon père était militaire de carrière, ce que sont devenus mes frères. Je suis le seul à avoir dérogé à la règle (rires). Mes deux frères n’ont jamais pratiqué le rugby. Je suis d’abord venu à Saint-Laurent-du-Var où j’ai fait une saison en troisième division. Mes frères étaient déjà en métropole, le fils aîné de Petelo avait un an. Puis Christopher est né. Eux habitaient à Fréjus et moi à Nice. Quand j’ai reçu une convocation en Nouvelle-Calédonie pour venir faire mon service à Besançon, j’étais déjà là. Mes frères étaient fâchés contre moi car je ne voulais pas entrer à l’armée, j’étais bien parti dans le rugby. Eux ne comprenaient pas. L’année suivante, j’ai été recruté par Nice, dont les dirigeants venaient me voir chaque week-end. Les deux présidents se connaissaient bien. À cette époque, Jacques Fouroux (alors entraîneur de Grenoble, NDLR) voulait me récupérer et avait même fait le déplacement jusqu’au studio dans lequel je vivais car Willy (Taofifenua) lui avait dit : « Mon petit cousin est là-bas, il faut le faire venir. » Je n’en revenais pas car je le regardais à la télé. Mais j’avais des engagements avec mon président, qui ne voulait pas me voir partir à Grenoble mais à Nice en première division. Mon frère Petelo m’avait appelé une fois car j’étais en première page de Nice Matin. Dès qu’il y avait un article sur moi, il me le disait et j’allais au tabac presse acheter le journal (rires). Mes frères ont tout gardé du début à la fin de ma carrière. Celui qui était légionnaire, dès qu’il partait en Afrique, il recevait les articles dans sa petite chambre parce que sa femme lui envoyait. Ils sont tout pour moi. Ils me disent régulièrement : « Je ne sais pas comment tu as fait car on n’avait pas cru en toi au début. » Ils ne m’avaient jamais vu jouer, en fait. »

Ses neveux au plus haut niveau

« Ils se sont mis au rugby à cause de moi »

Les frères Christopher et Selevasio Tolofua sous le maillot de Toulon.
Les frères Christopher et Selevasio Tolofua sous le maillot de Toulon. Icon Sport - Icon Sport

« Quand tu es militaire, tu pars en mission quatre, six ou huit mois. Mon frère Petelo était toujours en « tournante ». Moi, j’allais garder les petits à Fréjus ou eux venaient chez moi pendant les vacances. Je ne m’attendais pas à ce qu’il y ait une suite avec les enfants mais, au départ, ils me suivaient quand j’étais joueur. Après, au fil des années, ils se sont mis au rugby à cause de moi. Ils sont ensuite partis dans le Nord et je me déplaçais pour les voir. Christopher était teigneux et têtu, un peu vicieux même. Comme il ne voulait pas se faire corriger, parce qu’il faisait des conneries à côté, il réalisait des gros matchs et il savait que son père était fier. Petelo a dit à tous ses fils : « Votre oncle vous a montré la voie, donc vous allez suivre son exemple. On ne lui a rien donné. » Il leur a mis en tête depuis tout petit. À la fin de ma carrière en 2006, quand j’étais à Béziers, j’avais l’opportunité de venir travailler à Toulouse dans un réseau de transports urbains. Vu qu’il y avait un partenariat entre le Stade toulousain et Marcq-en-Barœul, où jouaient mes neveux, mon frère m’avait demandé s’il devait descendre dans le Sud. Je lui ai dit : « Oui, si tu veux que tes enfants évoluent dans ce sport, il le faut. » J’avais déjà perçu chez Christopher, à 12 ans, les qualités requises. Ils sont venus s’installer à Toulouse. Du coup, on a inscrit nos enfants à l’école de rugby du Stade toulousain. Et je les prenais avec moi pour les emmener au terrain, pas loin de la maison, pour faire des ateliers de rugby et les aider à s’améliorer sur leurs lacunes. Voilà comment l’aventure a commencé mais je ne pensais pas que Christopher ferait le premier pas. Puis, les autres ont suivi derrière : Selevasio, Sialevailea… Mon fils Lucas a joué au Stade toulousain mais il a ensuite préféré partir à Castres. Là, il évolue à Blagnac mais comme le club a déposé le bilan… »

  • Peato Mauvaka, l’autre « fils »

« J’ai débarqué à la maison avec ce gosse »

« J’ai commencé à être éducateur au Stade toulousain comme je suivais mon fils et, en 2010, je suis parti un mois en Nouvelle-Calédonie. Le président de l’Association m’avait demandé de regarder s’il y avait des gamins sur le même profil que Christopher. Je suis allé voir des amis dans certains clubs pour donner un coup de main et, un soir, j’ai découvert l’animal ! C’était Peato. Aucun ne le voyait car il n’avait jamais joué au rugby mais il a tellement captivé mon regard que j’ai posé la question : « Qui est ce gamin ? Il est énorme, je le vois bien au Stade toulousain. » On me répondait : « Ce petit, on ne le connaît pas, il vient parce que son grand frère est là. Il n’est pas licencié chez nous. » Quand j’ai su son âge, à savoir quatorze ans, j’ai tout de suite pensé à Selevasio qui avait le même. Ils auraient été dans la même catégorie et je les imaginais jouer ensemble. Je ne pouvais pas partir de cet endroit sans essayer de faire quelque chose. Il fallait absolument que je rencontre ses parents. Sa situation me rappelait la mienne et sa maman a coupé court à la discussion : « Je ne vous connais pas et je pense que vous vous êtes trompé de gosse. » J’étais déçu mais son papa m’a demandé de leur laisser un peu de temps. Je savais que, s’il ne venait pas, j’allais le regretter toute ma vie. J’avais appelé à Toulouse et dit : « J’ai trouvé la perle. »

Peato Mauvaka (à gauche) aux côtés de Christopher Tolofua.
Peato Mauvaka (à gauche) aux côtés de Christopher Tolofua. Icon Sport - Johnny Fidelin

Deux jours après, j’ai reçu un coup de fil. Les parents voulaient me revoir. Je leur ai dit que Peato allait venir chez moi, qu’on allait s’occuper de tout. Ma femme n’était même pas au courant. J’ai débarqué à la maison avec ce gosse et elle était scotchée ! Il a vécu quatre ans chez nous. Mes neveux étaient tout le temps à la maison. Avec « Sele », ils sont devenus inséparables. Peato a grandi avec lui, avec ses frères et avec mon fils. Pour Lucas, c’est comme son petit frère. Mais j’interdisais Peato d’aller chez Petelo (rires). Je voulais d’abord qu’il apprenne ce que j’avais à lui enseigner, avant de rester avec les garçons. Il a compris qu’il était là pour un objectif, je l’emmenais toujours à l’entraînement pour qu’il rattrape son retard. On travaillait des situations de deux contre un par exemple. Dès qu’il touchait un ballon, il m’épatait. Et il avait une telle vitesse…
Avec « Peat », on a un lien indéfectible. Il passe encore manger, boire le café ou jouer à la coinche à la maison au moins deux ou trois fois par semaine. Nous sommes une deuxième famille pour lui. »

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